Présidentielle. Pouvoir d'achat des moins de 25 ans : "on ne compte pas sur un candidat pour améliorer notre situation"

Ils et elles ont moins de 25 ans. Saisonnières, travailleur indépendant ou étudiant, ces jeunes actifs girondins ont accepté de nous ouvrir leur portefeuille et de parler de leur pouvoir d'achat. #MaFrance2022

La crise sanitaire a placé leur précarité sous les projecteurs. Deux ans après le début de la pandémie, la situation économique des moins de 25 ans reste très souvent fragile, comme en témoignent ces jeunes actifs et étudiants rencontrés dans la métropole bordelaise. 

 A  22 ans, Taïs (le prénom a été modifié) a un programme bien chargé. Originaire de Toulouse, étudiante en marketing digital à Bordeaux , elle a opté pour l'alternance :  deux semaines en entreprise pour une semaine de cours, à l'Inseec.

Une formule qui lui permet d'éviter de payer les frais de scolarité (9 000 euros l'année) de son école. "J'ai toujours su que si je voulais poursuivre mes études, je devrais passer par l'alternance, parce que mes parents ne pouvaient pas m'aider", explique-t-elle. Son père, qui travaille dans le bâtiment en Haute-Garonne, gagne 1 400 euros par mois. Sa mère, qui vit en Côte d'Ivoire, ne travaille pas.

Quarante-sept heures par semaine

Lorsqu'elle est en entreprise, Taïs travaille de 9h à 17h30, cinq jours par semaine. Trente-cinq heures, payées 880 euros. Chaque soir, en sortant de chez son employeur, elle se presse jusqu'au KFC, pour servir les clients de 19 heures à 23 heures-minuit, selon les jours. Un contrat de 12 heures par semaine, rémunéré 440 euros par mois, auquel s'ajoutait, jusqu'à la semaine dernière, un repas compris pour chaque service effectué. "Ils viennent d'arrêter ce système. Ils nous donne maintenant une carte Ticket resto beaucoup moins avantageuse", regrette-t-elle.

Ses deux revenus lui permettent de financer son loyer, relativement élevé : 592 euros pour 44 mètres carrés. Une nécessité : "l'an dernier, je vivais dans 10 mètres carrés. Je payais 400 euros par mois. Le studio était insalubre, plein d'humidité et de moisissure", se souvient-elle. C'est dans ce cadre que la jeune fille passe les confinements successifs, en télétravail, isolée de tous. Elle se promet alors de déménager, quitte à payer le prix fort, et prendre un deuxième emploi.

Certains mois, je payais jusqu'à 90 euros de chauffage. Pour 10 mètres carrés. Vous vous rendez-compte ?

Taïs, étudiante à Bordeaux

France 3 Aquitaine

"On a intégré que c'était normal de ne manger qu'une fois par jour"

La jeune fille garde un mauvais souvenir de cette époque.  "Je n'avais même pas assez d'argent pour prendre le Ouibus et rentrer à Toulouse voir mon père. Je mentais, je lui disais que j'avais trop de travail pour venir"

Encore aujourd'hui, la jeune fille connaît par cœur le montant de chacune de ses dépenses :  "76 euros de gaz, 40 euros pour EDF, entre 5 et 16 euros d'eau, 20 euros de téléphone...". Une partie de ses revenus partent parfois en Côte d'ivoire, pour aider sa mère. Taïs bénéficie aussi de 218 euros d'Aides pour le logement (APL) et vient de demander la prime d'activité. 
Les courses sont réduites au strict minimum. Elle soupire. "Y'a quand même un vrai problème chez les étudiants; On a presque tous intégré que c'était normal de ne manger qu'une fois par jour. Il y a un taux de malnutrition chez nous qui atteint des sommets !"

 

Colis alimentaires

En dépit de son emploi du temps chargé, elle s'est engagée comme bénévole auprès de l'association Linkee, qui distribue chaque lundi soir des colis alimentaires aux étudiants au Wanted Café à Bordeaux. "Au début, on en distribuait une soixantaine. Lundi dernier, il y avait 400 étudiants", note-t-elle. Elle aussi bénéficie de ces colis faits d'invendus, comprenant fruits, légumes, féculents, ou encore des produits d'hygiène. 

Taïs le reconnaît : la campagne présidentielle est très loin de ses préoccupations.  Elle, qui ne s'est d'ailleurs même pas inscrite sur les listes électorales, estime que les jeunes ne sont pas pris en compte. . "On a l'impression de ne pas exister. Pendant le Covid, on ne parlait que de la précarité étudiante, et aujourd'hui, c'est comme si ça avait disparu", regrette-t-elle. 

Emplois saisonniers

A Pessac, dans la métropole bordelaise, Léa et Gaëlle, elles, ont quitté la vie étudiante depuis de longs mois. Dans quelques jours elles prendront la route pour la Bourgogne. Les deux jeunes filles de 22 et 23 ans viennent de terminer l'installation de leur lit dans leur van aménagé.

Jusqu'au mois de juin, elles travailleront dans les vignes : effeuillage,  ébourgeonnage, épamprage... des "travaux en vert", effectués au printemps et à l'été. Un emploi saisonnier, rémunéré sous forme de contrat Tesa. "C'est un contrat sans engagement, ni obligation d'heure de travail. On est payées à l'heure, au SMIC. On peut partir à tout moment et se faire virer tout aussi facilement, expliquent-elles. Mais on a aussi la chance, en période de récolte, de pouvoir faire énormément d'heures et de pouvoir se faire pas mal d'argent." 

Nos revenus sont très aléatoires. Sur ce contrat à venir, nous ne ferons pas beaucoup d'heures supplémentaires, donc on devrait tourner entre 1 250 - 1 300 euros. Mais sur des saisons de récoltes, on fait plus de 2 500 euros. 

Léa, saisonnière agricole

France 3 Aquitaine

 Après les vignes de Bourgogne, les attendent la récolte d'abricots dans la Drôme, les piments d'Espelette au Pays basque et les huîtres en Bretagne.

Ce travail, précaire et saisonnier et "alimentaire", les deux jeunes filles l'ont choisi.  Depuis le début de leurs études d'anglais pour l'une et de chinois pour l'autre, toutes deux ont enchaîné les emplois dans la vente et la restauration. De quoi mettre un peu d'argent de côté et planifier un grand voyage... pour 2021.  Lorsque la pandémie met un coup d'arrêt à ces projets, le couple se questionne.
"On s'est dit plutôt que de repousser notre projet, et de continuer de faire des boulots qui ne nous plaisent pas forcément, on ferait mieux de chercher une autre solution".

Diminuer les charges fixes


Cette solution passe par l'achat d'un camion pour l'aménager.  Il s'effectue avec les économies réalisées, auquel s'ajoute un crédit. Un premier camion est transformé intégralement par leurs soins, puis revendu car trop petit à l'usage. Leur nouveau camion, coquet et douillet, deviendra d'ici quelques jours leur habitation principale. Un choix qui se révèle économique

"Avant on payait 535 euros de loyer sans compter l'EDF et le gaz. Maintenant, on ne paie plus de loyer, d'électricité, ni d'assurance habitation, précisent-elles. Selon leurs estimations, leurs charges fixes sont passées de 850 à 450 euros. 

Car il faut aussi rembourser le crédit engagé pour le véhicule, acheté 15 000 euros, auxquels s'ajoutent 7 000 euros de frais pour sa transformation en camion habitable. Soit 222 euros chaque mois. 

Parmi les dépenses incompressibles, figurent 60 euros par mois pour une mutuelle, et un forfait téléphonique. "On n'a pas de box Internet, précise Gaëlle. On doit pallier avec notre téléphone et le partage de connexion. Donc on se retrouve quand même à payer presque 50 euros de forfait chacune". La question du carburant pèse aussi dans leur budget, même si la consommation reste très aléatoire. "Quand on fait 55 heures par semaine, on n'a pas le temps de rouler. Mais en moyenne, on dépense 300 euros par mois."

Rigueur et tableau excel

Ce choix de vie leur permet, malgré des revenus précaires et aléatoires, de mettre un peu d'argent de côté chaque mois. Les deux jeunes filles tentent "en moyenne" d'économiser entre 100 et 200 euros chaque mois. "Nous sommes obligées d'épargner, puisqu’il y a des périodes où on ne travaille pas", remarque Léa. 

D'où une certaine rigueur, dans la gestion du budget, qui s'effectue au moyen d'un tableau Excel, où les dépenses et rentrées d'argent sont méticuleusement renseignées. 

"On fait attention, on sait qu'on ne peut pas tout s'autoriser. On définit notre budget loisirs au début du mois et on s'efforce de rester dedans", précisent-elles. D'autant plus qu'elles envisagent toujours de partir en voyage l'an prochain, en Europe, et toujours avec leur camion. Histoire de profiter un peu avant d'envisager autre chose. "On sait très bien que dans ces conditions, on ne peut pas se permettre de fonder une famille, d'acheter un bien. Nos revenus varient trop pour ça. Et puis ce travail est usant pour le corps. J'ai déjà fait des horaires de bureau, c'est pas mal aussi !", rigole Léa. 

A un mois du premier tour de l'élection présidentielle, le couple assure "ne pas compter sur un candidat pour améliorer leur situation économique". Mais alors qu'elles déplorent que leurs employeurs successifs dans différents secteurs, n'envisagent "jamais une rémunération au-delà du salaire minimum", la proposition de Jean-Luc Mélenchon de le revaloriser a retenu leur attention. 

"Lorsqu'il dit qu'il veut revaloriser le SMIC à 1 400 euros, ce n'est pas absurde, contrairement à la proposition de Philippe Poutou qui veut le fixer à 1 800 euros. Ça, ça me paraît irréalisable", estime Léa. 

"On espère surtout que certains prendront conscience de ce que le peuple essaie de dire, rajoute Gaëlle. Les gens ont beau manifester, on a l'impression de n'être jamais entendus".

Alexandre, coursier à vélo pour 800 euros par mois

A Bordeaux, Alexandre (le prénom a été modifié), 24 ans, est coursier à vélo. Il vient tout juste de démissionner de Deliveroo. Depuis quatre ans, ce jeune auto-entrepreneur sillonnait les rues de Bordeaux et sa métropole. Un contrat qui apparaissait, à l'époque, comme une véritable aubaine : Alexandre, titulaire d'un brevet professionnel plâtrier plaquiste, est cycliste par passion.

"Je gagnais super bien ma vie alors que je n'avais pas d'aptitude professionnelle particulière, j'avais un statut d'indépendant. Je trouvais ça incroyable d'être payé pour faire du vélo !" , se souvient-il. A l'époque, Alexandre pédale une cinquantaine d'heures par semaine, pour 2 700 euros net. 

La période dorée ne durera pas : "petit à petit, ils ont commencé à changer leur tarifs. Au début, j'étais payé 5 euros la course dans un rayon de deux kilomètres. Ensuite, la zone de livraison s'est élargie au delà des boulevards". 
Des déplacements plus longs, avec des retours de livraisons qui s'effectuent "à vide"... Un an après ses débuts dans le métier, la rémunération moyenne d'Alexandre passe alors de 20 à 16 euros l'heure. "Ca restait correct", estime-t-il avec le recul. Mais la dégringolade continue. Deliveroo modifie ses conditions tarifaires régulièrement, et les revenus d'Alexandre poursuivent leur chute libre. 

La deuxième année, mon chiffre d'affaires est passé à 2 000 euros. La troisième, j'étais à 1 500 euros.

Alexandre, coursier à vélo

France 3 Bordeaux

Son chiffre d'affaires s'élevait, juste avant sa démission, à 800 euros mensuels- soit un peu plus de 600 euros net - avec des semaines à 35 heures. "Je pourrais forcer un peu plus, mais je suis dégoûté. Je n'ai pas envie d'aller me ruiner la santé pour 2 000 balles."

D'autant plus qu'il assure n'avoir aucune visibilité sur la grille tarifaire.  "Les prix sont adaptés en fonction de l'affluence, et tout ça manque totalement de transparence. On ne sait jamais comment le prix de la course est fixé, déplore-t-il. 


Alexandre, qui vit seul, loue son appartement bordelais 550 euros, charges comprises. Ses courses lui reviennent à environ 300 euros chaque mois. Il se marre : "On peut aller jusqu'à 90 kilomètres par jour, donc on mange énormément ! Après je suis pas compliqué, je ne mange pas de foie gras, plutôt des pâtes aux lardons. Mais bon, même en faisant attention, heureusement qu'il y a Aldi!" .
Sa mère lui finance sa mutuelle, et le jeune homme a vendu sa voiture. "Elle ne me servait à rien, et ça m'a fait économiser 70 euros par mois d'assurance, sans parler du crédit que je n'aurais jamais pu financer avec la baisse de mes revenus".

Le jeune actif  pioche chaque mois dans la petite épargne qu'il a pu accumuler les premières années "fastes". "Grâce à ça, je ne survis pas. Mais je suis en train de tout bouffer petit à petit. C'est comme si je n'avais rien gagné du tout, constate-t-il, non sans amertume.

"Je suis tout seul"

"J'ai la haine, reconnaît-il. Pas seulement à cause de mes revenus , mais aussi par ce que leur système a foutu en l'air.  Avant dans ce métier, il y avait une vraie diversité de profils : des étudiants, des comptables, des personnes qui avaient voyagé... Il y avait un vrai lien social entre nous. Aujourd'hui, les livreurs sont majoritairement des sans-papiers qui sous-louent des comptes et se font exploiter. Moi je suis tout seul, je ne parle plus à personne", constate-t-il. 

Entre Macron et Mélenchon

Alexandre, qui envisage désormais de se lancer dans des projets personnels, et de tenter sa chance en Australie , garde un œil sur la campagne présidentielle. "Je n'ai encore jamais voté . Et là, je les regarde tous, il y en a pas un qui m’intéresse plus que d'autres", remarque-t-il. L'auto-entrepreneur, qui a bénéficié d'aides financières pendant la crise sanitaire, estime que "Macron a fait des choses intéressantes pendant le Covid"
Mais le président candidat n'emporte pas pour autant son adhésion. "Son regard sur mon métier ne me donne pas envie. Macron est pour l'uberisation, parce que ça fait baisser les chiffres du chômage", analyse-t-il.


Quid de Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé à plusieurs reprises les dérives de ce système ? "Il y a une partie de son programme que j'aime bien, mais je ne suis pas fan de son aspect trop social. En tant qu'indépendant, je paie déjà 22% des charges, et je n'en vois pas les avantages. Et j'ai peur qu'avec lui, les cotisations sociales augmentent ". 

"C'est dur d'avoir 20 ans en 2020", disait Emmanuel Macron. Deux ans plus tard, la situation ne semble guère s'être améliorée. Selon l'Insee, les moins de 30 ans sont les plus touchés par la pauvreté. En Gironde, dans cette tranche d'âge, il sont 22,6% à vivre avec moins de 1 103 euros par mois. 

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