Prouver son agression pour se protéger: témoignage d'une victime de violences conjugales à Bordeaux

Comment se prémunir contre les attaques de son conjoint ou de son ex-conjoint quand la justice est elle-même débordée ? Depuis quelques années, la société civile trouve des solutions et notamment le boîtier anti-agression connecté. Rencontres avec une utilisatrice et sa créatrice.

Marie Christine Renaudeau arbore fièrement son pendentif. Ceux qui ne la connaissent pas ne pourraient se douter de ce qu'il renferme, mais pour les autres, ce bouton d'appel d'urgence savamment dissimulé, n'est que le lien à jamais de la boulangère bordelaise à son passé. 

Quinze ans de violence et un procès 

Mariée à un homme violent, Marie-Chistine Renaudeau découvre les premiers coups à la naissance de sa fille. "Pas informée, pas écoutée , dans un tunnel" comme elle le dit, elle se sent piégée dans ce mariage pendant quinze ans.
D'autant plus coincée qu'elle est au contact de cet homme 24 heures sur 24, car ils gèrent ensemble un commerce dans l'agglomération bordelaise. Comment s'extirper de cette situation sans qu'il en soit au courant et que les coups ne redoublent ? Car il est déjà très difficile d'en parler à une autre personne, et "Quand les volets et les portes sont closes, on ne sait pas ce qui se passe" se souvient-elle. Mais un jour, un ami policier aura les mots qui mettront fin à cette mortelle promiscuité.

Il faut absolument que tu enregistres, c'est ce qui te sauvera.

Un ami policier de Marie-Christine Renaudeau

Quand le 31 décembre 2015, son mari essaye de la tuer et menace de mort son enfant, elle a eu le temps de déclencher la fonction d'enregistrement de son téléphone. Elle peut aller porter plainte avec preuves à l'appui: "C'est cet enregistrement qui a permis sa détention de 3 mois et la mise en place de l'interdiction de m'approcher". 

Ce premier pas est décisif mais pas définitif, "dès qu'il sortait de prison ou du commissariat, c'était la catastrophe, le stress et on me traitait de parano, alors qu'avec l'instruction, il s'est avéré qu'il était constamment près de moi".
Car Marie Christine et sa fille sont traquées, harcelées et vite repérées alors même qu'elles n'ont aucune adresse officielle, si ce n'est celle de l'avocate. Durant deux ans, l'ordonnance de protection ne suffit pas et ses manquements à son obligation d'éloignement sont légion. Il faudra un deuxième procès aux Assises de la Gironde pour condamner cet homme à cinq ans de prison, et surtout rendre à sa première victime sa sérénité. 

Le jour du procès, quand j'ai entendu coupable, la peur s'est évanouie. Je me disais, maintenant s'il m'arrive quoi que ce soit, il y a l'expertise des psychiatres qui dit qu'il est dangereux pour moi.

Marie-Christine Renaudeau

Reconnue victime et aux prises toutes ces années d'un ex-mari violent, Marie -Christine peut reprendre sa vie là où elle l'avait laissée.

Une nouvelle vie dans l'action: faire prendre conscience de l'importance de la preuve

Désormais, Marie-Christine Renaudeau fait connaître son histoire auprès d'associations de femmes battues et milite activement pour que celles-ci trouvent les ressources de se battre et de collecter des preuves afin de faire avancer les procédures.

Depuis quelques temps, elle a appris l'existence du bouton "alerte agression" et ne le quitte pas. Car si elle n'a plus peur d'avoir une vie publique, d'apparaître dans les journaux et de se connecter aux réseaux sociaux pour faire avancer la cause des femmes battues, elle dit volontiers "il faut se mettre en avant tout en se protégeant, je peux encore être la cible demain". 


Ce bouton, qu'elle porte en pendentif, la relie à son téléphone via une application. Elle en a tenu informé les plus proches qui seront contactés si elle devait courir un danger, pourrait lui porter assistance ou contacter les secours "On peut mettre jusqu'à cinnq personnes. Si demain je m'en vais à Paris, je change mes contacts et prends des amis parisiens qui seront informés par sms" dit elle.
Mais surtout, ce bouton permet de faire en deux clics une démarche essentielle "Si j'ai un doute et que je ne suis pas rassurée j'enregistre les appels téléphoniques avec la fonction enregistrement", car ce petit pressoir permet de déclencher l'enregistrement sur le téléphone sitôt qu'il est activé.
 

Promouvoir ce procédé

Depuis quelques temps, dans sa boulangerie "le pain de la rennaissance", à Bordeaux, Marie-Christine Renaudeau organise des campagnes de sensibilisation à la cause des femmes violentées et une récolte de fonds. Un tronc demeure à l'année à côté de la caisse et trois fois par an (Novembre, février et juin), elle vend les pains "ruban noir", dont les recettes sont reversées à la Maison d'Ella pour laquelle elle se mobilise énormément.
"Je récolte jusqu'à 1000 euros, et cette année, cela va me permettre de pouvoir acheter plus d'une vingtaine de bouton anti agression. "
 

Consciente du manque de moyens légaux à portée des femmes battues, elle est aujourd'hui convaincue de l'efficacité de ce moyen parrallèle. "Quand je vois ce qui existe", soupire-t-elle, "qu'on nous mette quelque chose qui marche". "Moi sans mon enregistrement je ne serai pas là aujourd'hui" conclue-t-elle. 

Les dispositifs légaux d'alerte en Gironde 

Depuis le mois de février est mis en oeuvre la délivrance de bracelets anti-rapprochement à l'intention des personnes violentes. Ces mesures coercitives sont ordonnées soit avant un procès par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention. Soit, au moment du jugement par décision du tribunal correctionnel.  Soit au moment de la remise en liberté du prévenu par le juge de l'application des peines.

Il existe également la possibilité d'une mise en place d'un bracelet anti-rapprochement par le juge aux affaires familiales, dans le cadre d'une ordonnance de protection. 

Problème, il n'y a, à l'heure actuelle, que six bracelets anti-rapprochements pour toute la juridiction. 

Pour ce qui est du téléphone Grand danger mis en place depuis 2015 dans la juridiction bordelaise, une soixantaine de femmes ont pu en bénéficier. Le tribunal de Grande Instance de Bordeaux n'en possède que 24 et 20 sont déjà attribués. 

La nécessité de moyens alternatifs 

Quand Dominique Brogi crée sa marque de boutons anti agression en 2016, elle pense s'adresser à un public assez large. Très rapidement, elle prend conscience du vide abyssal qui existe en matière de protection des femmes battues, au contact d'une magistrate qui a été confrontée au pire: le meurtre d'une femme et de sa fille par un homme violent et connu des services de police et de la justice. La présidente du tribunal d'Auxerre permet la première expérimentation en 2018 en permettant l'accès à ces boutons d'alerte à 50 femmes, par le biais de l'association départementale aux victimes. 

Par la suite Dominique Brogi est mise en contact avec France victimes et signe de nouvelles conventions. Ainsi l'association de médiation et d'aide aux victimes du Vaucluse s'en procure une 50 aine, expérimentation validée par le Président du Tribunal d'Auxerre. Et enfin en Seine et Marne, les juridictions de Meaux, Melun et Fontainebleau sont équipées de 100 dispositifs.

Aujourd'hui la créatrice de ce procédé ne comprend pas pourquoi les pouvoirs publics ne popularisent pas plus vite un procédé économique qui a fait ses preuves.

"Un téléphone grand danger coûte 6000 euros en moyenne pour la collectivite, alors que pour ce prix là i y aurait 150 boutons alerte agression disponibles

Dominique Brogi, créatrice du bouton "Mon Sherif"

A l'heure actuelle, 10 000 de ses dispositifs sont en service, 90% sont utilisés par des femmes. 

Désormais elle continue de travailler avec d'autres créateurs pour aller toujours plus loin et parfaire son procédé, notamment la créatrice d'une application qui rend des preuves infalsifiables. Car la preuve, on y revient, c'est bien le nerf de cette guerre contre les violences. 

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