Réchauffement climatique. Plus acide, exposé aux champignons, boirons-nous toujours du vin de Bordeaux en 2050 ?

Accroissement des risques de sècheresse, prolifération des maladies de culture, avancée de la période des vendanges… Les prévisions des scientifiques vont considérablement bouleverser la production de vins bordelais, déjà touchée par le dérèglement climatique, et obliger la filière vitivinicole à se réinventer.

Les prospections des scientifiques pour les années à venir ne sont guère réjouissantes. Selon les données communiquées par le portail Drias, la température moyenne observée l'été à Lesparre-Médoc, par exemple, pourrait augmenter de quasiment 2 degrés. Les précipitations, quant à elles, pourraient passer de 160 à 151 millimètres, à la même période.

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Des vins plus forts et acides

En février, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, appelait la France à se préparer à des hausses de températures de 4 degrés dans tout le pays. Une évolution progressive, d'ici à 2100, qui aurait des incidences directes sur le développement de la vigne. Certains se veulent pourtant plus mesurés. C'est le cas de Jean-Christophe Barbe, professeur d'œnologie à Bordeaux Sciences Aggro : "Si les prévisions du Giec se vérifient, l'encépagement bordelais devrait nous permettre d'aller jusqu'en 2050 aisément. En revanche, c'est en 2030 qu'on prépare le changement de demain."

Inéluctablement, les conséquences du réchauffement climatique devraient néanmoins se faire ressentir sur la végétation et la production. "Les hivers plus chauds vont entraîner un débourrement [l'ouverture des bourgeons, NDLR] plus précoce, avec des risques d'épisodes de gelée printanière, développe Romain Warneys, chargé d'études sur le réchauffement climatique à la chambre d'Agriculture de Gironde.

Si les bourgeons gèlent, ils ne donnent pas de grappe. Cela peut amener à une perte de la capacité de production.

Laure Cayla, directrice Nouvelle-Aquitaine de l'Institut français du vin et de la vigne

à la rédaction web de France 3 Aquitaine

Cette fragilisation des vignes et l'augmentation des températures caniculaires viendront altérer la composition même du raisin. En cause, "un mûrissement dans des conditions beaucoup plus estivales". "Les équilibres sucres/acides dont dépendent le type et la qualité des vins produits, risquent d’être fortement modifiés", pointe le rapport du comité scientifique AcclimaTerra, publié en 2018.

Ce qui pourrait se répercuter, d'un côté, par une intensification du degré d'alcool et, de l'autre, par une perte d'acidité. "Les vins blancs vont manquer de fraîcheur, les vins rouges de rondeur", indique la directrice régionale de l'Institut français du vin et de la vigne, Laure Cayla. En résulterait un profil de vin "loin d'être idéal", abonde Romain Warneys. 

Double peine pour le Merlot

La hausse des températures bouleverse également la période des vendanges, déjà avancée. Elle intervient  30 à 40 jours plus tôt qu'à la fin du XXe siècle. 

Paradoxalement, certains vins ont pu profiter des températures plus douces, comme l'explique le chargé d'études au réchauffement climatique. "Dans les années 2000, beaucoup de Bordelais ont vu la hausse des températures comme une bonne chose, car on arrivait à maturité sur des cépages avec lesquels on avait habituellement plus de mal, comme avec le Cabernet Sauvignon", se souvient-il

En revanche, pour le Merlot, qui possède, de fait, un cépage naturellement précoce, c'est la double peine. "Avant, la maturation du raisin se faisait de septembre à octobre, note Romain Warneys. Les températures étaient plus faibles, il y avait un bon équilibre. Maintenant, cette maturation se fait au mois d'aout et le raisin doit donc être ramassé encore plus tôt."

La majeure partie des vignerons vont devoir s'adapter. Mais comment ? Selon Laure Cayla, directrice Nouvelle-Aquitaine de l'Institut français du vin et de la vigne, "on s'adapte déjà" : "On peut corriger les caractéristiques des raisins, réduire leur teneur en sucre, désalcooliser, acidifier… Mais il s'agit de techniques d'adaptation ponctuelles, lorsqu'on est déjà confronté au problème. L'idée est plutôt d'anticiper demain."

Des pistes expérimentées

Le rapport d'AcclimaTerra, dédié à l'anticipation des changements climatiques en Nouvelle-Aquitaine, formule des pistes pour les années à venir. Par exemple, jouer sur "la répartition spatiale des cultures", en sélectionnant des "parcelles plus fraiches et plus tardives" pour des cépages plus précoces, comme le Merlot.
Romain Warneys, lui, distingue trois grands leviers d'adaptation : la plantation de nouveaux cépages plus tardifs, la modification des modes de conduite d'implantation et l'évolution des méthodes de vinification, comme par exemple, l'utilisation de levures à bas rendement d'alcool, par exemple.

Toutes ces pistes envisagées sont déjà à l'étude, notamment dans les vignobles expérimentaux. Le Vinipôle de Bordeaux-Aquitaine par exemple, dont l'implantation a débuté en octobre, vise à "anticiper des modèles et les évaluer" pour donner des clés aux producteurs. "Ça a la vertu de montrer aux vignerons en place ce que donnerait tel cépage dans le contexte bordelais, d'observer les maladies et le comportement des vignes", éclaire Laure Cayla.

S'adapter tout en respectant les contraintes sanitaires

Le défi, et pas des moindres, reste d'arriver à faire face à tous ces changements, tout en réduisant l'impact environnemental de la filière vitivinicole. Car si le mildiou — qui se développe lorsque les fortes chaleurs sont accompagnées de pluie — pourrait disparaître par la diminution des précipitations en été, ce n'est pas le cas de toutes les maladies de culture.

"On pourrait s'attendre à une recrudescence de l'oïdium [un champignon, NDLR], qui adore les températures élevées", détaille Laure Cayla. Or, "il faudra traiter plus, mais avec des produits encore moins impactants pour l'environnement qu'aujourd'hui, indique-t-elle. C'est un gros volet de nos études."

Pour autant, les experts se veulent positifs. 

Oui, en 2050, on sera toujours capable de faire de grands vins.

Romain Warneys, chargé d'études sur le réchauffement climatique à la chambre d'agriculture de Gironde

à la rédaction web de France 3 Aquitaine

"Les prochaines décennies devraient être gérables, pour peu que les prévisions ne soient pas dépassées", estime Jean-Christophe Barbe, spécialiste d'œnologie. 

Quant à l'identité des vins de Bordeaux d'ici 2050, elle devrait être préservée. "Ils seront toujours dans les clous du Bordeaux, même si ça nécessite tout un mouvement pour définir ce qu'est un Bordeaux, formule Romain Warneys. J'étais invité à une table ronde, et même entre experts, on en avait tous une définition bien différente."  Les évolutions de consommation sont également à prendre en compte. "Les vins qu'aimaient vos grands-parents ne sont pas forcément les mêmes que ceux que vous appréciez aujourd'hui, les choses semblent évoluer", rappelle Laure Cayla.

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