Des supermarchés aux trottoirs, enquête sur le "proto" à Bordeaux, un "gaz hilarant qui ne fait plus rire personne"

Depuis quelques mois, impossible de ne pas constater les capsules de protoxyde d'azote jonchant les trottoirs de Bordeaux. Ce gaz, vendu librement pour faire de la chantilly, est de plus en plus utilisé comme drogue. À forte dose, il peut entraîner des troubles neurologiques, jusqu'à la paraplégie.

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Longtemps cantonné aux soirées des étudiants en médecine et des "free party", le protoxyde d'azote s'est récemment répandu massivement en France, et notamment à Bordeaux ces derniers mois. 

Si aucun chiffre n'est encore disponible pour étayer cette hausse de consommation, une simple observation permet de constater la présence de nombreuses capsules dans les caniveaux de certaines artères, comme les boulevards. 

Les services de nettoyage et les bailleurs sociaux en sont aussi les témoins, ce qu'ils ont signalé à la municipalité. 
 


Et le 24 septembre dernier, un adolescent de 17 ans a trouvé la mort lors d'un accident de la circulation dans le tunnel du boulevard Antoine Gauthier au niveau de la barrière St-Genès, sur les boulevards. 

Selon une source proche de l'enquête, le conducteur du véhicule, âgé de 34 ans, était en train de respirer du protoxyde dans un ballon d'une main, tout en conduisant de l'autre. Au moins une dizaine de capsules de gaz ont été retrouvées dans sa voiture. 
 

Un drame qui souligne la dangerosité de cette substance, dont la commercialisation et l'usage, si détourné soit-il, ne connaissent pour l'instant aucune restriction. 

Une drogue en vente libre 

Mais qu'est-ce que le protoxyde d'azote ? Il s'agit d'un gaz normalement utilisé en milieu hospitalier pour ses propriétés anesthésiantes, mais aussi en cuisine, pour fabriquer de la chantilly au siphon. Sous cette forme, c'est un simple produit industriel, dont la vente est totalement libre. 

Il suffit d'ailleurs de se rendre dans un supermarché pour s'en procurer, comme le montre la photo ci-dessous que nous avons réalisée dans un commerce de Bordeaux.


Après que la capsule a été "crackée", c'est-à-dire perçée grâce à un "cracker" ou bien un siphon, le gaz est transvasé dans un ballon puis respiré. Les effets euphorisants sont très fugaces, ils ne durent que le temps de l'inhalation du produit. 

Leur prix de vente est relativement faible, autour de 50 centimes la capsule. De très nombreux sites internet permettent aussi de s'en procurer moins cher, pour des plus grosses quantités. C'est également le cas chez les grossistes alimentaires.

Des gérants de bars et d'établissement de nuit ont aussi flairé le filon, et se sont mis à proposer du "proto" à leurs clients à Bordeaux, selon des informations que nous avons collectées. 

Un produit longtemps jugé "inoffensif"... 

"Nous avions constaté le développement de l'utilisation du protoxyde d'azote dans les milieux estudiantins depuis une dizaine d'années" indique le docteur Jean-Michel Delile, addictologue et président du CEID à Bordeaux. 

Le protoxyde est alors principalement consommé ponctuellement comme drogue par les étudiants de 18-22 ans, ainsi que dans les rave-party. 

"On ne connaissait pas de risque d'addiction avec un usage très ponctuel, ni les conséquences possibles sur la santé" poursuit le psychiatre, qui ajoute que le protoxyde est alors jugé par les consommateurs comme "tout à fait inoffensif". 

... qui peut entraîner des troubles jusqu'à la paraplégie 

"Un changement radical est survenu il y a deux à trois ans, avec l'apparition d'addiction et de consommation massives, de dizaines voire centaines de capsules par jour", poursuit Jean-Michel Delile. "On s'est rendu compte que des gens y prenaient goût" .

Depuis, le protoxyde est "à la mode". Et ses utilisateurs se multiplient, "notamment dans les quartiers populaires" et rajeunissent, "entre 15 et 25 ans", ajoute le spécialiste. 
 

Le protoxyde est un gaz hilarant qui ne fait plus rire personne. Il est perçu comme tout à fait anodin, alors que son usage peut être très dangereux

Jean-Michel Delile, addictologue à Bordeaux

Mais la consommation importante de protoxyde n'est pas sans risques. Elle génère en effet une carence en vitamine B12, un "neuro-protecteur". "De nouvelles complications sont apparues, avec des atteintes neurologiques, qui commencent par des vertiges et fourmillement dans les bras, pour aller jusqu'à des paralysies et paraplégies", déplore le docteur. 
 

Fin 2019, l'OFDT, l'observatoire français des drogues et toxicomanies, relève dans un rapport que "depuis janvier 2019, 25 signalements d’effets sanitaires sévères ont été notifiés au réseau d’addictovigilance français, spécialement des pathologies neurologiques graves, avec des séquelles pour certains cas."
 

L'influence du confinement ? 

La hausse de la consommation de protoxyde ces dernières années semble s'est accélérée pendant le confinement.

"Comme le protoxyde restait disponible alors que d'autres drogues, comme le cannabis, l'étaient moins, certains consommateurs ont pu se tourner vers ce produit", analyse Jean-Michel Delile.

L'impuissance de la justice 

Pour l'instant, rien ne permet d'interdire la vente ou la consommation de protoxyde d'azote, même pour les mineurs. "Nous sommes face à un vide juridique", déplore la vice-procureure au parquet de Bordeaux Mona Popescu. 
 

Tant qu'il n'y aura pas de loi ou au moins d'arrêté municipal sur cette question, nous ne pourrons rien faire

Mona Popescu, vice-procureure de la République à Bordeaux

Vers une interdiction ?

En décembre 2019, les sénateurs ont adopté une proposition de loi interdisant la vente aux mineurs. Mais le texte s'est ensuite "perdu dans la navette parlementaire", reconnaissait Olivier Verran en juillet dernier, cité dans un article de Public Sénat. 

Plus récemment, en septembre 2020, Gérald Darmanin a indiqué sa volonté de faire "interdire purement et simplement l'utilisation des cartouches et capsules de protoxyde d'azote" dans une interview accordée au Parisien. 

En attendant la loi, de plus en plus de communes adoptent des arrêtés pour restreindre l'usage du protoxyde, comme Montpellier et Toulouse il y a quelques jours.

C'est aussi le cas à Bordeaux, où des interdictions de vente aux mineurs et de consommation sur l'espace public sont imminentes. 
 
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