Témoignage. "Je me suis sentie humiliée par l'Éducation nationale" : mère d'une ado atteinte d'autisme sévère, elle dénonce la stigmatisation

Publié le Écrit par Jean Poustis
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Louise, 15 ans, souffre de troubles du spectre de l'autisme (TSA) sévères et non-verbal. Sa mère, Aïcha, a dû se former pour s'occuper de sa fille à la maison. Aujourd'hui, elle souhaite montrer sa vie . Son association AutisMeGuider forme les parents pour accompagner et faire progresser leur enfant.

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C'est une vidéo de quelques secondes. On y voit Louise, 15 ans, assise à table. Hors-champ, sa maman lui présente des images, que l'adolescente tente de nommer.  Grenouille, bateau, chaise... les mots peinent à sortir. "Glace. Ssss... Regarde ma langue, ma bouche", lui conseille sa mère en lui présentant une nouvelle carte. 

L'adolescente ne parle pas, mais mère et fille, parviennent, tant bien que mal, à communiquer. "Ce qu'on peut lire dans les livres ou voir dans les films, ce n'est pas l'autisme que subissent près de 90% des familles ayant un enfant autiste", constate Aïcha Ghembaza. La mère de famille s'appuie sur son expérience depuis une dizaine d'années. Depuis le diagnostic "d'autisme sévère non-verbal" de sa fille, Louise, sa vie a radicalement changé. Cette "autodidacte", comme elle se définit, travaillait avec les enfants, dans la restauration, dans l'événementiel, "j'ai été DJ, j'ai fait de la post-production".

En 2012, elle démissionne, quitte Toulouse où elle réside pour l'Ariège. Après une mauvaise expérience à l'école, elle fait le choix de l'école à la maison, avec le CNED.  "C'était très éprouvant". Elle se forme à l'autisme avec EDI Formation, "l'une des meilleures sur les troubles du spectre de l'autisme", pour pouvoir enseigner à sa fille. "La théorie, c'est bien, mais la pratique par contre, ça s'est avéré catastrophique. Je n'avais pas la bonne verbalisation et d'autres éléments pour permettre à ma fille de progresser".

"Humiliée" par l'Éducation nationale

Alors en 2017, elle décide de tout plaquer pour venir s'installer en Gironde, à Gradignan. "L'Education Nationale m'a tout de suite dit non pour ma fille. Je me suis sentie humiliée". Dans une école privée catholique de Canéjan en Gironde, on lui propose de "prendre sa fille 45 min par semaine. Il fallait que je paye l'accompagnement d'élève en situation de handicap (AESH) et que je m'occupe des transports."

L'école ne voulait pas qu'elle prenne les mêmes transports que les autres élèves.

Aïcha Ghembaza

Mère d'une enfant autiste

Face aux difficultés, elle décide en 2019 de complètement prendre en charge la scolarité de sa fille. "J'avais des éducateurs spécialisés, mais c'était deux heures par ci, deux heures par là. Et avec eux, la situation se détériore, alors que quand j'avais ma fille seule pendant les vacances, il y avait des progrès". 

L'appui de professionnels formés indispensable

Mais à cette époque-là, Louise ne dort presque jamais, se jette littéralement contre les murs. Elle souffre de problèmes somatiques. "La majorité des médecins refuse de nous recevoir", se souvient sa mère. Heureusement, un rendez-vous avec une nutritionniste va tout changer. "Elle nous a dit qu'il y avait des problèmes gastro, intestinaux. Qu'il fallait faire très attention à son alimentation. Nous avons notamment compris qu'elle était intolérante aux œufs, et donc les problèmes somatiques se sont réduits".

Sa fille fait également des crises d'épilepsie nocturne. "Je dois la surveiller tous les soirs. Elle peut faire des crises dans l'heure après son endormissement". Quand les crises ont commencé, Aïcha, a été très irritée par les propos des soignants. "On m'a dit qu'elle ne pourrait pas faire beaucoup de choses. Ça m'a blessée alors, je lui ai rapidement appris à faire du vélo. Aujourd'hui, elle fait de l'escalade, elle sait nager". Autant de fiertés pour sa mère, qui documente les progrès de sa fille sur les réseaux sociaux. 

Toutes ces avancées, Louise les a aussi réalisées grâce aux soutiens de professionnels formés à l'autisme. Depuis 2021, une psychologue supervise Aïcha deux fois par mois, trois heures à chaque séance. "Ca m'a permis de comprendre mes erreurs, de réajuster, de me guider, de savoir quels outils utilisés ? Comment communiquer avec elle ?"

Avec l'aide d'une  éducatrice spécialisée,  formée à l'autisme au Canada et en Belgique, Louise progresse. Elle sait désormais se servir un verre d'eau, prendre une galette de riz. "Ce sont des choses banales, mais pour un enfant autiste, c'est très compliqué".

Un long chemin vers l'autonomie

Dans sa recherche de professionnels, Aïcha va également croiser le chemin de l'orthophoniste. Et les progrès sont également là. "Louise, qui a un autisme sévère non-verbal, s'exprime", se réjouit sa mère.

Elle me dit bonjour maman, où je veux du pain s'il te plaît. C'est juste merveilleux d'entendre tout ça.

Aïcha Ghembaza

Petit à petit, l'évolution de Louise se poursuit. Elle dispose aujourd'hui d'un peu d'autonomie. "Elle peut s'habiller toute seule, cela a pris des mois", admet Aïcha.

Ce parcours de Louise, Aïcha le retrace dans le documentaire "Trop belle pour ce monde". Elle le réalise avec Jérémy Trellu, caméraman et monteur. "C'est l'occasion de montrer la réalité de l'autisme. Il faut oser le montrer. Aujourd'hui, trop de gens sont en souffrance, très stigmatisés et ils ont peur du regard des autres". Elle montre sa fille au quotidien : du tout départ, la naissance, les crises en 2019 et l'apprentissage récent.

Un documentaire sélectionné dans 28 festivals

Ce documentaire de 15 minutes a été sélectionné par 28 festivals. Il a obtenu 11 prix, dont un dans un festival très renommé en Australie. "Trop belle pour ce monde" sera également à Cannes, dans un festival de documentaire "Entre 2 marches", spécifique au handicap, en mai. "C'est extraordinaire ce qui nous arrive. Nous sommes très suivis sur les réseaux sociaux. Et face à ce succès, nous tournons actuellement la suite. Cela va montrer une Louise complètement différente".

Autre projet pour Aïcha, un documentaire plus long avec tous les professionnels qui suivent Louise (AESH, psychologue, orthophoniste...). "On la verra en train de faire de l'escalade, de la piscine, du vélo. Et surtout avoir la parole de ces professionnels, c'est primordial pour faire comprendre les TSA". 

Un manque de professionnels formés à l'autisme

Avec ces films, Aïcha sensibilise le grand public au trouble du spectre de l'autisme et "aux possibilités de garder nos enfants à la maison. On doit nous faire confiance. Les mettre dans des instituts ou dans des hôpitaux de jour, où souvent les professionnels sont mal ou pas formés ? Aucun intérêt". Aujourd'hui, elle demande plus de soutien pour les familles, notamment financier. 

Actuellement, la prise en charge de l'État est nulle. Moi, j'ai dû pratiquement tout payer.

Aïcha Ghembaza

 

Elle dénonce le manque de professionnels parfaitement formés à l'autisme. "J'ai eu beaucoup d'éducateurs qui restaient 24 à 48 heures chez moi et qui abandonnaient. Beaucoup de médecins ne savent pas prendre en charge". Elle aimerait, entre autres, "qu'une année de spécialisation aux troubles du neurodéveloppement ou aux troubles du spectre de l'autisme soit ajoutée dans les écoles d'éducateurs et les universités en psychologie". Alors pour aider les familles, elle décide de créer une association AutisMeGuider. 

Désormais, elle forme gratuitement les familles depuis juillet 2022. Cinq modules de formation sont proposés, même aux grands-parents et à certains professionnels. "Il faut aujourd'hui de gros moyens pour se former. J'ai voulu apporter ce que j'ai appris toutes ces années".

Son association compte aujourd'hui une quarantaine d'adhérents en Gironde. "C'est toute l'année l'autisme. Certaines familles sont tellement livrées à elles-mêmes. Et elles veulent s'investir pleinement pour soutenir leur développement, alors on les appuie", résume-t-elle.

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