[TÉMOIGNAGES] Quartier Saint-Michel à Bordeaux : face à l'insécurité grandissante, "la situation est une poudrière"

Très touchés dans leur quotidien, les riverains du quartier Saint-Michel à Bordeaux attendent des solutions face aux agressions quotidiennes et à la présence en nombre de dealers dans certaines rues de jour comme de nuit. La peur et la colère montent.

Le quartier populaire de Saint-Michel, dans le centre de Bordeaux, est le théâtre quotidien de rixes entre bandes rivales et de trafics de drogues qui se font désormais en plein jour, sans complexe, dans les rues, aux yeux et à la vue de tous. De nombreux riverains ne se sentent plus en sécurité face à une délinquance très agressive. Leurs témoignages sont édifiants et inquiétants.

►"On a laissé l'espace public aux dealers" 

Nathalie, 50 ans, habite rue des Pontets depuis cinq ans et le quartier depuis 15 ans. Elle aime Saint-Michel, un vrai choix de vivre ici. Mais aujourd'hui, elle est partagée et elle s'interroge sur le fait de déménager. "Ma fille de 17 ans qui est scolarisée au lycée Montaigne, est régulièrement importunée par de jeunes dealers quand elle rentre à la maison. Elle a peur et elle veut partir. Le bas du cours Victor Hugo, et entre la place Saint-Michel et les quais, c'est devenu très problématique", constate-t-elle.  Au quotidien, ce sont "des remarques sexistes quand on est une femme, des insultes homophobes".
Depuis un an, Nathalie est régulièrement le témoin d'agressions violentes. Pas simple à vivre.

En octobre dernier, un jeune homme s'est fait poignarder devant moi dans ma rue. J'ai dû appeler la police et j'ai dû aller témoigner au commissariat.

Nathalie, 50 ans, habitante du quartier Saint-Michel

Et puis, il y a eu "ce bain de sang le 11 mai dernier" poursuit-elle. Dans la rue des Pontets, il y avait un squat utilisé par des dealers et connu des services de police. Un soir, une trentaine d'invidus se sont affrontés munis de barres de fer, de clubs de golf et de sabres japonnais. Depuis, la préfecture a fait fermer le squat.

Au lendemain de la rixe, des habitants de la rue ont créé le collectif Saint-Mich. "L'idée : partager les ressentis et les adresses des autorités via une page Facebook, et envoyer un maximum de courriers pour dénoncer cette situation auprès de la préfète de Gironde, de la procureure de la République et de la police" explique Olivier Beau, membre du collectif. "Pendant le confinement, on évitait de sortir après 15 heures car les dealers étaient dans la rue".


► La situation est très anxiogène, "on paye le prix fort"

Fin août, une caméra de vidéosurveillance a été installée au bout de la rue des Pontets au niveau de la petite place Pierre Molinier. "C'est plus calme ces derniers jours. Mais d'habitude, les dealers s'installent dans la rue à partir de 15 heures et font leur trafic devant tout le monde. Rue des faures, ils sont carrément assis sur des chaises sur la chaussée. On baisse les yeux quand on passe devant eux car ils sont très agressifs avec les habitants. Ici, on a tous été victimes de cambriolages". Nathalie est troublée de raconter son quotidien à Saint-Michel. "Vivre ici, c'est très différent que d'y venir le week-end au moment du marché. Je sors la journée mais pas le soir. C'est très compliqué pour mes enfants. Quand ma fille sort, soit elle dort sur place, soit son frère de 20 ans va la chercher".

Aujourd'hui, ça ne nous viendrait pas à l'idée de nous asseoir au café du coin avec les enfants et bavarder avec les voisins. La rue n'est plus à nous.

Nathalie, 50 ans, habitante du quartier Saint-Michel

Selon Olivier Beau, sur la place Meynard au pied de la flèche Saint-Michel, il n'y a pas grand monde, les gens ne viennent plus ici.

En bas de ma rue ( rue des Pontets), le trafic de drogue se fait 24 heures sur 24. Quant à la rue des Faures, c'est devenu sinistre, il n'y a plus de vie depuis le confinement à cause du trafic en plein jour. La police n'est pas en mesure d'assurer notre sécurité. 

Olivier Beau, membre du collectif d'habitants de Saint-Michel


 

► Qui sont "ces jeunes dealers" ?

Identifiés par les riverains et les autorités, "ces jeunes dealers" sont des MNA, des mineurs non accompagnés, étrangers qui arrivent à Bordeaux depuis plusieurs mois, mélangés aux flux de migrants.
Originaires d'Afrique du nord pour la plupart (Algérie, Tunisie et beaucoup du Maroc), ces mineurs sans famille et sans argent ont souvent été "des victimes" eux mêmes, explique Olivier Cazaux, le nouveau maire de quartier Bordeaux-Sud.
 

Nous voulons mettre en place une médiation auprès de ce public très fragile pour faire de la prévention et les sortir des réseaux mafieux qui les exploitent. C'est de l'esclavage moderne. Des trafiquants les utilisent pour vendre leur drogue, voler à la tire. Par ailleurs, ces jeunes sont eux mêmes drogués, ce qui les rend très agressifs et rend le contact difficile.

Olivier Cazaux - maire du quartier Bordeaux-Sud -


"Récemment, nous avons découvert un réseau de prostitution de jeunes garçons mineurs dans un squat du centre-ville, quatre adultes et trois mineurs ont été interpellés".
 


► Les habitants attendent "des solutions musclées"

Dans les prochains jours, Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux a annoncé la mise en place d'un CLSPD, un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. "C'est dans ce cadre que des médiateurs de rue spécialement formés vont aller à la rencontrer de ces MNA dans les squats, repérés du côté de la place de la Victoire, dans le secteur de la gare et autour de la porte de Bourgogne" précise Olivier Cazaux.

De l'efficacité de la médiation, Olivier Beau du collectif Saint-Michel, n'y croit pas. "Car ces jeunes délinquants sont très agressifs. On les voit tous les jours squatter le parvis du parking des Salinières sur les quais, qui doit rouvrir le mois prochain. Ils avalent des comprimés à longueur de journée. Comment établir un contact avec eux dans ces conditions ? Je me demande comment vont faire les médiateurs de rue". Le collectif aimerait des solutions plus musclées. "La présence renforcée de policiers par exemple et davantage de contrôles, notamment au niveau de la porte de Bourgogne, serait souhaitable. La situation se dégrade vite et il va finir par arriver quelque chose de dramatique", s'inquiète Olivier Beau. "Saint-Michel est une poudrière".

Ça va dégénérer car les gens sont excédés, les tensions sociales sont très fortes et puis ces jeunes ont une impunité car ils sont mineurs. Si ça continue, les habitants vont finir par se défendre eux-mêmes.

 

Olivier Beau, membre du collectif Saint-Michel

► Les commerçants travaillent avec la peur au ventre

Driss Ben Haddou est président de l'association des commerçants de Saint-Michel. Sa boutique de décoration est installée depuis 1998 sur la place Meynard. Il a été cambriolé en février dernier. La caméra installée dans sa boutique a filmé des jeunes hommes en train de voler.

J'ai peur de me faire agresser ou accoster sur la place. Le quartier est devenu trop violent. Ce n'était pas comme ça avant. Cela fait cinq ans qu'il a y ce type de problèmes et c'est pire depuis le confinement.

 

Driss Ben Haddou, président de l'association des commerçants de Saint-Michel

Driss Ben Haddou est un peu désespéré, car ça fait des années qu'il dénonce cette situation à la mairie, à la préfecture et à la police. Aucune politique à long terme n'a été mise en place par les précédents maires. Malgré la peur et la difficulté à travailler dans ces conditions, il aimerait des actions auprès de ces jeunes et "pas que du répressif". "Il faut combiner répression et prévention pour sortir ces jeunes de la rue et les prendre en charge, car on voit bien qu'ils sont aussi des victimes. Il faut une politique au niveau national, car ça ne touche pas que Bordeaux. Il y a beaucoup de très jeunes hommes qui arrivent du Maroc, leur prise en charge doit se faire avant qu'ils n'arrivent en France. Le gouvernement français doit passer un accord avec le Roi du Maroc".

Les commerçants aimeraient que "le quartier retrouve son calme" car la clientèle ne vient plus sur Saint-Michel, et le commerce en est très impacté. Une rencontre avec la nouvelle équipe municipale est prévue.

► Que peut faire la police ?

Les riverains interrogés par France 3 saluent les interventions de la police nationale dans le quartier. Sont-ils assez nombreux ? Depuis fin août, les opérations policières se multiplient en journée pour des contrôles d'indentité. "Le problème auquel on se heurte, c'est que ces jeunes n'ont pas de papiers. Du coup, on ne peut pas établir leur identité et leur âge exact. Certains sont mineurs mais d'autres ne le sont pas. Résultat : on les interpelle et ils sont relâchés en suivant. Il faut une réponse judiciaire des magistrats, faire évoluer le code pénal," demande Philippe Roland du syndicat de SGP FO 33.
Selon les chiffres avancés par la procureure de la république Frédérique Porterie début juillet et la police, ces individus seraient entre 50 et 100.

Dans la nuit de mardi 1er à mercredi 2 septembre, il y eu une nouvelle agression au couteau place Casablanca, face à la gare Saint-Jean. Deux hommes ont été agressés en rentrant chez eux par deux jeunes qui les ont suivis depuis Saint-Michel. L'une des victimes présente une blessure à l'épaule gauche qui a nécessité 22 points de suture, et l'autre a eu la joue gauche coupée en deux. On sait que ces sont des MNA qui ont commis cette agression mais on ne peut rien faire, déplore le policier syndicaliste. Et il confirme lui aussi que les secteurs Gare Saint-Jean, place de la Victoire et Saint-Michel font face à une séries d'agressions violentes ces derniers mois avec une nette aggravation depuis le confinement.
 

[VIDEO] Voir notre reportage sur l'insécurité dans le quartier Saint-Michel ►

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