Témoignages. "Je vis au rythme des bombes" : entre peur et résignation, ces Libanais expatriés appellent la France à réagir

Publié le Écrit par Julie Chapman
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Théâtre des combats menés entre l’armée israélienne et le Hezbollah, le sud Liban est sous le feu des bombes depuis fin septembre. Une “guerre de plus” pour les Libanais installés en Gironde ou dans les Landes, qui oscillent entre inquiétude pour leur famille et résilience. Les autorités libanaises évaluent à plus de 2 000 le nombre de personnes tuées en un an dans leur pays.

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Fadi Diab appelle sa mère et sa sœur chaque semaine. “Je suis inquiet, mais j’ai la chance qu’elles vivent dans une région protégée des combats”, explique ce médecin à la retraite de Gironde. “Pour l’instant, là où elles sont, il n’y a pas de pénurie alimentaire ou d’essence.” 

À plus de 4000 km, les Libanais expatriés en France regardent chaque jour ces informations venues de leur pays natal, les frappes israéliennes, les réponses du Hezbollah, les populations déplacées. Depuis le 23 septembre, 1100 personnes ont été tuées dans le pays.

Aider de loin

Hikmat Chahine, lui, consulte les réseaux quotidiennement. Il regarde “en temps réel” les vidéos du quotidien de ses compatriotes et échange avec sa mère et sa sœur, restées au Liban. “Il y a des familles qui dorment dans la rue parce qu’il n’y a plus de places dans les écoles ou les couvents. Avec l’hiver qui arrive, cela s’annonce très compliqué, surtout que nous n’avons aucune visibilité”, constate le Libanais, installé en France depuis quarante ans et maire de Tercis-les-Bains, une commune des Landes.

Très âgée, sa mère ne peut être rapatriée en France. “Elle ne peut pas marcher plus de trois mètres. Si elle avait pu, elle serait déjà là comme elle l’a fait pour les autres guerres”, assure Hikmat Chahine. Alors, il tente de les aider, malgré la distance. “On essaie de trouver des solutions, mais envoyer de l’argent reste très difficile, parce qu’il n’y a plus vraiment de système bancaire”, reconnaît le maire de Tercis-les-Bains. 

 Je vis au rythme des bombes et des morts.

Fatmé Al Sabsabi Dupuy

Franco-libanaise

Fatmé Al Sabsabi Dupuy, elle, veut se rendre au Liban, au plus vite. “Je ne suis pas rentrée depuis dix mois. Ça n’a pas été possible en septembre, j’espère qu’en novembre l’aéroport sera toujours ouvert”, souffle cette Franco-libanaise, installée en France depuis 1986. Toute sa famille vit dans le nord du pays. Protégée, elle accueille une famille libanaise de onze personnes, qui a fui le sud du pays. “Pour l’instant, la guerre n’est pas arrivée jusqu’à eux même si on apprend qu’il y a des frappes de plus en plus au nord”, raconte la franco-libanaise.

Par ses sœurs ou les réseaux sociaux, elle constate, impuissante, l’effondrement de sa capitale. “C’est très dur. On voit des quartiers entiers être rasés, des immeubles s’effondrer au centre même de Beyrouth. Il faut vraiment cesser cette guerre atroce”, implore celle qui a déjà connu la guerre civile libanaise, étant enfant.

Avec d’autres Libanais, ils se relaient pour acheminer des “valises de médicaments, de bonbons ou d’argent”. “C’est la seule façon aujourd’hui de les aider. Il faut que quelqu’un s’y rende avec toutes ces affaires, sinon les colis n’arriveront jamais”, explique-t-elle.

"Plus petit que la Gironde"

Depuis le début de la guerre, environ 1,2 million de Libanais ont fui les zones de combats, selon l’ONU. “Il y avait déjà des réfugiés palestiniens, des israéliens ou syriens. Aujourd'hui, s’ajoutent les Libanais du sud et les places manquent”, constate Hikmat Chahine. 

Le Liban est plus petit que la Gironde. Sans état ni président, il ne peut pas accueillir tout ce monde.

Fatmé Al Sabsabi Dupuy

Franco-libanaise

Un afflux massif de réfugié que le pays ne serait pas capable d’absorber. “On vient tout juste de sortir d’une crise économique majeure et il faut être prêt pour la guerre. Mais on n'en a pas les infrastructures pour l’instant”, ajoute Hikmat Chahine.

Dans le pays, la crise économique débutée en 2020 aurait appauvri 90 % de la population. “Un professeur d’université gagnait avant la crise 3 000 dollars. Aujourd’hui, il en gagne 300”, illustre Fadi Diab, le médecin à la retraite. “Malgré tout, les Libanais ne se sont pas révoltés, personne n’a protesté devant leur chef politique”.
Le frère de Fatmé a, lui aussi, vu son salaire divisé par dix. “Il a un salaire de 180 dollars par mois, pour un chef d’établissement scolaire. Avec sa femme, ils ont du mal à acheter de la nourriture”, détaille la Franco-libanaise. 

Il n’y a pas d’électricité, ils ne peuvent pas se doucher.

Hikmat Chahine,

Maire de Tercis-les-Bains

Aujourd’hui, ses compatriotes vivraient encore dans un quotidien précaire. “Les pharmacies ne vendent plus de médicaments. Nous avons, au mieux, de l’électricité deux heures par jour. On est obligé d’acheter de l’eau et tout l’argent des banques a été volé”, regrette Fatmé Al Sabsabi Dupuy. 

Jamais connu la paix

À Bordeaux, l’association AquiCèdre accueille et accompagne les étudiants libanais venus faire leur scolarité en Gironde. Pour ces jeunes Libanais, la guerre est une source d’angoisse quotidienne. “Nous sommes profondément touchés par la situation. Le quotidien est devenu un immense défi pour beaucoup”, reconnaît Khalaf Tarek, le président de l’association. Depuis la France, ils tentent d’aider leur famille. “Même si on est loin, on essaie de faire des dons, de soutenir des associations humanitaires, mais notre rôle, c’est d’aider les étudiants ici”, rappelle Khalaf Tarek.

Cela fait cinq années éprouvantes qu’ils vivent, entre l’explosion du port, la crise économique et politique et maintenant la guerre.

Khalaf Tarek,

Président d'AquiCèdre

Car parmi ces jeunes, “qui n’ont connu que la guerre”, l’intégration sociale devient rapidement secondaire. “On essaie de les rassurer, de voir si leur famille au Liban va bien. Avec un million de déplacés, beaucoup s'inquiètent que leur famille en fasse partie. Ils se sentent démunis”, soupire Khalaf Tarek. L’association envisage d’ailleurs de créer un pique-nique pour “qu’ils puissent échanger sur ce qu’ils vivent”.

Cinquante ans de guerre

Loin des discours belliqueux, le maire de Tercis-les-Bains prône un message de paix teinté de fatalisme. “Ça fait cinquante ans que l’on vit ces guerres, sans trouver de solution concrète”, regrette l’édile landais qui veut encore croire à une paix future. 

Un discours également prôné par les étudiants libanais. “Il faut favoriser un dialogue avisé pour mettre fin aux souffrances de tous ces innocents. On sait tous que la guerre ne règle rien”, explique celui qui côtoie chaque jour “des jeunes qui n’ont jamais connu leur pays vraiment en paix”. 

La vie d’un Palestinien, d’un Israélien ou d’un Libanais a la même valeur. On ne peut pas continuer d'exterminer tout le monde.

Hikmat Chahine,

Maire de Tercis-les-Bains


Résigné autant que résilient, Fadi Diab, lui, envisage déjà la fin de ces attaques, sans croire à la paix. “On a vécu des décennies de guerre. On y est habitué. Ça finira par s’arrêter et on survivra jusqu’à la prochaine”, constate-t-il, fataliste.

La paix, la génération de Fatmé Al Sabsabi Dupuy ne l’a pas non plus connue. “J’aurais aimé que les armes du Hezbollah n’existent pas, qu’Israël fasse la paix avec le Liban”, soupire-t-elle. Moins optimiste que certains de ses compatriotes, elle redoute une offensive israélienne. “On parle du Sud Liban aujourd’hui, mais jusqu’où comptent-ils aller avant de s'arrêter ou d'être arrêtés ?”

"Mère tendre"

Quasi silencieuse, la colère de nombreux Libanais se tourne aujourd’hui contre leur propre état. “On est les dindons de la farce. Nous n’avons pas d’identité nationale, ce sont des identités communautaires. Au sein même du pays, les uns ont peur des autres. C’est la peur qui fait le socle de chaque communauté”, regrette le retraité qui dénonce également une “vampirisation” du pays par la classe dirigeante. “Ils se transmettent le pouvoir de père en fils sans aider le pays”.

L’absence de manifestation, pour Khalaf Tarek, relèverait surtout du désespoir. “Les jeunes quand ils viennent, ils sont désespérés de la vie politique au Liban. Ils n'ont plus d’espoir”, regrette celui qui s’est installé en France il y a huit ans. Si son association se veut areligieuse et apolitique, Khalaf Tarek espère une aide de la France. “On compte sur elle pour qu’elle puisse un jour avoir un role-clé dans la construction de la paix, en tant qu’ami historique du Liban”, indique-t-il. 

Surnommée au Liban la “mère tendre”, la France fait en effet partie des minces espoirs de paix que conservent les Libanais. “Avant, nous avions des discussions claires entre nos deux pays. Aujourd’hui, le positionnement n’est plus assumé. La France a failli dans son rôle de mère”, regrette la franco-libanaise. 

Elle regrette que les médias et les politiques français et européens ne “parlent pas assez des civils du Liban qui n’ont rien demandé”. “Il y a un traitement à deux vitesses”, regrette-t-elle. “C’est comme si tout le monde avait peur de froisser Israël. On peut quand même dire qu’on est contre une guerre sans être contre un pays ou un dirigeant”, s’interroge Fatmé Al Sabsabi Dupuy.

Pris "en otage" entre deux camps et deux causes, ces Libanais espèrent encore "un réveil" de la communauté internationale et en particulier de l’Union européenne, avant “que le Liban soit définitivement un champ de ruines”. Régulièrement présenté comme résilient, le peuple libanais tire aujourd’hui la sonnette d’alarme. “On peut en effet renaître de nos cendres. Mais pour cela, il faudrait arrêter ces cendres”, assure Fatmé Al Sabsabi Dupuy.

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