Un greffier se suicide, ses collègues alertent sur leur détresse et leurs conditions de travail : "on parle de vies qui sont en danger !"

Lundi 10 juin, un greffier du tribunal judiciaire de Bordeaux s’est donné la mort. Un acte désespéré qui serait lié à des conditions de travail dégradées et une pression constante sur ces agents de la justice. Deux enquêtes, pénales et administratives, sont ouvertes. Pour les syndicats, l’urgence d’une réaction est indispensable.

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Ils sont “la colonne vertébrale des tribunaux”. Au tribunal judiciaire de Bordeaux comme ailleurs, les greffiers assistent les magistrats et authentifient les actes juridictionnels. Ce métier, Philippe l’exerçait depuis plus de vingt ans.
Après des années au pôle protection et proximité, dans un cabinet de tutelles du tribunal judiciaire, il venait d’être muté au pôle social, ancien tribunal des affaires sociales. Un service qu’il a trouvé désert. “Personne n’était là pour le former aux procédures, tous étaient en arrêt maladie”, confie Caroline Larché, secrétaire régionale de l’Unsa Services judiciaires et elle-même greffière. Les dossiers à traiter, eux, étaient déjà très nombreux.

Trois ans de retard

Dans ce service, il y aurait trois ans de retard dans les dossiers. Désœuvré, “abandonné”, Philippe n’aurait pas réussi à affronter cette nouvelle épreuve. “À midi, après une matinée de travail, il a indiqué à un collègue qu’il ne se sentait pas bien. Il a pris toutes ses affaires personnelles avant de rentrer chez lui et de se suicider”, raconte Caroline Larché.

Il se levait très tôt, se couchait très tard, ne mangeait plus.

Caroline Larché

greffière, secrétaire régionale Unsa Services judiciaires


Le cas de Philippe est pourtant loin d’être isolé. Depuis la réforme de 2020 engageant la fusion entre les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance, qui a permis de créer les tribunaux judiciaires, les conditions se sont dégradées dans tous les services. “Ils sont en sous effectifs chroniques. Au tribunal judiciaire de Bordeaux, il manque douze personnes”, regrette la greffière.

“Faire des choix”

Dans ce métier habituellement discret, le manque de personnel se cumule aux enjeux éthiques liés, à des pressions constantes. “On ne sait jamais trop à quoi va rassembler nos journées, on doit pallier les urgences en cas d’absence d’un collègue. On doit faire des choix entre les dossiers parce qu’on ne peut pas tous les traiter en même temps”, indique Caroline Larché. 

Des arbitrages douloureux pour ces agents, qui avaient choisi ce métier pour “ses valeurs, son sens, comme celui d’aider les personnes et la société”. Malgré l’accélération constante du traitement des dossiers, les affaires s’accumulent. “Si on va trop vite, c’est le risque d’erreur judiciaire qui est présent”, rappelle Caroline Larché.

Ces dossiers, ce sont des personnes qui attendent que la justice se prononce pour un litige avec un bailleur, un surendettement ou le placement en tutelle d’un tiers par exemple. Ça fait mal de devoir sélectionner.

Caroline Larché,

Greffière, secrétaire régionale de l’Unsa Services judiciaires

Pourtant, ces agents confient ne pas compter leurs heures pour répondre “aux chiffres imposés par la hiérarchie” et aux “attentes des administrés”. “Nous sommes la justice du premier niveau, au contact des personnes, une armée de l’ombre qui fait tourner un énorme pan de la justice française”, avance la greffière bordelaise.

Des rôles clés qui manquent de “reconnaissance”, “abandonnés” par l’État.“Les gens appellent pour vous engueuler, les avocats ne sont pas contents. C’est nous qui prenons tout, jamais les ministères qui dictent les conditions des services”, regrette Caroline Larché.

Un audit demandé

Autre facteur que pointent les syndicats pour expliquer ces conditions de travail : la “paupérisation” de l’agglomération de Bordeaux. “Cette situation entraîne une augmentation des conflits de proximité, de délinquance, des tensions sociales en général qui se retrouvent inévitablement entre les mains de la justice”, argumente la greffière.

Depuis quatre ans et l’avènement de la réforme, greffiers et agents des services judiciaires tirent ainsi la sonnette d’alarme."Il y avait tellement de marqueurs objectifs. Nous avons alerté au niveau national et régional”, fulmine Caroline Larché, attestant d’une “sidération” au sein du tribunal depuis lundi.
Ici, tous espèrent que le choc provoqué par le suicide de Philippe va faire bouger l’administration. “Il ne faut plus que ça se reproduise. On parle de vies qui sont en danger”, souffle Caroline Larché.

Il y a une vraie colère envers le système et la casse de la justice qui y est organisée. On ne veut plus de blabla et de grandes messes inutiles.

Caroline Larché,

greffière, secrétaire régionale de l’Unsa Services judiciaires

Dans les couloirs du tribunal de Bordeaux, une demande est faite, inlassablement. “On voudrait un audit qui permet aux agents de s’exprimer sur leurs conditions de travail, leur besoin, des retards et qu’on trouve des solutions concrètes”, martèle la secrétaire régionale de l’Unsa Services judiciaires.

Deux enquêtes ont été ouvertes. La première, pénale, ouverte par la procureure de Bordeaux devrait faire la lumière sur les circonstances de la mort de Philippe. Une seconde administrative, pilotée par le comité social d’administration (CSA), va chercher à comprendre les raisons de ce suicide et doit mettre en lumière les conditions de travail dénoncées par les syndicats. La semaine prochaine, une période de deuil sera observée, accompagnée par une psychologue.
En France, Philippe est le quatrième greffier à s’être suicidé, depuis le début de l’année.

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