Le coworking va-t-il accompagner une nouvelle façon de travailler qui a émergé depuis la fin du confinement ? Et si ces deux mois de confinement avaient été le déclic pour entamer une petite révolution dans notre rapport au travail ? En ville, en périphérie ou à la campagne, retour de tendances.
Il existe depuis plus de 20 ans mais la France ne faisait pas partie de ses plus grands fans. Pourtant la crise du coronavirus a imposé le télétravail à plus de 8 millions de Français.
Pour certains, cette réorganisation forcée a été vécue comme un calvaire : 44% des français estimeraient être en "détresse psychologique" selon une étude commandée par le cabinet de conseil Empreinte Humaine, spécialisé dans le bien-être au travail. En cause, les conditions de travail pas toujours idéales. Moins d'un travailleur sur deux a pu s'isoler chez lui pour travailler pendant le confinement.
D'où l'enjeu sur l'espace et le lieu de travail qui prennent tout à coup tout leur sens. Et les entreprises et associations qui proposent des locaux de coworking l'ont bien compris. Proposer un espace intermédiaire entre le domicile et le bureau pourrait devenir la solution, aussi bien pour répondre aux besoins de bien-être des travailleurs qu'à ceux des entreprises en quête d'alternatives pour une reprise d'activité efficace.
Un espace dynamique en ville
En retard sur son voisin anglais (Londres reste le leader européen en termes d'espaces dédiés au coworking), la France a mis du temps à mettre le pied à l'étrier. Dans un article publié sur le Journal du net, Eric Siesse, directeur général adjoint de BNP Paribas Real Estate, l'explique par "une montée en puissance moins fulgurante de l'entrepreneuriat au sein de la culture française", couplée à "une sous-offre de bureaux" et à "un besoin de centralisation toujours très présent".Pourtant, la tendance au développement d'espaces de coworking prenait, déjà avant la crise sanitaire, un coup d'accélérateur. Rodolphe Guyon, dont le statut de "directeur immobilier flexible" laisse envisager la création d'un nouveau concept de marché des espaces de travail, est employé par Néo-Nomade, une plateforme de recencement des lieux de coworking. Pour lui, c'est certain, les mentalités évoluent: "le confinement a fait prendre conscience que travailler dans un autre endroit que le bureau était possible. Les gens ont pris conscience de la qualité de vie qu'ils pouvaient avoir. Je ne suis pas devin mais je pense que l'on verra les retombées sur le long terme".
La plateforme existe depuis 2010 et recence plus de 1000 partenaires. Elle s'est implantée dans les grandes métropoles françaises, notamment à Bordeaux où elle recence plus de 25 établissements proposant un espace de coworking.
Plusieurs offres émergent alors, donnant lieu à la création d'un véritable marché où tout le monde devrait y trouver son compte.
Avec la crise Covid-19, les grandes entreprises cherchent à rebondir rapidement. L'espace de coworking devient une solution à la distanciation sociale imposée pour dédensifier les bureaux, mais aussi un levier d'optimisation foncière pour les entreprises qui ne souhaitent pas se réengager sur des baux lourds et difficiles à assumer sur le long terme dans le contexte actuel.
Pour le géant Spaces, gestionnaire d'espaces de travail présent dans près de 400 villes dans le monde entier et implanté à Bordeaux dans le quartier Euratlantique depuis septembre 2019, le mot d'ordre est donné: la flexibilité. "Depuis la réouverture nous proposons de revoir les contrats de nos abonnés, d'étaler les échéances... Nous voulons que chaque travailleur puisse s'y retrouver", explique Lina Scally, en charge de l'accueil des nouvelles entreprises sur le site. Parmi elles, le mastodonte européen du bricolage ManoMano.
Mais pas besoin d'être une multinaltionale pour tester le coworking. Des cafés, des petits restaurants, des galeries ont également ouvert dans le centre-ville bordelais pour accueillir les travailleurs indépendants, les associations ou les petites entreprises. Une clientèle moins évidente car plus fragile en pleine crise. "Pour l'instant, la situation est encore instable pour beaucoup de monde. Certains de nos habitués ont vu leur situation professionnelle et financière se précariser donc l'abonnement ne devenait plus une priorité, d'autres ont encore leurs enfants à la maison et ont du mal à se libérer... Et puis tout simplement, beaucoup ont encore peur de revenir travailler en dehors de chez eux à cause du virus", explique Nathalie Le Roux, responsable de La Ruche dans le quartier Gambetta.
Rouverte depuis le 12 mai dernier, l'entreprise employant 3 salariés et 2 personnes en service civique, a vu son nombre d'abonnés diminuer de 15%. Les regards se tournent vers septembre où le rythme devrait reprendre après une crise sanitaire et l'annuelle période creuse de l'été.
S'étendre en périphérie
En imposant le télétravail à autant de professions que possible, le confinement a encouragé la démocratisation du travail à distance. Les foyers se sont davantage équipés et familiarisés avec les outils numériques et ont cherché à s'adapter à ce nouveau rythme de travail. Résultat : pour certains employés, travailler à la maison ou proche de leur domicile est appparue comme une révélation pour un nouveau mode de vie. Diminuer le temps de trajet quotidien pour se rendre au travail, passer plus de temps en famille, être plus autonome... Si au mois de mars l'adaptation a plutôt été subie, les solutions qu'y ont trouvées certains travailleurs ont eu valeur de déclic. Et les entreprises y trouveraient aussi leur compte. D'après une étude partagée sur le ministère de l'économie et des finances, un salarié en télétravail est 15% plus efficace.À ce titre, les espaces de coworking ont tout intérêt à étendre et à multiplier leurs lieux de travail pour répondre à une demande a priori grandissante. Par exemple, "de plus en plus d'hôtels aux abords des grandes villes se mettent à proposer ces espaces", constate Rodolphe Guyon.
Capter la demande sur le territoire périurbain c'est bien l'objectif. Parmi ses six sites en métropole bordelaise, l'entreprise Spaces a ouvert une antenne à Mérignac: "c'est proche de l'aéroport et cela permet aux travailleurs en escale et aux voyageurs de courte durée de trouver un bureau d'appoint", explique Lina Scally.
Un autre modèle en zone rurale
Le secteur tertiaire, comprenant l'essentiel des employés mis au télétravail pendant le confinement, ne se limite pas aux grandes métropoles. Depuis quelques années, des initiatives de coworking ont vu le jour un peu partout sur le territoire néo-aquitain, à l'instar d'Arrêt-Minute, une association à but non lucratif capable d'accueillir 50 coworkers sur ses deux sites implantés à Coutras et à Libourne. Là-bas, l'ambiance et le fonctionnement y sont très différents: "nos abonnés ont leur clé, on se connaît et ils viennent quand ils veulent, personne n'est là pour les surveiller", explique Catherine Coste, bénévole de l'association à Coutras. Ici, pas de permanence, les 150m2 disponibles suffisent à respecter les distances sanitaires et un roulement est assuré même pendant les vacances pour que le centre reste toujours ouvert. "Nous avons plusieurs demandes depuis le déconfinement, nous en avons acceptées quelques unes formulées par des personnes que l'on connaisait, mais pour l'instant on attend le mois de juin pour ouvrir les inscriptions aux autres", explique Jacques Honoré, membre de l'association en charge à Libourne. Sur une fourchette allant de 25 à 60 ans, les abonnés de cet Arrêt-Minute ne sont que pour 1/3 des libournais. Les autres viennent d'un périmètre alentour allant jusqu'à 30 km.
Pour Marie-Laure Cuvelier, secrétaire générale de France des Tiers lieux la notion de coworking doit être bien définie:
Pour beaucoup de personnes, le coworking c'est synonyme d'un local où des gens qui ne se connaissent pas viennent travailler. Mais c'est beaucoup plus que ça, c'est une vraie manière de travailler où plusieurs secteurs d'activités peuvent se retrouver, tisser un lien de coopération. En ce sens, la notion de tiers-lieu permet d'être plus englobante et moins restrictive.
En 2015, on comptait que près d'un poste sur deux serait télétravaillable. L'enjeu réside alors dans la création d'espaces coopératifs sur l'ensemble du territoire et sur leur recencement, on en compte environ 200 sur la région et près de 2000 en France aujourd'hui. La question de soutenir ces démarches et de communiquer sur leur accessibilité devient primordiale pour les régions. "Nous avons constaté que pour les demandeurs d'emploi, ces espaces les réancraient dans une approche positive. Les personnes en reconversion y ont également leur compte puisqu'ils trouvent l'indépendance recherchée et parfois les personnes ressources pour passer à l'acte", explique Marie-Laure Cuvelier.
Un partage de compétences dans un même espace ou un lieu de transition. Le coworking propose une alternative au schéma traditionnel. Le sentiment d'appartenance à l'entreprise reste fort et il serait prématuré de croire que le mode de travail mobile pourrait être le modèle de demain. Cependant, plusieurs signes montrent que l'aménagement d'un rythme d'un ou deux jours de télétravail par semaine permettrait d'améliorer le bien-être au travail de l'employé tout en augmentant la productivité de l'entreprise.