Malgré la crise sanitaire, le nombre de créations d'entreprises en Gironde augmenté en 2020. Au-delà de la livraison ou du transport VTC qui ont la cote, certains ont fait le pari de créer un commerce ou d'ouvrir un restaurant. Avec un bilan mitigé.
Le sourire de Wilfried Jullien se devine derrière son masque. Depuis le 1er février, le jeune homme a ouvert sa boutique de cycles dans le centre-ville de Bruges, au nord de Bordeaux, la seule de la commune.
Un secteur porteur
"J'avais l'envie d'ouvrir cette boutique depuis longtemps, explique celui qui travaille dans le milieu du vélo depuis une quinzaine d'années. J'ai commencé les démarches fin 2019 début 2020, puis le confinement a tout stoppé".
A l'été, le jeune homme reprend, obtient des crédits auprès d'une banque. Le secteur est porteur : "On m'a expliqué que c'était beaucoup moins compliqué pour ce type de commerce que si j'avais décidé d'ouvrir un resto", reconnaît-il.
Depuis l'ouverture, les demandes de réparations, portées notamment par l'opération coup de pouce vélo affluent. "Je suis référencé comme réparateur sur le site officiel, explique Wilfried. Cela permet à beaucoup de gens de découvrir mon existence, sans que je n'aie eu besoin de me faire de la publicité. "
Profusion de micro entreprises
Se lancer pendant la crise, le pari peut sembler audacieux. Certes, le vélo à la cote ces dernières années, et d'autant plus depuis le premier confinement.
Mais le nombre de créations d'entreprise n'a pas flanché ces derniers mois. En dépit du contexte, il est même en augmentation en Gironde. Ainsi, selon une étude de la Chambre de commerce et d'industrie, elles ont même augmenté de 1 point par rapport à l'année 2019, avec 12 407 créations d'établissements. Mais ce chiffre révèle une réalité complexe. "Beaucoup de ces créations sont en réalité de l'auto-entreprenariat, précise la CCI. Avec, parmi eux, énormément de livreurs Deliveroo, Uberats… On a une explosion de demandes à ce niveau-là".
Autres secteurs qui en le vent en poupe : le transport VTC ou encore le commerce, alimentaire notamment. En revanche, les créations d'entreprises dans les domaines du BTP, de l'événementiel et sans surprise, de la restauration, sont en diminution.
Le pari risqué de la restauration
Pour autant, c'est bien le pari de la restauration que veulent relever Alexandre et Loren Bru, 29 ans chacun. Tous deux ont pris "un coup de massue" le 28 octobre. Lors d'une allocution aux Français diffusée à la télévision, le chef de l'Etat vient d'annoncer la fermeture administrative des bars et restaurants.
Le couple, elle est pâtissière, lui en cuisine, avait ouvert Sens, un restaurant gastronomique… la veille de ce deuxième confinement. Ce restaurant, situé barrière Judaïque à Bordeaux, c'était un rêve de longue date pour les deux conjoints, amorcé bien avant que le mot Covid n'apparaisse dans le langage courant.
"On ne s'y attendait pas, admet Alexandre Bru. Nous nous étions préparés pour respecter les distances, nous étions prêts à diviser la salle en deux Mais pas à une fermeture, d'autant plus que le pays était déconfiné tout l'été."
Un couvre-feu pénalisant
Une fois le choc absorbé, le couple rebondit et se renseigne sur les aides et le prêt garanti par l'Etat. Nouvelle douche froide. Ayant ouvert après le 30 septembre, ils ne rentrent pas dans les critères. Alexandre et Loren se lancent alors rapidement dans la vente à emporter, mais le couvre-feu instauré à 18 heures met un terme à leurs ambitions en la matière. " Jusqu'alors, on avait beaucoup de clients qui venaient à la débauche. Là, ce n'était plus possible", regrette Alexandre, qui arrête la vente à emporter à la mi-janvier.
Nous n'étions pas partis dans l'optique de gagner beaucoup d'argent. On voulait juste maintenir l'activité. Mais au final, on gagnait à peine, et on travaillait même parfois à perte.
Pendant ce temps, les charges s'accumulent. Les quatre employés et l'apprenti du restaurant sont au chômage partiel. Les prélèvements du fisc, le loyer… Le couple pioche dans son épargne, est aidé par sa famille, lance une cagnotte Leetchi… et croise les doigts.
"Le plus dur, c'est de ne pas savoir où on va", note Loren. "On a le sentiment d'agoniser. L'activité nous manque, plus le temps passe, et plus nous sommes inquiets", ajoute son mari.
Le nombre de cessations d'activité est... en baisse
En 2020, quelques 3,5 milliards d'euros ont été distribués à des entreprises girondines sous forme de prêt garanti par l'Etat. Le secteur des cafés hôtels restaurants représente 12% des bénéficiaires, contre près de 21% pour le secteur du commerce.
Des aides qui ont évité un effondrement de l'économie cette année, et même inversé la tendance : alors que beaucoup craignaient un deuxième semestre 2020 catastrophique, "seulement" 4 157 établissements ont été radiés l'an dernier, soit près de 30% de moins qu'en 2019.
"Le niveau de cessation d'activités, cette année, est très faible. On voit bien que malgré la crise sanitaire, le système palliatif mis en place a eu un impact sur l'activité", reconnaît la CCI.
Pour autant, la crainte de l'effondrement reste présente. "Il n'est pas normal qu'il y ait si peu de fermetures. Beaucoup d'entreprises survivent, car elles ont peu de frais de structure"
Quand ça va redémarrer, quand il n'y aura plus d'aides et un prêt à rembourser, le couperet va tomber.
"On ne lâchera pas"
Parce qu'ils ne sont pas concernés par cette échéance, et sans doute parce qu'ils se retrouvent déjà dans le dur, malgré des comptes dans le rouge, Alexandre et Loren veulent "rester positifs".
Sur les réseaux sociaux, la page du restaurant est particulièrement bien notée par les clients, et les avis très enthousiastes. Le couple a également pu apprécier la vie du quartier, les messages d'encouragement du voisinage et la solidarité de clients réguliers. De quoi leur donner du baume au cœur. "On ne lâchera pas de toute façon, promet Loren. Quoiqu'il arrive, on trouvera des solutions, mais on n'abandonnera pas".