Lendemain de grêle et constats amères pour de nombreux exploitants agricoles touchés par l'avarie. Si leurs structures impactées sont souvent assurées, se pose la question de leur production, qui elle ne l'est pas toujours et à quelle hauteur?
"On est détruits intégralement"
« On a 4 hectares de serres au sol » nous répond Anne Chamboissier quand nous demandons comment se porte l’exploitation horticole que son père a monté il y a 30 ans à côté de Coutras, dans le nord de la Gironde.
Romain Chamboissier, son mari, qui a repris l’exploitation de son beau-père, nous raconte les évènements « On a couru pour essayer de protéger, on s’est vite mis à l’abri et on a entendu et vu du verre partout. Les verres ont même traversé les tables de culture.»
Ça me fait penser à un film catastrophe. Les serres sont dangereuses par endroit mais c’est l’état de désolation de l’ensemble qui est terrible.
Romain Chamboissier, horticulteur
Avant de partir à la retraite Jean Pierre Malot a déjà vécu des épisodes de grêle, dont ceux de 91 et 99, rappelle-t-il à son gendre, mais les destructions étaient de 50 à 60%, « là c’est l’intégralité des serres » se désole Romain Chamboissier. Et plus encore que les serres, le système d’irrigation est également touché, les tuyaux sont sectionnés nets et hors d’usage.
« Là, j’ai pas accès à mes plantes, j’ai accès à des morceaux de verre »
La production est détruite par ricochet car elle se retrouve sous un amas de verre avec un système d’arrosage cassé ne permettant pas de l’entretenir.
Et après ce difficile constat, l’avenir est compliqué. Quand on pose la question au responsable de l’exploitation de savoir si elle était assurée, il répond « bien sûr », mais arrive bien vite la tempérance.
« On est assuré dans la mesure où l'on reconstruit, mais là c’est une structure qui a 30 ans qu’on a agrandit petit bout par petit bout », qui plus est, « avec de gros travaux l’année dernière et l’année d’avant ».
Depuis deux jours Romain Chamboissier, sa femme, son beau-père et son beau-frère ramassent le verre, évaluent et questionnent les assureurs et les techniciens de la chambre d’agriculture qui pourraient les aider. « On arrive à avoir des gens qui nous donnent quelques infos mais on ne sait pas comment repartir. Est-ce qu’on peut repartir à zéro ? ».
Cela reste la question ultime car il faut ici tout reconstruire.
"J’ai beaucoup perdu en plein champ mais c’était des petites balles de golf"
Guillaume Lafont vient tout juste de terminer sa formation « Jeune agriculteur » et il connait simultanément l’un des plus gros épisodes de grêle de ces dernières années. « J'ai jamais eu autant de cultures au jardin et ça fait mal au cœur d’avoir ça peut être réduit à néant en 15 minutes. »
Mais son optimisme ne le lâche pas « C’est pas la joie, après c’est encore un peu tôt pour dire si les cultures sont perdues ou pas. » Parmi elles, 960 plans de légumes à ratatouilles ratatinés. « Il ne reste que les tiges. De ce bloc de 600m² , je ne suis pas sûr de sortir quoi que ce soit ».
Et il continue de relativiser « J’ai un collègue à 10 km, à la Roche Chalais, lui, les bâches des serres sont complètement perforées. Une vingtaine de trous par m², c’est plus des bâches. De mon côté, j’ai beaucoup perdu en plein champs mais c’était des balles de golf. Lui des balles de tennis. »
Dans ce contexte d’incertitude, le plus important reste de prévenir d’éventuelles complications.
« J’ai un conseiller technique qui arrive demain. A partir du moment où il y a des plaies, les maladies peuvent rentrer ». Ce qui pose problème pour la production à venir de 1200m² de courges prévues pour l’automne et dont le feuillage a été arraché par la violence de l’intempérie.
Pour l’heure, Guillaume observe ses 1000 salades hachées menu et pense à un plan B:
On va essayer de ramasser quelques cœurs de salade et les vendre sur les marchés ce week-end en comptant sur la clientèle fidèle.
Guillaume Lafont, maraîcherSource 3 France 3 Aquitaine
Une gestion dans la débrouille, car le maraîchage est une culture très compliquée à assurer sur les récoltes.
« Le maraîchage c’est vraiment le parent pauvre de l’agriculture »
A Eysines, près de Bordeaux, Aurore Sournac pense elle aussi à vendre au plus vite sa production de légumes. Fort heureusement, avec son expérience de la vente en direct qui représente 80% de son exercice, elle sait qu’elle va pouvoir solder sa production auprès de consommateurs avertis et compréhensifs.
La grande surface, ma salade touchée par la grêle elle n’en veut pas, en AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), il y a beaucoup de communication.
Aurore Sournac, maraîchèreSource France 3 Aquitaine
Sur son exploitation, elle a 2 serres cassées à 40 et 50%. L’une est assurée avec en dessous tout ce qui est patate douce et fraise, mais pas l’autre car trop vétuste. « En 2018, on a eu la serre détruite à 100% avec les cultures dessous, on aurait jamais pu repartir sans être assurés. »
Mais tout comme Guillaume Lafont, ce qui pose problème est le plein champ. Elle nous explique : « Quand on est maraîcher diversifié, les serres peuvent être assurables. Après pour le plein champ, aujourd’hui, il n’y a aucune offre d’assurance. Il faudrait vraiment être spécialisé dans une culture pour que cela soit quantifiable. Des maraîchers comme nous où il y a des oignons des betteraves et patates sur 1ha, on n’a pas d’assurance ». C’est pourquoi elle milite pour que soit mieux pris en compte la question des maraîchers auprès des assureurs.
Si on lui demande si elle envisagerait d’installer des pare-grêle, la maraîchère nous répond « Non, on ne s’est pas posé la question, parce que c’est trop compliqué ». Elle reprend un peu blasée « Le risque climatique, tous les agriculteurs, on l’a intégré mais là ça devient trop compliqué. Du pare-grêle, là avec l’intensité de l’orage il n’aurait pas tenu ».
Mais elle s’inquiète quoi qu’il en soit des mois à venir « Comme on n’est qu’au mois de juin et qu’on attend d’autres orages violents, on risque de tout perdre. » Une année comme celle-là avec l’épisode de gel, de grêle puis le contexte financier, c’est très compliqué.
L'encadrement de la chambre d'agriculture
C'est le deuxième épisode de grêle en un mois que la chambre d'agriculture doit encadrer.
Son Président Jean Louis Dubourg, nous répond, "On a des ingénieurs qui sont sur le terrain. Pour l’instant, on a pas encore de chiffre précis. Déjà il faut attendre que l’épisode soit vraiment passé. En fin de semaine, on va pouvoir envoyer les questionnaires."
Des questionnaires qui ont déjà permis d'établir des statistiques, quant aux victimes de l’épisode de début juin : 2830ha ont eu plus de 30% de pertes, 67% des agriculteurs étaient assurés.
Cette fois ci, sur la zone de passage de la grêle, « toutes les productions végétales sont au moins touchées" nous dit-il. Cela concerne une petite partie de vignes de Gironde, du maïs du soja et la majeure partie du maraîchage.
Et Jean-Louis Dubourg a bien conscience de l'importance d'inciter les exploitants à assurer leur production: "Quand c’est une année de sinistre, en général, les gens s’assurent pour l’année suivante. Nous, on les incite toute l'année à bien gérer leur exploitation et l’assurance c’est un moyen de sécuriser l’exploitation. Après, c’est eux qui décident."
Cependant, il reconnait que le système d'offre des assurances actuels est cher et incomplet. Parmi ses missions existe celle de soutenir les syndicats agricoles qui militent pour modifier le système actuel. Celui-ci permet d’être assuré sur une moyenne olympique: On retire meilleure et pire année sur 5 ans d'activité. Et comme il le résume bien "Il suffit d’avoir 2 sinistres pour que cela fasse chuter la moyenne habituelle".
La chambre d’agriculture comme les syndicats souhaite que soit assuré le potentiel de la surface de production, et qu'ainsi « soit on oublie la moyenne olympique, soit on oublie les années où il y a eu des sinistres ».
Avec une réforme des assurances agricoles au 1er janvier 2023, les agriculteurs n'ont pas fini de faire les comptes.