Elle est plantée sur une terre de graves à l'abri des regards, à Ambares-et-Lagrave en Gironde : un simple trèfle fléché indique "la ferme découverte" de Jean-Noël et Chantal Pelette, sans mention du safran, l'épice la plus chère au monde. Une manne inespérée pour ce modeste couple d'agriculteurs.
Le propriétaire est pourtant intarissable sur l'histoire du safran qui le fait vivre depuis près de 10 ans.
"J'étais dans les premiers en Gironde à relancer l'activité" qui a connu un âge d'or entre les XIVè et XVIIIè siècles dans les provinces d'Aquitaine et d'Angoumois.
Jean-Noël Pelette déroule l'histoire de sa ferme horticole et celle tout aussi chaotique de "l'or rouge", venu du Népal avant d'essaimer dans tout le bassin méditerranéen.
Foisonnant dans l'Antiquité, le safran disparaît avec l'empire romain. Ses propriétés curatives le relance au XVè siècle pendant la grande peste. Il est encore exploité en laboratoire pour ses vertus antalgiques, anti-infectieuses, anti-coagulantes et anti-oxydantes.
La bible des connaisseurs, Le Livre du Safran, publiée en 1568, témoigne que l'Allemagne venait alors "se fournir chaque année en Charente pour une valeur de cent mille livres tournois".
Aujourd'hui, le kilogramme se négocie au prix de 30.000 à 40.000 euros.
safran ! Entre 150 et 200 fleurs pour un seul petit gramme", renchérit son épouse et associée.
A ce prix-là, le retour sur investissement est une manne pour tous les producteurs et une planche de salut pour certains comme l'illustre le parcours singulier du couple.
La ferme horticole familiale a résisté à toutes les guerres. Mais, à la fin des années 1990, la concurrence étrangère menace sa survie: "On faisait de la fleur mais ça ne payait plus avec la concurrence hollandaise ; il a fallu trouver autre
chose", raconte l'horticulteur girondin.
Un converti devenu prosélyte
Il rencontre André Pierronnet, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et cultivateur de safran en Gironde depuis 1979. "C'est lui qui m'a passé le virus", se souvient Jean-Noël Pelette.Le safran ne supporte pas l'humidité. La terre graveleuse et drainante d'Ambares-et-Lagrave est donc idéale.
La fleur mauve, au parfum délicat de frésia miélé, prolifère si bien et si vite que l'agriculteur devient "multiplicateur de ses propres cormes" ou bulbes, issus d'une souche du XVème siècle rapportée du Safranério, le Conservatoire du Quercy
dans le Lot.
Il en tire des revenus supplémentaires non-négligeables auprès de producteurs débutants venus des quatre coins de la région et de Scandinavie.
L'intégralité de sa production annuelle, "600 à 800 grammes", est transformée et vendue à la ferme, "pour un chiffre d'affaires annuel d'environ 21.000 euros".
La clientèle est française, britannique, suisse et libanaise. Un médecin saoudien "est même venu en avion et en taxi" pour faire ses emplettes, se souvient Chantal Pelette.
Les filaments desséchés se vendent aussi à l'état brut en pot de 0,5 gramme pour... 32 euros ou en gélules de 0,1 gramme pour six euros, de quoi parfumer un plat pour dix personnes, précise Chantal Pelette.
Mais, "ici, pas de safran en poudre comme en Iran, premier safranier mondial avec 200 tonnes par an où il peut être frelaté avec de la poudre de piments, de curcuma, de carthame et même du sable", explique-t-elle.
Il faut plus de 75.000 fleurs pour faire un kilogramme de safran. Les innombrables contrefaçons de ce produit de luxe ont donc incité l'ISO l'International Standardization Organisation, l'organisme international de normalisation des denrées alimentaires, à fixer ses propres normes pour le safran.
Celui des Pelette a été classé "qualité 1".