Deux ans après le drame, l’enquête piétine. « Je fais une demande à toutes les personnes qui sont susceptibles de savoir quelque chose de nous parler », demande leur fille. « Aidez-nous ! », supplie Margaux Muller.
La jeune femme a aujourd’hui 26 ans. C’est elle qui a découvert en premier le corps de ses parents. « C’est des flashs », dit-elle. « Cela revient souvent. Je n’éliminerai jamais ça de ma mémoire. J’aimerais penser à mes parents sans avoir ces images derrière ».
Dans la nuit du 14 au 15 décembre 2019, le couple est sauvagement assassiné. Les époux ont reçu plusieurs dizaines de coups de couteau, notamment dans la région du cœur et de la gorge. Sylviane Muller a été violée. Avant ou après sa mort, le doute demeure.
Deux ans après les faits, l’enquête est au point mort. Natacha et Margaux, les deux filles du couple, organisent mercredi 15 décembre une cérémonie pour leur rendre hommage. Elles demandent à ce que des moyens supplémentaires soient alloués aux enquêteurs « pour arrêter ce qu’on peut appeler des criminels barbares ». « Ils sont dans la nature, et ce n’est pas normal », dénonce Natacha Muller. Leurs avocats pointent, eux, les lacunes de l’enquête.
« Savoir qui et pourquoi »
Notre équipe a rencontré les deux jeunes femmes à Bordeaux. Toutes deux travaillent et se voient « autant que possible ». Agées de 26 ans et 30 ans, Margaux et Natacha Muller, sont hantées par le drame qui a frappé leur famille qu’elles décrivent comme « fusionnelle ». « Une famille parfaite qui a été détruite par on ne sait qui et qui a tout gâché », dit Margaux.
« Moi cela m’a changée », avoue Natacha. « Je n’arrive plus à être triste, à pleurer. Je suis, comme on dit, devenue une pierre. J’ai un blocage émotionnel. On peut dire que mon cerveau n’accepte pas ».
Les deux filles du couple Muller organisent une cérémonie mercredi 15 décembre et invitent tous ceux qui le souhaitent à déposer une gerbe de fleur sur la tombe de leurs parents. « On n’a pas mis d’horaire précis pour que ceux qui travaillent puissent venir quand ils le souhaitent », précise Natacha, soucieuse de rendre hommage à ses parents.
Certes, cela ne ramena pas nos parents mais ça nous ronge au quotidien de ne pas savoir
Une cérémonie, symbolique, mais surtout, ce que veulent les filles du couple Muller, c’est que l’enquête avance. « On aimerait bien que cela évolue et qu’on en sache plus pour pouvoir nous faire notre deuil », poursuit Margaux.
« Et aussi avoir une belle mémoire de nos parents, ne pas avoir que des ragots et tout ça ». A ces mots, on comprend bien que ces deux années ont fait des dégâts supplémentaires. Rumeurs, suspicions, accusations, et beaucoup de déceptions, les deux jeunes filles n’ont pas été épargnées.
« Cela va faire deux ans, et il y a des choses qui n’ont pas fini d’être traitées », analyse Natacha. « Donc on aimerait bien qu’il y ait plus de moyens déployés et mis à disposition des enquêteurs pour qu’ils puissent avancer ».
De nombreuses pistes explorées mais aucune retenue
L’enquête a été confiée aux gendarmes de la section de recherche de Bordeaux. Des profileurs de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ont été appelés en renfort. Contactée, la gendarmerie nous a renvoyé vers le parquet de Bordeaux. Et celui-ci nous a répondu qu’il ne pouvait communiquer,
Aujourd'hui, l'enquête piétine. Ces deux dernières années de nombreuses pistes auraient été explorées. D’autant qu’aucune trace d’effraction n’avait été relevée chez le couple Muller, laissant alors envisager que les victimes connaissaient leur bourreau.
Sur place les enquêteurs n’auraient relevé qu’un profil masculin inconnu et une trace de semelle. Les avocats de Margaux et Natacha Muller dénoncent des manquements lors des prélèvements réalisés sur la scène de crime.
« Tous les moyens n’ont pas été mobilisés dès le départ" (Me Dupin)
Maître Arnaud Dupin est l’avocat de Natacha et Margaux Muller. Il était l’invité du 19/20 en Aquitaine ce mardi 14 décembre.
Il dénonce des imperfections dans la manière dont l’enquête a été menée. « C’est vrai qu’il y a quelques éléments qui permettent de dire que peut-être que tous les moyens n’ont pas été mobilisés dès le départ, que la scène de crime n’a pas été suffisamment gelée (…)", affirme l'avocat.
"Il ne faut pas oublier que cette maison a été visitée alors qu’il y avait des scellées qui étaient à poser. Et puis on attend depuis près de deux ans des recoupements téléphoniques qui permettront de savoir quelles sont les personnes qui étaient présentes ce jour-là ».
Selon l’avocat, Margaux et Natacha Muller « ont été complètement tenues à l’écart de cette enquête, et il y a eu des fuites qui sont apparues dans la presse (…) ».
« On s’est imaginé que c’est un crime qui avait été commis dans un environnement proche », déclare-t-il. « On ne s’est pas posé les bonnes questions. On a raisonné avec des hypothèses et puis finalement il faut, deux ans après, rebattre les cartes et essayer de se dire que peut-être la piste sur la vie de ces gens ce n’est peut-être pas la bonne. Donc, c’est un peu gênant parce que celles qui ont subi et qui ont souffert au travers de tout cela ce sont les enfants et elles veulent simplement des réponses qu’elles n’ont pas encore aujourd’hui ».
Sur le fait que les enquêteurs ne disposeraient que d’une trace de semelle et d'un profil masculin inconnu, Me Dupin répond qu’il y a « peu d’éléments mais il y a quand même tout un tas de choses qui doivent être recherchées. Il faut se poser les questions", dit-il. "Il faut simplement raisonner différemment et ne pas se dire qu’on a peu d’indices aujourd’hui. Il faut se dire quels moyens on va mettre en place pour retrouver un meurtrier extrêmement dangereux qui a tué deux personnes dans des conditions effroyables.
Et cette personne elle peut être là ici au coin de la rue, dans le village, ou tout simplement peut être qu’elle a recommis d’autres crimes.
Maître Arnaud Dupin - avocat des deux sœurs Muller-France 3 Aquitaine
"On ne veut pas entendre parler de l’absence de moyens", poursuit le conseil de Natacha et Margaux Muller. "Il faudra se battre. Mais il faut aussi qu’on donne des moyens aux gendarmes qui ont besoin d’avancer, voire même de mobiliser des équipes extrêmement pointues car on ne peut pas se dire que deux ans après la seule chose que ces jeunes filles peuvent faire, c’est fleurir la tombe de leurs parents parce qu’elles veulent tout simplement avoir le nom de cet assassin ».