La psychiatrie face à l’épidémie de coronavirus : les inquiétudes des soignants de Cadillac en Gironde

Vivre avec la maladie mentale, pas facile dans un univers encore plus confiné que d’habitude en raison de la crise sanitaire liée au coronavirus. Les soignants sont inquiets comme à Cadillac, en Gironde. C'est le plus grand hôpital psychiatrique de la région. 

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L’hôpital psychiatrique de Cadillac en Gironde, situé à 30 kilomètres de Bordeaux, n’échappe pas aux nouvelles contraintes imposées par la crise du coronavirus.
 
Depuis le 19 mars, l’établissement de santé a mis en place une organisation dont l’objectif est « Zéro Covid-19 ». 
Pour Daniel Habold, directeur de la santé publique à l’Agence régionale de santé, " C’est un peu comme dans les EPHAD, un seul mot d’ordre : le confinement. Ne pas desserer le confinement, c’est la seule façon de s’en sortir. Nous avons renforcé les dispositifs de visio-conférence pour le suivi des malades avec les psychiatres".

À Cadillac, les visites et sorties sont interdites jusqu’à nouvel ordre. Deux unités spéciales sont prêtes à accueillir des patients contaminés. Jusqu’à présent, aucun cas de Covid-19 n’a été signalé.

Daniel Habold, directeur de santé publique à l’Agence régionale de santé, compare les mesures mise en place dans les hôpitaux psychiatriques et dans les EHPAD, ce sont les mêmes. Mais le personnel soignant s’inquiète. Car la pression est particulièrement forte. La situation reste tendue.

Mercredi 25 mars, la CGT a organisé une manifestation devant l’établissement de santé pour dénoncer le manque de moyens de protection et réclamer une participation plus active du personnel soignant lors des réunions de crise organisées à l’hôpital. « On est là pour soigner, pas pour contaminer » : voilà ce que l’on pouvait lire sur les banderoles déployées devant l’hôpital.

Jocelyne Goût est infirmière au centre hospitalier de Cadillac, elle est aussi déléguée syndicale CGT. Elle témoingne de l'inquiétude.

Nous tirons la sonnette d’alarme, car jusqu’à la semaine dernière nous manquions de masques de protection.  Certes, nous en avons reçus vendredi mais, si la crise continue, cela pourrait se compliquer. Il y a donc beaucoup d’anxiété face au manque de matériel.  Les hôpitaux psychiatriques sont les grands oubliés de la distribution de matériel de protection !


" Il y a aussi un problème en matière de transport des malades. Les ambulanciers manquent de protection : masques, charlottes et sur-chaussures sont nécessaires pour aller chercher des patients et les amener à l’hôpital.
Or, nous avons un devoir de protection envers nos patients. En psychiatrie, la protection contre le virus est un devoir pour le soignant. Ce n’est pas au patient de s’adapte. Lui qui a déjà bien du mal à appliquer les mesures barrières qui lui sont imposées. "

 

Certains patients ont du mal avec les gestes barrières


Il va sans dire que les personnes souffrant de certaines pathologies mentales ne sont pas toujours en capacité de respecter ces gestes barrières limitant la transmission du virus.
Pour certains malades agités, il est en effet difficile de respecter la distanciation physique. Le délire de certains patients atteints de troubles mentaux ne les aide pas à supporter ces nouvelles contraintes.

Pour l’instant, ça va à peu près en terme d’ambiance : on essaie de gérer au mieux dans les services mais on est inquiet pour la suite.
Jocelyne Goût


Autre coup de gueule dans ce témoignage : les conditions de vie des patients dormant sur place. Dans ces unités de long séjour qui sont des lieux de vie, les capacités d’accueil dans les chambres ont été jusqu’à doublées, passant de deux à quatre lits. Les patients confinés dans leurs chambres sont désoeuvrés, sans télévision pour la plupart.

Une promiscuité qui pourrait favoriser la progression de l’épidémie. La raison de cette promiscuité : deux unités ont été libérées pour accueillir des patients atteints de Covid-19.

Jocelyne Goût fulmine : l’infirmière rappelle le combat des syndicats contre la réduction des moyens accordés à la psychiatrie ces dernières années. En ligne de mire, la fermeture des lits.

Même constat pour une autre infirmière en poste à l’hôpital de Cadillac. Elle a choisi de témoigner de manière anonyme : " Nous avons beaucoup plus de travail que d’habitude. Car il faut désinfecter les services beaucoup plus souvent et je confirme qu’il faut gérer en plus le stress des patients. A cela s’ajoute que certains patients éprouvent beaucoup de difficultés à appliquer, voire à comprendre les mesures d’hygiène. "

Même si aucun foyer épidémique n’a été identifié au sein de l’hôpital psychiatrique de Cadillac pour le moment, le personnel s’inquiète.

Katia Lescure est la représentante syndicale de la CFDT à l’hôpital de Cadillac. Elle estime de son côté que la direction fait tout pour mettre en œuvre les mesures de protection sanitaire. Même si elle reconnait que les conditions de travail ne sont pas optimales, elle considère « qu’il faut se serrer les coudes et que ce n’est pas le moment de polémiquer ».



L’organisation de l’établissement de santé a été fortement adaptée pour pouvoir mettre en sécurité les personnes à risque (dans l’unité de géronto-psychiatrie notamment) et permettre les mesures barrières (adaptation des repas, chambres individuelles lorsque cela était possible, téléconsultations …).

Bérénice Brechat-Huet est psychiatre, elle est médecin responsable du DIM-SIREM au Centre Hospitalier de Cadillac :

Nous avons mis en œuvre deux unités COVID-19 avec beaucoup d’énergie.  

Trois patients suspectés d’avoir été contaminés par le COVID-19 ont été admis dans l’une de ces deux unités spécialisées. L’une d’entre elle se situe au sein de l’UMD (Unité pour malades difficiles). D’une capacité de 12 lits, elle sera opérationnelle dans les prochains jours. 

L’autre unité vient d’ouvrir ses portes. Elle peut accueillir 21 malades du COVID-19.

De part notre spécialité, nos médecins de l’hôpital psychiatrique sont moins formés à la prise en charge des maladies somatiques. Nous avons donc du recruter en urgence des médecins généralistes pour nous épauler dans notre projet Unité COVID. Tous sont volontaires, ils ont participé à l’élaboration de nombreux protocoles pluridisciplinaires nécessaires à la prise en charge spécifique de nos patients. Les équipes se sont formées en un temps record pour être opérationnelles au plus vite, en toute sécurité.

Les stocks de matériel de protection sont-ils suffisants ?

Le matériel actuellement en pénurie est habituellement peu utilisé en psychiatrie, contrairement aux hôpitaux généraux (en particulier ceux faisant de la chirurgie, de la réanimation…). Nous avons donc peu de stocks et c’est normal. Dès le début de la crise sanitaire, (fin janvier 2020), le personnel a procédé à des commandes massives de matériel en étant très réactif mais nous avons subi, comme tous, les reports de commande, les ruptures de stock. Les équipes ont donc cherché de nouveaux marchés, en étant parfois très inventives pour trouver des solutions alternatives.  Jusqu’à vendredi dernier, nous n’avions pas reçu de stock d’Etat et devions faire avec le peu de matériel disponible (masques, etc…). Nous avons donc été obligés de privilégier l’équipement des personnes à risque.

Le docteur Brechat-Huet se dit certes vigilante mais beaucoup plus sereine depuis la mise en place de ce dispositif au sein de l’hôpital psychiatrique de Cadillac, l’un des plus importants de Nouvelle Aquitaine.

Le confinement source d’angoisse pour ces malades  


Thierry Lechon travaille en tant qu’animateur socio-culturel dans le domaine de la santé mentale depuis 1986. 
Il intervient aujourd’hui dans le Libournais, où il organise notamment des ateliers d’art-thérapie permettant de créer du lien social. Pour apaiser la souffrance, le médicament n’est pas la seule solution.
A cause du confinement, nombre de ces activités sont à l’arrêt.  Elles sont pourtant indispensables. Le confinement est donc une source d’angoisse pour ces malades qui se retrouvent seuls et sans lien social.  Le risque est qu’ils développent des addictions à l’alcool ou aux produits stupéfiants.

« Avec la crise sanitaire du coronavirus, on se rend compte que toutes ces initiatives et autres structures d’accueil sont indispensables : elles permettent un maillage du territoire pour prévenir le risque suicidaire de certaines personnes . Cela pose la question de la place du fou dans notre société.  Des années que je tire la sonnette d’alarme ! Il a fallu attendre un événement comme celui de la pandémie du coronavirus pour se rendre compte que le lien social est vital. Et pas seulement pour les malades mentaux ! ".

Quid des personnes souffrant de troubles mentaux et qui ont des chambres en ville ? En cette période de confinement, plusieurs structures de soin extra-hospitalières dédiées à des personnes fragiles psychologiquement mais considérées comme stabilisées comme les centres médico psychologiques ont arrêté de recevoir leurs patients et n’assurent que des entretiens téléphoniques.  Idem pour les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel.

La psychiatrie n’est pas un lieu de soin commun.

 

 

 
 
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