Alors que les écuries ne sont plus accessibles aux cavaliers amateurs, les professionnels doivent s’occuper seuls des chevaux. Au-delà de la gestion quotidienne des équidés, avec l’arrêt des cours, la crise pourrait avoir des conséquences à plus long terme sur toute la filière
La règle s’applique à tous : en ces temps de crise sanitaire, on reste chez soi le plus possible. On limite ses déplacements au strict nécessaire. Tous les cours ont été annulés dans les centres équestres, et les propriétaires d’équidés ont l’interdiction de venir s’occuper de leurs montures.
Des règles un peu floues au début, précisées par la fédération française d’équitation le 19 mars dernier : "L’arrêté du 15 mars 2020 précise que les établissements recevant du public (ERP) ne peuvent plus accueillir du public jusqu’à nouvel ordre".
Cette mesure concerne tous les établissements sportifs couverts et de plein air, y compris les écuries ayant des équidés de « propriétaires » en pension. Aucune adaptation n’est possible, chaque dirigeant d’établissement équestre doit fermer totalement sa structure au public, hormis pour son personnel. Sous peine d’amende. Pas question de venir monter pour faire par exemple une petite balade en forêt, même seul.
Mais les chevaux ont besoin que l’on s’occupe d’eux. Les laisser au boxe ? Impossible ! Il faut concilier respect des mesures sanitaires et bien-être animal.
Dans cette écurie de propriétaires à Saint-Just-le-Martel (87), Steve Etienne doit veiller sur une vingtaine d’équidés. Epaulé par sa salariée Amélie (le matin), son quotidien est rythmé par les soins et le travail des animaux. Distribution de rations de granulés plusieurs fois par jour, changement des litières dans les boxes, sortie de certains chevaux dans les prés, longe ou travail monté pour les autres, avec des séances de 30 à 45 minutes pour chacun … sans compter l’approvisionnement pour les copeaux ou la nourriture qu’il faut gérer, les clôtures à réparer, les bobos à soigner… le calcul est vite fait, les journées sont bien remplies.On ne peut pas laisser les chevaux enfermés, il faut au minimum qu’ils puissent sortir un peu. Chez nous, ils sortent une demi-journée au paddock, on a la chance d’avoir du terrain, ce qui n’est pas le cas partout. Et parce que j’ai une salariée pour m’aider à faire les boxes notamment, je peux aussi continuer le travail des chevaux tient à réaffirmer Steve Etienne, dirigeant des Ecuries ES
Dans les écuries de propriétaires, plus de travail, mais des revenus stables
La pilule a été dure à avaler pour certains propriétaires, au début surtout. Les chevaux n’étant pas considérés comme animaux de compagnie, ils ne peuvent leur rendre visite. De quoi générer de la frustration (plus chez les cavaliers que chez leurs montures!), mais le civisme l’a emporté. Et dans de nombreux établissements équestres, le lien continue à se faire virtuellement. Comme à Saint-Just.
Ça peut être dur émotionnellement pour certaines personnes de ne plus voir leur cheval aussi longtemps. Du coup, et comme on est dans une petite structure, j’ai des attentions pour la quinzaine de propriétaires, je leur envoie des photos et vidéos et j’ai mis en place une conversation de groupe sur WhatsApp que j’alimente tous les jours
Steve a réussi à s’adapter à cette période inédite. Et si ses journées se sont encore intensifiées, il ne subira quasiment pas de pertes financières, son chiffre d’affaires ne reposant pas sur des cours mais sur des prestations mensuelles de « pension » avec travail du cheval.
Centres équestres : des structures déjà fragiles économiquementLes pensions restent assurées, les cours sont remplacés par le travail que je fais à la place des propriétaires. Je dois juste faire bosser un peu plus ma salariée, et moi prendre plus de temps pour m’occuper de tous les chevaux
Et c’est là qu’est la grande différence entre écuries de propriétaires et centres équestres. Pour ces derniers, l’activité repose essentiellement sur les cours. Et après la crise, il pourrait y avoir de la casse
Pascal Chabanne, président du comité régional d’équitation de la Nouvelle-Aquitaine, rappelle la spécificité des centres équestres :
Dépenses fixes incompressibles, et rentrées d’argent à l’arrêt. A « l’Etrier de Condat », près de Limoges, Edouard Lejeune est pessimiste.Un club de tennis qui ferme, on met les raquettes au placard, on baisse les filets (…) et on peut compter sur des abonnements annuels. Beaucoup de clubs sportifs de loisirs comme les golfs vont perdre de l’argent mais pas tant que ça, car ils n’ont pas de dépenses fixes. A la différence des centres équestres qui nourrissent leurs chevaux 3 fois par jour et pour lesquels il faut du personnel pour s’occuper des chevaux. On retrouve les mêmes problèmes que pour les agriculteurs
Le gérant du centre se fait du souci. Pas pour ses chevaux et poneys, plutôt heureux car pour beaucoup au pré. Mais pour la survie de son activité. Il a d’habitude une centaine d’élèves qui viennent prendre des cours chaque semaine et faire vivre le club. Depuis le début du confinement, seul son apprenti vient pour l’aider à s’occuper des chevaux.En 10 ans, on a déjà perdu près de 30% de licences, là ça va être le coup de grâce pour des petites entreprises comme les nôtres, on ne va pas s’en remettre
"On ne rattrapera jamais le manque à gagner, on est sur des trésoreries toujours très légères, on n’a pas d’avance. J’ai vu ma banque qui me propose de faire une pause sur les crédits que j’ai, mais ce que je ne paye pas aujourd’hui, il faudra que je le paye plus longtemps. Et les prêts à taux zéro, faudra quand même les rembourser. Comme on n’a pas une activité florissante et que je ne suis pas sûr que ça reparte dans les 4 ou 5 mois qui viennent… »
Pascal Chabanne confirme que la filière était déjà morose avant la crise sanitaire.
La filière cheval en Nouvelle-Aquitaine, ce sont 1150 clubs (la première région au niveau national) et 66.000 licenciés.Beaucoup de centres équestres étaient dans une situation déjà fragiles depuis quelques années, du fait d’une hausse de la TVA d’une part et du fait de la crise économique d’autre part et d’une baisse de licences … et puis là patatra !
Pour le président du comité régional, " il s’agit de préparer la survie économique » des structures, de « s’accrocher à toutes les aides proposées, par l’état et la région".
Pour faire remonter les situations de chaque structure, les comités départementaux d’équitation en Nouvelle-Aquitaine ont engagé un travail de recueil de données auprès des centres équestres. Les résultats seront connus dans quelques jours.On est une filière extrêmement en danger. Les sports équestres, c’est le premier sport employeur en France, il n’y a pas d’équivalent. Entre métiers directs et connexes, ce sont des dizaines de milliers d’emplois. Si tout un secteur tombe, ça va faire des dégâts. Notre rôle, à la fédération au niveau national et régional, c’est de rappeler aux pouvoirs publics le rôle de nos petites structures, qui sont de toutes petites entreprises mais qui, bout à bout, représentent beaucoup
Comme beaucoup d'autres, les entreprises du secteur devraient pouvoir prétendre à des aides de l’Etat et de la Région pour les aider à se relever de cette période de confinement.