Dès 1939, une cinquantaine de camps furent créés par l’administration française en Limousin. Durant toute la guerre, ces camps oubliés de Pétain servirent à réprimer les opposants au régime de Vichy, puis les victimes de l’occupant nazi. (Republication)
En Limousin, les camps n’ont pas été des camps de concentration ou d'extermination comme les nazis en construisirent en Allemagne, en Europe de l'Est ou même en Alsace. Ici, c'est l'administration française, aux ordres du maréchal Pétain, qui créa une cinquantaine de lieux de surveillance, de regroupement, d'internement ou de travail forcé.
Plusieurs prisonniers y sont morts. Tous y ont souffert de la dureté de leurs conditions de détention. L'histoire de ces lieux est toujours peu connue. Occultés des commémorations officielles, effacés de la mémoire des habitants des lieux ou de leurs descendants, ces camps - et la plupart de leurs traces - ont disparu.
Des lieux de souffrance oubliés
Au-delà du caractère peu glorieux de leur mise en place et de leur gestion zélée par l’administration française, leur nombre important, leur éparpillement sur le territoire régional et la grande diversité de leurs formes peuvent expliquer pourquoi ces lieux de souffrance et d’internement sont aujourd’hui enfouis dans les profondeurs de la mémoire collective.
Peu d’historiens ont tenté une étude globale de ces centres de surveillance et d’internement en Limousin. Dans son ouvrage « La main de Pétain » (Ed Les Monédières) l’historien Guy Perlier s’est attelé à cette tâche complexe en esquissant un recensement, une classification et une cartographie globale de ces sites.
Comme ailleurs en France, l’histoire des camps en Limousin a commencé avant la débâcle de juin 1940. Elle est directement liée à l’immigration massive de réfugiés étrangers provoquée par l’installation de régimes fascistes en Europe dans l’Entre-deux-guerres.
La défaite, puis l’Occupation et l’installation du gouvernement de Vichy, ont ensuite entraîné une multiplication des lieux de contrôle et de répression.
En 1939, à Saint-Paul d’Eyjeaux, les premiers baraquements préfabriqués, qui accueilleront plus tard un camp d’internement pour les détenus politiques, furent d’abord édifiés pour accueillir des réfugiés Alsaciens et Lorrains menacés par une attaque allemande pendant « la drôle de guerre ».
Puis, en quelques mois, des réfugiés allemands antinazis, polonais, tchèques ou républicains espagnols affluent dans le pays et dans la région.
En Septembre 1939, après la signature du Pacte Germano-Soviétique entre Hitler et Staline et l’envahissement de la Pologne et de la Finlande par l’URSS, le gouvernement français dissout le Parti Communiste, destitue ses élus et fait la chasse à ses militants. Des milliers de communistes sont arrêtés et vont rejoindre Allemands et Espagnols dans les premiers camps.
Un système élaboré de surveillance, de répression et d'internement
Avec la défaite, l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain, la mise en place du régime autoritaire de la « Révolution Nationale » puis de la politique de collaboration active avec l’occupant nazi, un système élaboré de surveillance de répression et d’internement va rapidement être mis en place.
Les populations jugées suspectes vont être traquées, regroupées et surveillées. Les opposants politiques au régime de Vichy, ressortissants étrangers et populations juives vont être tout particulièrement ciblés.
Les ressortissants étrangers de race juive pourront être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet de leur résidence.
Décret-loi du gouvernement de VichyOctobre 1940
Dans son ouvrage, Guy Perlier résume la situation à l’été 1940 : « il y avait bien, dans la France de Pétain, un système cohérent de gestion des populations jugées suspectes inspiré de sa lecture xénophobe et antisémite du monde : des centres départementaux où étaient assignées à résidence des familles étrangères, juives en majorité, qui pouvaient subvenir à leurs besoins sans travailler, des groupes de travailleurs étrangers où étaient exploités les hommes sans ressources de 18 à 55 ans, des centres d’accueil rigides où étaient parquées des familles étrangères indigentes et les hommes frappés par la maladie ou la limite d’âge ».
Ces structures complétaient « un système répressif organisé autour des camps de séjour surveillés, chargés eux de retenir les individus des deux sexes de toutes nationalités jugés dangereux ».
« Après la défaite militaire française de 1940, la politique hitlérienne et les initiatives répressives et antisémites de l’Etat français vont contribuer à maintenir une partie de la population des camps, la renouveler et l’augmenter notablement ».
Ce système s’avérera très utile pour organiser des rafles, puis regrouper et déporter les victimes des nazis vers les camps de concentration d’Europe Centrale, notamment au départ de Nexon.
Un premier camp de transition à Saint-Germain-les-Belles
Le premier camp du Limousin fut installé à Saint-Germain-les-Belles en Haute-Vienne. Camp de transition, il fonctionna en tant que Camp de Séjour Surveillé d’Avril 1940 à mars 1941.
Il fut principalement dédié à l’internement des militants politiques, communistes et “indésirables” français de la IIIème République après la déclaration de guerre avec l’Allemagne et la signature du Pacte Germano-soviétique.
Puis on y envoya des opposants au régime de Vichy. On y interna, notamment, une trentaine de femmes “politiques” évacuées de la prison de la Petite Roquette à Paris.
Le camp de Saint-Germain-les-Belles accueillit aussi des Anglais et des Allemands antifascistes exclus du Reich qui avaient cherché refuge en France en fuyant le régime nazi, et même 80 prisonniers de guerre allemands en juin 1940.
Il comportait neuf baraques préfabriquées, une rangée de barbelés et des guérites de surveillance.
Son effectif a varié de 20 à 220 personnes en février 1941.
Le camp connut plusieurs évasions dont cinq femmes en septembre 1940. Il fut abandonné en mars 1941.
Les camps de Saint-Paul et Nexon
Le camp de Séjour Surveillé de Saint-Paul fut créé en mai 1940. Celui de Nexon en novembre de la même année. Le camp de Saint-Paul contiendra jusqu’à 452 détenus et 229 gardiens pour une population de 1 520 habitants dans la commune. À Nexon, on comptera jusqu’à 845 détenus et 173 gardiens pour une population de 2 583 habitants dans la commune.
Saint-Paul et Nexon, n’avaient pas été choisies au hasard. Les deux communes étaient proches de Limoges et dotées d’une gare. Les deux camps avaient une surface d’environ trois hectares avec plusieurs rangées de barbelés et des miradors. Ils contenaient une zone pour les internés et une zone pour l’administration et le personnel.
À Nexon, la position du camp à côté de la gare et légèrement à l’écart du bourg permettait d’assurer un embarquement rapide et discret vers d’autres lieux comme la déportation dans les camps nazis. Au fil des mois, ce camp deviendra la principale plaque tournante du Limousin et la gare de départ pour la déportation vers les camps de concentration et d’extermination nazis. Le camp était doté d’un chemin de ronde intérieur qui longeait un treillage en fil de fer de 3,5 mètres de haut. À l’extérieur, un double réseau de fils de fer barbelés reliait des miradors aux quatre coins du camp et des guérites. Une haute palissade obstruait la vue du camp aux personnes qui passaient sur la route de Limoges.
À Saint-Paul, les gardiens étaient lourdement armés, avec des pistolets-mitrailleurs, des grenades et des gaz lacrymogènes. Le régime disciplinaire qui régnait dans les deux centres de Séjour Surveillé étaient sévères, même s’il y eut plusieurs évasions. Chaque camp avait sa prison.
Selon Guy Perlier “Certains internés, maintenus dans les camps dans un état physique et psychologique fragilisé, ont subi leur captivité comme un vrai calvaire”. Mais “il n’y eut dans les camps haut-viennois ni martyrs ni suppliciés, du moins jusqu’en 1944”.
À Saint-Paul, la sous-alimentation fut chronique dans les premiers mois et les carences en viande provoquèrent des maladies.
À Nexon la durée des internements accentua souvent la dureté du régime carcéral. Les internés pouvaient manquer de l’essentiel et souffrir particulièrement des atteintes du froid, de la boue et de la pluie. Le 29 août 1942, 450 Juifs dont 68 enfants de la région de Limoges furent rassemblés à Nexon, livrés aux nazis et déportés à Auschwitz.
En octobre 1942, le camp devint un camp hôpital pour remplacer celui de Récébédou dans la banlieue de Toulouse. À la suite de la dissolution du camp de Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques en novembre 1943, ses internés y furent également transférés. Selon Guy Perlier « ce camp hôpital se révéla être finalement un mouroir ». Durant l’hiver 1942 on y comptera 76 décès en cinq mois.
Ici, on ne meurt pas dans l’hôpital, peu souvent dans l’infirmerie du camp, presque toujours dans la promiscuité impudique des baraques.
Lettre d'un détenu du camp de Nexon à sa famille
Le 11 juin 1944, l'attaque du camp par les Résistants FFI de Georges Guingouin permit à 54 détenus de s'évader. Les autres internés furent transférés à Limoges au camp du Grand Séminaire par la Milice de Limoges. Ceux qui ne parvinrent pas à s’évader furent frappés et maltraités par les miliciens français aux ordres de Pétain.
Le camp de Nexon fut définitivement fermé en 1945.
Des camps implantés dans leur environnement local
De nombreux liens se sont tissés entre les camps et le tissus économique local de Saint-Paul et de Nexon, notamment avec les hôteliers, les artisans, les entreprises du bâtiment et les commerces d’alimentation qui ont pu profiter des besoins du camp.
Les camps ont aussi proposé une main d’œuvre à bon marché à certaines entreprises locales.
Selon Guy Perlier “à Saint-Paul il y eut jusqu’à une centaine de “surveillés” qui effectuaient des travaux à l’extérieur et qui finirent par se rendre indispensables à l’économie locale”. Mais "si les sollicitations des camps purent au début être appréciées par certains comme des opportunités financières non négligeables … Les camps devinrent très rapidement une lourde charge pour les deux communes dont les agriculteurs étaient soumis aux réquisitions, et, du fait de la dégradation de tout le système économique mis en place par le gouvernement de Vichy étranglé par les exigences allemandes”.
Dans des communes implantées au cœur du Maquis dirigé par Georges Guingouin, les relations entre les dirigeants des camps et la population locale se sont vite dégradées. Et à plusieurs reprises, les habitants de Saint-Paul et de Nexon n’ont pas hésité à montrer leur solidarité avec les internés.
Pendant la période de la guerre, les camps d’internement et de séjour surveillé comme ceux de Saint-Paul, de Nexon ou de Saint-Germain-les-Belles en Haute-Vienne ne furent pas les seuls lieux de regroupement et de surveillance en Limousin.
Le recensement minutieux, le fichage et la surveillance des populations juives mais aussi des étrangers et des opposants fut une obsession du régime de « Révolution Nationale » de Vichy et de l’administration française, notamment dans les préfectures, à Limoges comme partout en France.
Beaucoup de ceux qui ne furent pas internés dans les Camps de Séjour Surveillés furent regroupés dans d’autres structures aux quatre coins du Limousin.
Les camps éphémères
À partir d’août 1942, l’organisation de rafles plus nombreuses entraînera l’aménagement rapide de camps éphémères dans toute la région. Ces camps étaient essentiellement destinés au rassemblement de juifs avant leur convoyage vers le camp de Nexon, puis Drancy en région parisienne, avant leur déportation.
En Corrèze, ce fut Auchère à Rosiers-d’Egletons puis l’Ecole Nationale Professionnelle d’Egletons.
En août 1942, 117 juifs y furent rassemblés avant d’être déportés vers Auschwitz.
En février 1943, un centre provisoire de rassemblement et de criblage fut également créé à Ségur-le-Chateau. 54 personnes y furent envoyées vers Nexon.
En Creuse, un camp fut créé à Boussac dans les locaux transformés d’une ancienne cartoucherie.
En août 1942, 52 juifs dont 13 enfants personnes y furent rassemblés et renvoyés vers Nexon puis Auschwitz.
En Limousin, pendant toute la période de la guerre, les prisons de Guéret, Limoges, Bellac, Tulle et Brive servirent également de centres de détention pour interner ou faire transiter les ennemis et les victimes du régime de Vichy et de l’occupant nazi.
Les centres d'assignement à résidence
Ils étaient destinés aux populations étrangères et plus particulièrement aux juifs. Selon une circulaire de Vichy de novembre 1941 les centres d'assignement à résidence devaient regrouper « des individus dont les agissements, l’attitude, la nationalité ou la confession constituent des facteurs de mécontentement et de malaise dans la population ».
Un premier centre national fut ouvert à Évaux-les-Bains, dans l’hôtel des curistes de la station thermale creusoise réquisitionné pour la circonstance.
D’autres centres furent créés, à Saint-Yrieix-la-Perche, Bussière Poitevine, Mézières-sur-Issoire, Châteauponsac, Saint-Léonard-de-Noblat, Oradour-sur-Vayres, Eymoutiers et Châlus en Haute-Vienne ainsi qu’à Uzerche en Corrèze.
Le 6 avril 1944, la division SS Brehmer captura quarante-trois juifs du centre d’assignement à résidence d’Eymoutiers. Ils furent déportés.
Du 4 au 6 avril, quarante autres furent capturés dans les centres de Châteauneuf-la-Forêt et quatre dans celui de Saint-Léonard-de-Noblat.
Les centres d'hébergement
Administrés par le ministère du travail par le service du contrôle social des étrangers, ils étaient destinés selon l’administration aux “populations contraintes à une stricte sédentarité, soit des étrangers sans ressources inaptes aux Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE), trop âgés (plus de cinquante-cinq ans) ou malades, soit des israélites ayant franchi illégalement la ligne de démarcation en attente d’être placés dans une autre structure ».
À La Meyze, en Haute-Vienne, le camp hébergea jusqu’à 220 personnes. Il était constitué de six baraques en bois et de bâtiments pour les communs entourés d’une triple clôture de fils de fer barbelés.
À Sereilhac, toujours en Haute-Vienne, jusqu’à 165 personnes furent internées dans le camp qui comptait onze baraques en bois.
Ces deux structures hébergeaient plusieurs nationalités, surtout des Polonais et des Espagnols mais aussi des Tchèques, des Autrichiens, des Roumains, des Russes, des Hongrois, des Allemands, des Argentins et des Arméniens. Parmi eux, de nombreux juifs furent déportés, notamment en 1943, et exterminés dans les camps nazis.
En Corrèze, le centre d’hébergement de Rabès-par-Cornil à Beaulieu-sur-Dordogne était en fait un asile de vieillards tenu par des religieuses. Il accueillit aussi des femmes et des enfants juifs.
Grâce à elles et à une exploitation agricole attenante, la nourriture y était suffisante, les conditions d’hébergement y furent clémentes et la surveillance toute relative.
Au château du Doux, sur la commune d’Altillac, le centre d’hébergement était tenu par un hôtelier-restaurateur qui avait passé une convention avec la préfecture de la Corrèze. Il hébergeait une soixantaine de juifs étrangers dans des conditions matérielles variables qui dépendaient de leurs capacités financières, plusieurs familles pouvant se retrouver dans une même pièce.
Les Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE)
En 1940, ils ont succédé aux Compagnies de Travailleurs Etrangers (CTE) créés initialement pour regrouper les réfugiés espagnols, majoritairement volontaires, en1939.
À partir d’octobre, devenus des Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE), ils passent sous le contrôle du ministère de l’Intérieur et deviennent des structures clairement répressives destinées à « mettre au travail » des « étrangers en surnombre dans l’économie nationale » tout en les surveillant étroitement. Une main-d’œuvre non payée et bienvenue au moment où de nombreux prisonniers de guerre faisaient défaut. Les GTE emploieront jusqu’à 1 200 travailleurs dans tout le Limousin.
Disséminés dans une trentaine de petites unités surveillées, mais semi-ouvertes, réparties dans toute la région (voir la carte), les GTE employaient les travailleurs étrangers à des tâches pénibles : bûcheronnage, agriculture, mines, fabrication de charbon de bois, tourbières, agriculture, travaux publics et construction d’ouvrages, comme le barrage de Bort-les-Orgues en Corrèze.
Regroupant beaucoup de Républicains espagnols issus de la Guerre d’Espagne mais aussi des Polonais, des Allemands ou des Tchèques, les GTE offraient des conditions d’hébergement, de travail et de surveillance extrêmement variables selon les lieux d’implantation.
Le 23 août 1942, 59 travailleurs étrangers de toute la région furent regroupés au camp d’Auchère en Corrèze et dirigés sur Drancy, avant d’être déportés. Le 27 août 1942, vingt-six autres furent prélevés dans les GTE de Corrèze et dirigés vers Nexon, puis Drancy.
Plusieurs juifs furent raflés dans les GTE en tant que tels et envoyés en déportation, comme en août 1943, au sein du GTE de Soudeilles en Corrèze, où 52 d’entre eux furent déportés vers Auschwitz, via le camp de Nexon.
Les Républicains espagnols des Groupements de Travailleurs Etrangers jouèrent aussi un rôle important dans la formation des groupes de Résistants du Limousin grâce à leurs connaissances militaires, leur culture politique et leur expérience de la guerre contre Franco.