C'était en juin 1944, à Bayeux (Calvados). Raymond Triboulet était nommé par le général de Gaulle premier sous-préfet de l'administration française renaissante. Tout au long de sa vie, le résistant, mobilisé dès 1939, aura tenté de faire vivre la mémoire du D-Day.
Né en 1906, Raymond Triboulet se mobilise dans la résistance dès 1939. Il est fait prisonnier quelques mois, entre 1940 et 1941, avant de poursuivre sa mobilisation en organisant des réseaux de renseignement au profit des résistants à Londres. Au moment du Débarquement, le 6 juin 1944, l'homme officie comme secrétaire au sein du Comité départemental de libération du Calvados. Il est alors, déjà, très proche du général de Gaulle.
Regardez ce portrait signé Laurent Marvyle, Jeoffrey Ledoyen et Marc Michel :
Le destin des deux hommes est scellé quelques jours plus tard. Charles de Gaulle retrouve la terre de France sur la côte du Calvados, à Ver-sur-Mer, le 14 juin. Le lendemain, il nomme Triboulet premier sous-préfet de la France libre à Bayeux.
Le général de Gaulle, "il vous mettait à l'épreuve"
Charles de Gaulle, Raymond Triboulet en parle encore avec émotion et un sourire perceptible dans la voix. Car cette forte personnalité, il l'admire et la côtoie tout au long de sa vie.
En septembre 1999, Raymond Triboulet a 92 ans. Il confie, interviewé chez lui, à Sèvres : "[Le général] vous mettait à l'épreuve. Quand vous alliez le voir pour lui demander quelque chose, il se jetait sur vous, vous donnait tous les arguments contre ! Vous vous défendiez. Si vous vous défendiez bien, sur le pas de la porte, il vous donnait son accord".
Une fidélité farouche à l'un des hommes forts de la Seconde guerre mondiale. Et une volonté de garder vivace l'hommage à la mémoire des combattants du Débarquement et de la Bataille de Normandie, que Raymond Triboulet avait vécus au plus proche du front.
En 1971, il l'évoquait, racontant : "Les soldats allemands et les officiers, vers minuit, se sont levés dans un tapage énorme. C'était une batterie d'artillerie tractée. Ils sont partis précipitamment pour tirer sur les troupes qui débarquaient. Ils se sont installés au-delà de Creully. J'ai été par la suite voir leur emplacement. Pour eux, à coup sûr, c'était une nuit extraordinaire. La surprise a été absolue."
Raymond Triboulet, "un homme droit, passionnant, cultivé"
Ces souvenirs, Raymond Triboulet les fait vivre en fondant, dès le mois d'avril 1945, le Comité du Débarquement. C'est lui qui organise la toute première cérémonie commémorative, seulement un an après le 6 juin 1944. En 1953, Raymond Triboulet crée le premier musée du Débarquement à Arromanches.
Sa carrière politique s'envole. Il est élu six fois député du Calvados à partir de 1946 et pendant 27 ans, contribue à la Constitution de la Ve République. Il est nommé ministre (notamment des anciens combattants et des victimes de guerre) dans les gouvernements d'Edgar Faure, de Michel Debré et de Georges Pompidou (il y crée l'association France Volontaires) et reste, en parallèle, un fervent défenseur du devoir de mémoire.
La génération qui avait combattu en avait marre d'en parler, c'était fini. Si bien que leurs enfants n'ont rien pu enseigner à leurs enfants. Cela fait deux générations. La troisième, où nous sommes, se passionne. Les jeunes se renseignent, ça c'est très frappant.
Raymond Tribouleten septembre 1999
Liliane Bouillon, ancienne secrétaire de Raymond Triboulet au Comité du Débarquement, le décrit en 1999 comme "un homme droit". "Droit, passionnant et très cultivé. C'est un homme qui aborde tous les sujets et même un sujet nouveau, il l'aborde avec passion". Jean Lecarpentier, quant à lui, ancien maire de Bayeux, raconte avoir rencontré un homme qui l'a séduit "par sa vivacité d'esprit, sa largeur de vue, cette flamme intérieure qui l'animait".
"Nos musées éclairent tout ce passé"
Commandeur de l'ordre du Mérite combattant, auteur de plusieurs ouvrages, Raymond Triboulet meurt le 26 mai 2006 à l'aube de ses cent ans, à Sèvres.
Principal artisan du tourisme mémoriel en Normandie, il évoquait son but par ses mots : chacun, en particulier les jeunes de Normandie ou d'ailleurs, "doit savoir ce qu'on fait, au temps de leur robuste jeunesse, tous ces jeunes gens venus de loin sauter de la mer sur notre côte normande le 6 juin 1944 à l’aube."
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Soulignant : "Un si grand nombre dort maintenant, pour l’éternité, dans les grands cimetières militaires de Bayeux, de Saint-Laurent et d’ailleurs. Nos musées éclairent tout ce passé, qui mérite de survivre et qu’ils ont trouvé vivant. Ils repartent plus riches de sciences, mais surtout d’émotion, de résolution, d’espoir."