Les précédents records de taux d’incidence paraissent aujourd’hui presque anecdotiques tant les chiffres s’envolent. Pour les épidémiologistes, il est difficile de prévoir l’évolution de la situation, et surtout sa gravité.
Des chiffres jamais vus
Selon Sophie Larrieu, épidémiologiste à Santé Publique France en Nouvelle-Aquitaine, la situation est "pire que du jamais vu".
Dans la grande région, le taux d’incidence était monté à 309 lors de la deuxième vague en novembre dernier. Ce mardi 4 janvier, le chiffre s’lève à 1170 cas pour 100 000 habitants. Le seuil d’alerte était fixé à 50…
Des records sont ainsi battus tous les jours en Limousin : le taux d’incidence en Creuse est de 904, en Haute-Vienne de 774 et en Corrèze de 1036. Il n’y a pas un seul département en Nouvelle-Aquitaine en dessous de 700.
Ces chiffres ne sont pas dus à un dépistage qui augmente. Bien sûr, cela a pu jouer avant les fêtes, mais ce n’est plus le cas.
Pour Sophie Larrieu, "le taux de positivité des tests est partout de 15%, et c’est énorme. On considère que le chiffre est élevé au dessus de 5% de positivité." Selon l’épidémiologiste de l’université de Limoges Pierre-Marie Preux, ces chiffres sont sous-estimés : "On ne voit pas les gens qui font des autotests à la maison, ceux qui ne se testent pas parce qu’ils considèrent qu’ils ont un gros rhume, et les asymptomatiques".
Est-ce inquiétant ?
Ce qui est inquiétant, c’est qu’on n’a aucune certitude pour la suite.
D’abord, le variant Omicron qui prend actuellement la place du variant Delta semble avoir des effets moins graves sur les malades. Pierre-Marie Preux explique : "Selon des études menées en Afrique du sud, en Angleterre ou en Ecosse, le variant Omicron est à 30.% de la gravité du variant Delta". Il relativise tout de même cette bonne nouvelle : "Ce sont des situations différentes avec des âges différents et des vaccinations différentes. Ça reste fragile."
Ensuite, on peut se demander quel sera l’effet de la vaccination. Cet automne, avec le variant Delta, beaucoup d’hospitalisations et de décès ont clairement été évités grâce au vaccin. Aujourd’hui, selon une étude de l’institut Pasteur, la dose de rappel est nécessaire mais efficace contre les formes graves du variant Omicron. Pierre-Marie Preux tempère : "On ne sait pas combien de temps va durer cette protection."
Concernant les hospitalisations, la précédente augmentation des contaminations en décembre n’avait pas eu d’importantes répercutions. Mais la nouvelle augmentation des taux d’incidences remonte seulement à la semaine dernière, et s’il y a un impact, ce sera dans les prochains jours. Selon Sophie Larrieu, "Mécaniquement, on a une telle explosion du nombre de cas qu’on s’attend à un impact sur les hospitalisations".
Enfin, il y un autre inconnu : ce qu’on appelle le "Covid long", les symptômes prolongés du Covid 19 qui pourraient représenter dans les prochains mois et les prochaines années un autre problème de santé publique. Toujours selon Pierre-Marie Preux, "C’est un sacré pari d’avoir autant de cas positifs sur un variant qu’on ne connait pas. On ne sait pas si avec Omicron il y aura des cas de séquelles. Il peut y avoir des conséquences neurologiques."
Des mesures de protection efficaces ?
Lors des précédentes vagues, il avait fallu des mesures fortes comme un confinement ou un couvre-feu pour inverser la courbe des contaminations. Aujourd’hui, l’interdiction du popcorn au cinéma ou l’obligation de s’assoir dans les bars ne vont pas certainement pas freiner un raz-de-marée. Alors comment se protéger ? Pour Pierre-Marie Preux, "à part un confinement strict, il n’y avait rien d’autre à faire pour supprimer la circulation. Mais on est au seuil du confinement : si l’hôpital ne tient pas, c’est confinement. Je ne vois pas ce qu’on pourra faire de moins."
Pour Sophie Larrieu, "toutes les mesures ont un effet. Même les gestes barrières au travail ou à la maison. Mais les taux d’incidence sont tels qu’à moins d’un énorme confinement, on ne va pas arrêter l’épidémie."
Quelles perspectives ?
Sans avoir de certitudes sur la situation actuelle, Sophie Larrieu analyse les précédentes vagues épidémiques : "Même en l’absence de mesures très fortes, avec l’immunisation des personnes contaminées et la vaccination, on atteint tout de même un pic qui fait que la situation se renverse. Cette fois, on ne sait pas dans combien de temps ce sera".
Pierre-Marie Preux ne fait pas non plus de pronostic : "On est complètement dans l’inconnu. On a beaucoup de pays dans le monde où on n’est pas vacciné, où des variants nouveaux peuvent apparaître. Il ne faut pas croire qu’un virus va toujours vers le moins grave : un variant plus grave peut arriver. L’immunité collective va augmenter car le nombre de personnes infectées va être impressionnant. Mais on ne sait pas si cette immunité sera efficace. La seule chose qui peut nous rassurer c’est que d’habitude, les épidémies rentrent dans l’ordre en quelques années. Le virus doit circuler pour vivre, et pour cela il a plutôt intérêt à ne pas tuer son hôte. La grippe russe, on pense que c’était lié à un coronavirus, et ça a duré 5 ans…"