C’est l’un des sujets régaliens de l’État qui anime le plus la sphère politique, mais aussi l’opinion publique : l’épineuse question de la sécurité en France. Entre refus d’obtempérer, rodéos urbains, immigration sur fond de crise économique et sociétale, quel constat, quelles solutions ?
En matière de sécurité, il y a les bons et les mauvaises élèves. Et en Nouvelle-Aquitaine, si Limoges ou Brive font partie des villes les plus sûres de la région, la situation semble nettement se dégrader à Bordeaux. "Bordeaux est une métropole avec une forte concentration d’habitants, aux revenus modestes et parfois d’origine immigrée et qui peut avoir un comportement délictueux (…) Bordeaux se parisianise mais Angoulême se dégrade aussi. L’insécurité gagne partout, y compris dans les villes moyennes ", explique Albin Freychet, délégué départemental du Rassemblement National de la Haute-Vienne.
Établir un lien aussi direct entre l’insécurité et l’immigration procède d’une rhétorique politique chère au Rassemblement national. Mais aujourd’hui, la plupart des formations politiques semblent s’accorder sur le fait que parmi les questions de sécurité, celle de la petite délinquance, devient incontournable.
Pour Gulsen Yildirim, première secrétaire du Parti Socialiste de Limoges en charge des questions de sécurité et de justice, la question sociale doit être au centre des préoccupations : "Sur Limoges, le taux d’insécurité est plus élevé dans les quartiers prioritaires. Plus de 50% des habitants sont en dessous du seuil de pauvreté ce qui explique les phénomènes de délinquance. Ce n’est pas nécessairement lié au statut d’immigré, c’est aussi la question sociale qui explique ce phénomène."
En Nouvelle-Aquitaine, sur l’année 2021, si les cambriolages ont baissé de 3,4%, le nombre de victimes de coups et blessures a augmenté de 15%, les viols et agressions sexuelles de 27,9% tandis que les crimes et délits liés à l’immigration ont fait un bond de plus de 34%. Des chiffres qui concernent aussi les petites communes où les maires sont de plus en plus exposés aux incivilités.
Lors du 104ᵉ congrès de l’Association des maires de France où le chef de l’État s’est rendu le 23 novembre, Emmanuel Macron a été interpellé sur ces questions par André Mondange, maire PCF de Péage-en-Roussillon. L’élu de cette petite commune de l’Isère a aussi été confronté à la violence. "On a un point de deal très chaud. J’ai été agressé deux fois dans mes fonctions", déplore-t-il. Et effet, s’opposer aux petits trafics devient risqué puisque André Mondange a même reçu des menaces de mort et un pavé dans sa voiture.
La sécurité des administrés ne relève pas des maires, mais bien de l’État. C’est une compétence régalienne qui s’incarne dans la Police et la Justice. Mais aujourd’hui, admet Gulsen Yildirim "ces deux piliers de la chaine pénale sont en grande souffrance car la Justice manque de moyens, la police a du mal à s’adapter aux défis technologiques de la délinquance (…) le citoyen estime donc que l’État, et même les collectivités locales, est dans l’incapacité de garantir sa sécurité".
Les professionnels accusent le coup
Manque d’une réponse pénale rapide, manque de places de prisons, manque d’accompagnement des détenus pour leur réinsertion, les professionnels de la sécurité accusent aussi le coup.
Des enquêteurs de police judiciaire ont créé, en août 2022, une association pour s’opposer à un projet de réforme controversée de la police nationale qui menace selon eux le savoir-faire et la spécialisation de ces policiers chargés d’enquêter sur les crimes les plus graves. Apolitique, l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) a été lancée contre une réforme qualifiée de désastreuses pour la sécurité des citoyens et l’indépendance de la Justice.
La réforme, déjà expérimentée dans huit départements, est prévue pour 2023. Elle vise à rassembler, à l’échelle du département, tous les services de police - sécurité publique, police aux frontières (PAF) et police judiciaire (PJ) - sous l’autorité d’un nouveau responsable unique, le Directeur départemental de la police nationale (DDPN). Dans ce projet, la PJ serait intégrée à une filière investigation aux côtés des enquêteurs de Sécurité publique qui traitent eux de la petite et moyenne délinquance.
Elle vise à désengorger les services d’investigation des commissariats. Mais pour Nicolas Nguyen, avocat pénaliste à Limoges, "cette réforme n’est pas la priorité, car il y a un déficit criant de moyens au sein de la Justice. Il n’y a pas assez de magistrats, pas assez de greffiers et on se retrouve avec des audiences parfaitement engorgées (…) En plus de juger, les magistrats sont obligés de gérer les stocks".
Le stock est d’ailleurs si lourd qu’une circulaire interministérielle datant du 31 mai 2021 demande aux procureurs de baisser le nombre de procédures bloquées dans les commissariats et les gendarmeries. Matériellement, il devient impossible de juger certaines affaires comme les plaintes trop anciennes, faits considérés comme pas assez graves ou celles aux auteurs inconnus. Or, "pour que la peine ait un sens, elle doit être prononcée assez rapidement", insiste Gulsen Yildirim.
Sortir du tout carcéral ou augmenter le nombre de places de prisons ? Favoriser la prévention puis la réinsertion ou la répression et la surveillance ? Autant de pistes qui semblent s’opposer sur le terrain politique et révéler une approche plus idéologique que pragmatique.
Partager la route, l’expérience du vivre ensemble
Sur le terrain de la prévention routière, le pragmatisme semble être de mise. En cinquante ans, le nombre de morts est passé de 18 000 à 3 500 en moyenne. Là encore, la Nouvelle-Aquitaine fait figure de cancre puisqu’en 2021, elle comptait 350 tués sur les routes, le plus haut chiffre toutes régions confondues, à égalité avec l’Occitanie et l’Auvergne-Rhône-Alpes.
Selon Philippe Jourde, chargé de mission auprès de la Directrice régionale chez l’Association nationale de la Prévention Routière, la sécurité sur les routes est donc une question fondamentale pour apprendre à vivre ensemble. "ll y a un gros travail de prise de conscience pour le partage de la route chez l’ensemble des usagers qui se renvoient la balle entre trottinettes, automobilistes ou deux roues (…) pourtant, les risques encourus sont pour soi, mais aussi ceux que l’on fait encourir aux autres".
Parmi ces risques pour soi et pour les autres, comment ne pas penser aux rodéos urbains. Ces acrobaties en moto particulièrement risquées et menées par des groupes de jeunes gens, parfois sans casque ni assurance. "En parlant avec des lycéens récemment, je me suis aperçu qu’ils découvraient la nécessité d’une assurance, d’un permis de conduire et les conséquences de ne pas en avoir en cas d’accident ou de délit. C’est une dette que l’on va supporter pour ses ascendants ou ses descendants pour pouvoir éteindre les dégâts occasionnés à un tiers. C’est aussi ne plus pouvoir se présenter à un travail faute de permis ou même perdre son emploi ".
Disputandum : Sécurité : où est le danger ?
Présenté par Jeanne Baron.
Invités :
- Albin Freychet, délégué départemental du Rassemblement National de la Haute Vienne
- Gulsen Yildirim, Première Secrétaire du parti socialiste de Limoges en charge des questions de Justice
- Philippe Jourde, Chargé de mission auprès de la Directrice régionale chez Association nationale de la Prévention Routière
- Nicolas Nguyen, avocat pénaliste
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