La Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine, basée à Limoges, vient de restaurer une relique du cinéma mondial : des films datant de 1896, tournés à Châtellerault, dans la Vienne, par Charles Arambourou. Si ses photographies ont profondément marqué la ville, ses films, eux, avaient été oubliés.
Du haut de ces bobines, cent vingt-huit ans vous contemplent ! "La première projection des frères Lumière, c'est le 28 décembre 1895. Et là, on parle de films d'octobre 1896 ! Dix mois après !" Patrick Malefond, directeur de la Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine, demeure émerveillé par le trésor étalé sous ses yeux. Les dates évoquées donneraient presque le vertige. "Ce sont les premiers films tournés dans la Vienne, poursuit-il. À titre d'exemple, les images les plus anciennes connues de Limoges datent de 1913. Des images du XIXe siècle, c'est extrêmement rare !"
L'objet de cette fascination est une relique du cinéma mondial : des films tournés par Charles Arambourou, né à Saint-Junien, en Haute-Vienne, en 1958. Fils d'un réfugié basque espagnol, il ouvrit un studio à Châtellerault, dans la Vienne, en 1881. C'est là qu'il devint une gloire locale, photographiant toute la vie du département, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. "Il y a dix-sept mille plaques de verre qui sont actuellement conservées dans les archives du Grand Châtellerault, détaille Patrick Malefond. Dix-sept mille plaques... et seulement dix bobines de films !" Ce sont ces bobines dormantes, presque oubliées, qui ont été retrouvées puis restaurées dans les locaux de la cinémathèque, à Limoges.
Au moins 90% des films tournés avant 1920 à jamais disparus
Les spécialistes du domaine estiment que 90% des films tournés avant 1920 sont à jamais perdus. Le nitrate de cellulose constitue un matériau particulièrement inflammable qui menace de destruction toutes les pellicules qui en sont composées. La simple manipulation des trésors de Charles Arambourou représentait un premier défi. "Le support est très ancien donc très fragile, explique Sébastien Beauplan, technicien audiovisuel. Il faut respecter toute la chaîne de traitement, ne pas faire cela en pleine chaleur, bobine par bobine, les sortir du réfrigérateur, mettre des gants."
Une fois numérisé, le film peut être restauré grâce à l'informatique. S'ouvre alors un deuxième défi : ne pas le dénaturer. "On essaye de ne pas toucher énormément au grain, insiste Sébastien Beauplan. Tout est question de nuance, dans la restauration numérique. Il ne faut pas aller trop loin. L'objectif, c'est de supprimer ce qui gêne le visionnage, c'est-à-dire les grosses rayures, toutes les poussières, les scratchs..."
Charles Arambourou invente les codes du cinéma en même temps que d'autres cinéastes sur la planète.
Patrick Malefond, directeur de la Cinémathèque de Nouvelle Aquitaine
Grâce à ce travail unique, c’est un peu Noël avant l’heure à la cinémathèque. Ces bobines marquent l’invention du cinéma, mais aussi l'apparition de la réalisation. "On est vraiment en train de parler d'un pionnier du cinéma, affirme Patrick Malefond. C'est quelqu'un qui invente les codes du cinéma en même temps que d'autres cinéastes sur la planète." À l'instar des premiers films des frères Lumière, ceux de Charles Arambourou captent des moments de vie de famille, des scènes de rue, des rencontres de notables locaux. Quelques saynètes sont même mises en scène : "Il invente des codes professionnels, mais également amateurs. C'est presque un cinéaste amateur qui se découvre professionnel."
Neuf des dix films restaurés seront projetés ce vendredi 29 novembre aux "400 coups", le cinéma d’art et d’essais de Châtellerault. Après leur projection, ils seront mis à la disposition du public sur le site de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine.