ENQUÊTE. "Certains collègues vont au travail la boule au ventre" : menaces, insultes, agressions... quand les parents d'élèves dépassent les bornes

Le lundi 16 décembre 2024, un père de famille a été condamné à quatre mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Guéret après avoir menacé de mort la directrice de l'école dans laquelle sa fille est scolarisée. Les syndicats d'enseignants pointent une hausse des agressions verbales à l'égard des personnels de l'Éducation nationale.

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“Si quelqu’un s’acharne sur l’un de mes enfants, il faudra qu’il soit prêt à en subir les conséquences” ; “Je vous invite à rester muette si toutefois vos intentions seraient de régler vos comptes avec moi. Je prendrai les dispositions nécessaires si vous me contraignez.” ; “Il m’est arrivé d’avoir des litiges et je peux vous assurer que mes adversaires s’en souviennent”.

Ces en ces termes qu'une mère de famille s'est adressée, dans un courrier de plusieurs pages, à une enseignante d'un collège de Haute-Vienne, en ce mois de décembre 2024. Un exemple, parmi d'autres, de menaces reçues par le corps enseignant dans l'Académie de Limoges. 

Le lundi 16 décembre 2024, un père de famille creusois était condamné à quatre mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Guéret. Il avait menacé de mort la directrice de l'école primaire dans lequel est scolarisée sa fille, à Saint-Dizier-Masbaraud.

Le vendredi 11 octobre 2024, les portes du collège Simone-Veil de Rochechouart restaient fermées à la suite d'une altercation entre une famille et des membres de la vie scolaire de l'établissement. Enseignants et personnels de la vie scolaire avaient alors exercé leur droit de retrait. Un homme avait été interpellé par les gendarmes et placé en garde. Une enquête est en cours.

"Prof-bashing"

Même s'il est difficile d'avoir des statistiques sur l'ampleur du phénomène, certains chiffres apportent un éclairage. En Creuse, sur les soixante signalements réalisés l'an dernier par des personnels de l'Éducation nationale sur leurs conditions de travail, dix-huit faisaient état de situations conflictuelles avec des parents d'élève ou de tensions à la sortie de l'école.

"Le phénomène n'est pas isolé", estime Luc Marquès, secrétaire départemental du SNUIPP-FSU 23. Le représentant syndical mentionne plusieurs facteurs qui conduiraient à l'augmentation "préoccupante" de ces tensions, à commencer par le dénigrement, ou "prof-bashing", sur le plan national, qui inciterait, selon lui, "à une moindre considération du corps enseignant."

Luc Marquès prend l'exemple de l'ancienne ministre de l'Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castera qui accusait, à tort, d'absentéisme l'une des anciennes institutrices de son fils, ou encore les récents propos de l'ancien président de la République Nicolas Sarkozy qui affirmait que les enseignants ne travaillaient que "24 heures par semaine, six mois dans l'année". 

Pourquoi les parents respecteraient-ils les personnels quand les plus hauts responsables politiques ne se gênent pas pour discréditer les personnels ou l'institution toute entière ?

Luc Marquès

Secrétaire départemental FSU-SNUIPP 23

Deuxième facteur selon lui : la dégradation des conditions d'accueil des élèves. "Quand les enseignants sont obligés de dire aux parents le matin au portail :  “Désolé, on ne va pas pouvoir accueillir vos enfants faute de remplaçants”, ou que l'on est contraint de répartir les élèves dans plusieurs classes, ça crée de fortes tensions", pointe M. Marquès.

Dans l'enseignement secondaire, le phénomène serait de moindre ampleur, les enseignants étant moins directement confrontés aux parents d'élèves. Toutefois, la généralisation du logiciel ProNote, qui permet à ces derniers de communiquer avec les enseignants, serait la source de nombreuses dérives. “C’est comme un réseau social : les parents s’adressent à un écran, c’est instantané, sans filtre. Les messages peuvent être incendiaires. C’est un vrai souci", regrette Fabrice Couegnas de la CGT Educ'action.  

Protection fonctionnelle

Selon le Code général de la fonction publique, tout agent a le droit à une protection juridique de la collectivité qui l'emploie. C'est ce qu'on appelle la protection fonctionnelle. Elle consiste en une prise en charge des honoraires d'avocat en cas de litige devant les tribunaux et d'un accompagnement humain et psychologique.

Sans donner de chiffres, le rectorat indique que les demandes de protection fonctionnelle émises par des agents sont en hausse. "Est-ce parce qu'il y a de plus en plus d’incivilités ou parce que les collègues sont plus sensibilisés et remontent davantage les faits qui les concernent ? Sans doute un peu des deux", juge Emmanuelle Bedou, du service juridique de l'Académie de Limoges.

Plusieurs plans ministériels se sont succédé pour répondre au problème, notamment après l'assassinat de Samuel Paty. Le dernier en date, baptisé "plan pour la tranquillité scolaire", est entré en vigueur au début du mois de décembre. "Il y a une vraie tendance nationale à accompagner au mieux les agents, reprise de façon très soutenue dans l’Académie de Limoges", tient à souligner le rectorat.

Le rectorat indique que la protection fonctionnelle est accordée automatiquement dans les "cas graves", "parfois sans même que l'agent n'en fasse la demande." Reste à qualifier les cas graves. "Tout ce qui touche à l'intégrité physique ou morale des agents", précise l'institution. En revanche, l'atteinte aux biens ne constitue pas, aux yeux de l'Éducation nationale, un cas grave. À titre d'exemple, un enseignant dont les pneus de voiture seraient crevés par un parent d'élève devrait donc attendre la fin de l'instruction de son dossier avant de se voir accorder, ou non, la protection fonctionnelle. 

"Pas de vague"

Chez certains syndicats enseignants, le ressenti diffère. Pour Fabrice Couegnas, de la CGT Educ'action, la politique du "pas de vague" règne encore au sein de l'Éducation nationale.

Dans le cas du courrier cité au début de cet article, l'enseignante s'est vue refuser sa demande de protection fonctionnelle. "Si on tolère des courriers comme cela, on ouvre une porte. Ça donne un sentiment général chez les collègues que l’on n’est pas protégé dans l’exercice de nos fonctions", déplore Fabrice Couegnas. Selon lui, l’absence de réponse de l’institution, dans certains cas, conduirait certains de ses collègues à se taire.

Un certain nombre de collègues vont au travail la peur au ventre par crainte d’un retour de flamme des parents.

Fabrice Couegnas, CGT Educ'action

Plusieurs syndicats, dont la FSU et la CGT, demandent donc à ce que la protection fonctionnelle soit automatiquement accordée aux personnels, peu importe la gravité des cas, et dénoncent un deux poids deux mesures : “Imaginez de tels propos tenus face à un agent de police... Il n’y aurait pas de discussion”. La position de l’État n’est pas la même selon la nature de l'agent public, donc derrière, cela produit de la frustration."

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