Avec 750 fois plus de tatoueurs qu’il y a quarante ans, le tatouage s’est imposé dans nos modes de vie, à tel point que, même dans des villes comme Limoges, les salons poussent comme des champignons. Le tatouage, nouvel eldorado économique, ou le marché arrive-t-il à saturation pour une profession aux cadres mal définis ?
Si l’on peine à trouver des chiffres précis, les estimations sur le tatouage aujourd’hui en France donnent le tournis. Près de 750 fois plus de tatoueurs qu’il y a quarante ans, cent fois plus de salons qu'il y a trente ans et presque un Français sur cinq de tatoué.
Limoges n’échappe pas au phénomène, avec près d’une quarantaine de salons référencés, contre moins d’une dizaine au tournant du millénaire…
"Le fait qu'on en voit de plus en plus régulièrement passer, sur Instagram, dans nos fils d'actualité, c'est plus ce truc un peu mystique que seuls les rebelles faisaient dans leur coin, je pense", analyse Ludivine, tatoueuse à Limoges depuis huit ans.
Pour Alexandre, aka "Alex KH", tatoueur depuis plus de 10 ans, "avec tout ce qu'il y a à la télé, les émissions de tatouage et les gens qui sont tatoués, ça donne envie aux jeunes, et au moins jeunes parce qu'il y en a qui se convertissent plus tard, mais qui se disent 'je vais bien gagner ma vie".
On se dit, c'est cool, mais on ne se rend pas compte que ce que l'on a entre les mains, ce n'est pas notre salaire.
LudivineTatoueuse à Limoges depuis 8 ans
Selon le modèle économique, un salon moyen, surtout s’il tatoue à la chaîne, pourrait, en théorie, dégager de 5 à 15 000 euros de revenus bruts mensuels. Sans atteindre ces sommes, et en récusant l’abattage, eux, n’en font qu’un à deux par jour, nombre de tatoueurs limougeauds reconnaissent vivre, ou survivre, de leur passion.
Ludivine précise ainsi que lors de l'installation, "on se dit, c'est cool, mais on ne se rend pas compte que ce que l'on a entre les mains, ce n'est pas notre salaire. Il faut déduire tout ce qui est charges, que ce soit charges fixes ou charges sociales. Et une fois qu'on fait le compte, on se dit, bon ça va bien pour vivre, mais une vie tranquille quoi".
"Est-ce que c'est le nouvel endroit pour se faire du fric ? Non, mais c’est une façon pour s'exprimer et de faire un métier où on peut se dire, je ne travaille pas pour vivre, mais je vis pour travailler, estime, de son côté, Duncan aka "Dudu", tatoueur à Limoges depuis 2 ans.
D’autant plus que s’instaurer tatoueur n’est pas si compliqué. Un apprentissage pour les plus motivés, une attestation de formation hygiène et salubrité, le matériel de base, un local aux normes, une inscription auprès de l’ARS, et pour 2 000 à 5 000 euros minimum, tout un chacun ou presque prétendre exercer.
Mais même face à une demande croissante, cette offre pléthorique ne conduirait-elle pas à la saturation du marché ? Réponse de Duncan aka "Dudu", "bizarrement, je trouve que tout le monde s'en sort (...) il ne semble pas y avoir de gens qui peinent à travailler."
Enfin, face à cet afflux de nouveaux tatoueurs, quid des contrôles, de la formation et du statut, au pire inexistants, au mieux mal définis ?
"On n'a pas vraiment de statut donc c'est assez compliqué au niveau de la loi de faire reconnaître n'importe quoi au niveau du tatouage, donc pour moi, c'est ne pas assez encadré", conclut Alexandre.
Art ou business, le tatouage va devoir choisir. "Les gens qui sont nés pour les affaires, vont mieux gérer l'aspect économique que quelqu'un qui a la passion, mais pas la connaissance. Donc il va y avoir un changement dans le monde du tatouage, pas une baisse, mais ça va changer beaucoup, pense Francesco aka "Dizer", tatoueur depuis plus de sept ans.
Pas de quoi encore se faire un sang d’encre, mais l’âge d’or des tatoueurs pourrait bientôt s’estomper.