L'histoire de cet hôtel particulier, réquisitionné pendant la guerre et associé à de nombreuses légendes, en partie dévoilée

Nombreux sont les habitants de Limoges qui passent, à pied, à vélo ou en voiture, devant cette impressionnante bâtisse. Un hôtel particulier qui fait l'objet de nombreuses rumeurs. Nous avons enquêté pour connaître son histoire. (Première publication le 13 janvier 2024)

Sa silhouette imposante se découpe à l'entrée de la place Winston Churchill quand on arrive de la place Denis Dussoubs. Le style gothique flamboyant rappellerait presque l'Hôtel de Sens à Paris et situerait la conception du bâtiment à la fin du Moyen Âge, vers le XVᵉ siècle. Mais un coup d'œil plus averti permet de flairer la contrefaçon.

L'hôtel particulier n'a en réalité été construit qu'au début des années 1900. Construction entreprise sur ordre de Gaston Fougeras de Lavergnolle, avocat à la Cour d'Appel de Limoges, né en 1856 et mort en 1936. 

Entre histoire et rumeurs

L'hôtel particulier semble à l'abandon mails, il suscite ces derniers temps une vague de curiosité relayée sur les réseaux sociaux. 7 à Limoges lui a consacré sa rubrique le Nez en l'air en mai dernier. Chacun y va de son commentaire et de son anecdote sur l'histoire de la bâtisse. Elle aurait été tribunal militaire allemand entre 1943 et 1944, aurait abrité la Kommandatur... Pour d'autres, elle aurait encore été une maison de joie avec filles de petite vertu. Syvlain Compère, un confrère du Populaire du Centre bien renseigné, précise : "Il s'agit de notables de la région, notaires, juristes, magistrats, élus locaux, propriétaires terriens, etc. qui furent les derniers à avoir pu acheter une particule à la fin du XIXe siècle en Limousin. Ils étaient également installés au château de Puymirat, à Chaptelat. La maison de Limoges a hébergé, j'ignore si c'est avec le consentement de la famille, endeuillée à l'époque, des services allemands pendant la guerre, ce qui lui a valu une rafale de mitraillette à la libération. Les impacts sur la façade en témoignent." 

Difficile dans un premier temps d'enquêter sur l'édifice. À part le nom de son premier propriétaire, les historiens locaux sèchent assez vite sur le sujet. Claude Cardo, auteur du livre "Limoges Disparu" exhume tout de même pour nous quelques éléments biographiques : "Gaston Fougeras de Lavergnolle était avocat à la cour d'appel, propriétaire du château de Puymirat à Chaptelat. Il fut bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Limoges, commandeur de l'ordre pontifical de Saint-Grégoire-le-Grand, membre de la Société Archéologique et Historique du Limousin, président du Comité local de la Société de Secours aux blessés militaires, membre de la grande confrérie de Saint-Martial. Le 3 novembre 1922, il avait obtenu avec sa sœur un jugement du Tribunal Civil de Limoges rétablissant la particule entre ses deux noms". 

Il y avait donc quelques éléments justes dans les affirmations précédentes. Mais aussi des contre-vérités...

"Elle n'est pas aux dernières normes thermiques"

La maison n'est pas si ancienne et n'a pas une mémoire de plusieurs siècles à raconter. Coup de chance, le bâtiment n'est pas abandonné. Un bon point de départ pour en savoir plus. Il abrite au premier étage le cabinet d'Abel-Henri et de Dominique Pleinevert, avocats. Grâce à eux, nous avons pu joindre le propriétaire des lieux, Henri Grassin d'Alphonse.

Descendant direct de Gaston Fougeras de Lavergnolle, son arrière-grand-père, c'est lui qui gère présentement la bâtisse. Il venait y passer ses vacances étant enfant et il occupe épisodiquement le rez-de-chaussée quand il est de passage à Limoges, mais pas trop longtemps "car il est très difficile à chauffer". 

"Ce que je vais vous relater, je le tiens de la mémoire de famille et je n'ai pas pu tout vérifier", prévient le propriétaire. De mémoire familiale donc, l'hôtel particulier a bien été construit en 1911. Une maison d'apparat édifiée en même temps que la rue Brousseau était percée sur des terrains vendus par la famille Pénicaud.

 

C'est un hôtel particulier typique de l'époque avec des pièces de réception au rez-de-chaussée et le logement au premier et au deuxième étage. Des vitraux signés Francis Chigot et un escalier monumental donnent tout son prestige à la demeure. 

"L'agencement de cette maison n'est plus du tout d'actualité. L'escalier occupe près de la moitié de la surface totale, autant vous dire qu'elle n'est pas aux dernières normes thermiques", témoigne Henri Grassin d'Alphonse. 

"La maison de mon grand-père est réquisitionnée et devient un des lupanars de l'armée allemande"

Après la Première Guerre mondiale, l'aîné des fils de Gaston, Jean (grand-père du propriétaire actuel), né en 1889, suit les traces de son père et épouse la vocation d'avocat. "Il a offert ses services à l'évêché de Limoges pour négocier la cession des biens de l'Église à l'État après la promulgation de la loi de 1905". 

En 1940, après la débâcle, Jean Fougeras de Lavergnolle essaie de préserver sa maison des vicissitudes de la guerre. Président de la Croix rouge, il fait transférer le siège local de l'organisation à son domicile afin d'éviter la réquisition du bâtiment. Peine perdue, en 1943, à la faveur d'un changement à la tête de la Croix rouge, le nouveau président accepte de céder l'hôtel particulier à l'occupant. 

"La maison de mon grand-père est réquisitionnée et devient un des lupanars de l'armée allemande à Limoges. Il est contraint de déménager dans une autre maison", se désole rétrospectivement Henri Grassin d'Alphonse. 

Vocation que l'hôtel particulier conservera jusqu'à la libération de la ville en août 1944. Ce n'était donc pas le siège de la Kommandantur puisque "fin 1942, les Allemands installent la Kommandantur place Jourdan. La Gestapo investit une villa à l’angle de l’impasse Tivoli et du cours Gay-Lussac. L’Ordrugs Polizei s’installe rue Montalembert. Les états-majors et services investissent le Central Hôtel, l’Hôtel Moderne, l’Hôtel de Bordeaux. La milice et la cagoule étaient en plusieurs autres endroits, mais pas dans cette maison", précise Claude Cardo. 

Une rafale de mitrailleuse...

Les traces de balles sur la façade seraient bien des séquelles de la libération de la ville. Les lumières de l'hôtel particulier sont restées allumées, bravant le couvre-feu instauré par les libérateurs. Une rafale de mitrailleuse serait venue sanctionner cet oubli. 

À la fin de la guerre, le bâtiment reste sous réquisition de la mairie de Limoges. Elle aurait alors hébergé des services municipaux avant d'être fractionnée en plusieurs appartements. L'hôtel particulier n'est restitué à son propriétaire qu'en 1961. 

"Il y avait des gens qui habitaient dans les étages. Mon grand-père est revenu s'installer dans les pièces de réception au rez-de-chaussée. Il a fait percer une nouvelle entrée pour son usage personnel sur le côté droit du bâtiment".

Depuis, les choses n'ont pas beaucoup changé. Le premier étage a vu arriver il y a une vingtaine d'années le cabinet d'avocat qui y réside toujours. Le second a vu passer plusieurs colocs d'étudiants. Mais de l'aveu même du propriétaire, "le loyer est assez prohibitif et pour le même prix, vous avez une maison à l'extérieur de Limoges".

Voilà donc une partie du mystère de cet hôtel particulier dissipé. 

 

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