Le Limousin zone de prolifération, une espèce géante découverte en Charente, pas de doute, les tiques n'ont pas dit leur dernier mot et la Nouvelle-Aquitaine n'est pas épargnée. Le printemps peut donc vite rimer avec inconvénients. Voici quelques explications, conseils et précautions.
S'aérer au cours d’une balade en forêt, pique-niquer, s'allonger dans l'herbe et profiter de l'instant. Des bienfaits du printemps qui s’accompagnent de leurs inconvénients et notamment le retour des tiques, qui prolifèrent par temps chaud et humide.
Le Limousin, zone de prolifération
"Si on se base sur le réseau Sentinelles de veille sanitaire, le Limousin a toujours été une région où le nombre de cas de piqûres de tiques est plus important que les autres régions en France, excepté le Grand Est’’, déclare Jonas Durand, ingénieur à l’INRAE, l’Institut National de Recherche de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement. On observe ainsi sur la carte de Santé Publique France que la Creuse est particulièrement touchée.
"Dès 2017, nous avons identifié un risque de proximité", analyse le chercheur de l’INRAE. "Un tiers des signalements de piqûres avaient lieu dans les jardins privés. On s’est rendu compte que cela se confirmait au fil des années et qu’avec le confinement strict de l’an dernier, il y a eu moins de piqûres, car les gens se déplaçaient moins, mais une forte augmentation, près de 50%, dans les jardins privés. Cela paraît logique, mais on souhaite alerter la population sur ce phénomène : il n’y a pas qu’en forêt que l’on peut se faire piquer, il est donc nécessaire d’être vigilant aussi chez soi, au potager ou au jardin. On entend également sensibiliser les personnels de santé de cette évolution."
Les tiques porteuses saines de l'agent infectieux de la maladie de Lyme
"Depuis un mois, il y a une recrudescence de tiques", confirme Vincent Cruypenninck, vétérinaire à la clinique du Sablard à Limoges. "Maintenant, vu le climat que l’on a, il n’y a plus vraiment d’hiver, on a des tiques quasiment toute l’année. Depuis février, mars, il n’est pas rare que des gens arrivent en consultation avec des animaux porteurs de tiques. Ils ne s’en sont d’ailleurs pas forcément rendu compte. Il y a vraiment une recrudescence en ce moment."
La tique fait partie de la même famille que les araignées, les arachnides. Comme certaines rares espèces de chauve-souris, elle se nourrit de sang de mammifères notamment en les piquant. Elle peut transmettre à l’homme la borréliose de Lyme, plus connue sous le nom de maladie de Lyme. Chez les humains, ses symptômes se traduisent par différentes manifestations : cela va des courbatures, fièvres, douleurs articulaires aux troubles du rythme cardiaque et vertiges.
En France, la proportion de tiques infectées tourne autour de 15%, mais elle varie en fonction des lieux et de la faune locale : rongeurs, écureuils, oiseaux.
Les animaux domestiques, premières victimes
Nos animaux domestiques sont les premiers touchés comme les mammifères de nos campagnes : chevaux, vaches, moutons ou chèvres. ‘"Les chats sont plus résistants que les chiens à la maladie de Lyme’", explique Vincent Cruypenninck, "en revanche, ce que l’on rencontre plus fréquemment chez les chiens, c’est la piroplasmose qui est également transmise par les tiques. Quoiqu’il en soit, que ce soit pour les humains ou les animaux, la maladie de Lyme est souvent sous-diagnostiquée. Même avec un test PCR, les résultats sont souvent négatifs. Les cas peuvent être asymptomatiques et on a du mal à évaluer sa prévalence, notamment chez les chiens. La piroplasmose est beaucoup plus fréquente."
Vincent Cruypenninck précise : "Les tiques se nourrissent du sang des mammifères, soit pour grandir, soit, si elles sont adultes, pour pondre. Toutes les tiques ne sont pas porteuses de la maladie de Lyme. Elles sont contaminées en se fixant sur des animaux eux-mêmes porteurs de la maladie. Elles ne jouent qu’un rôle de vecteur de contamination."
Le tire-tique : un ustensile simple et pratique
Une méthode simple et pratique existe pour retirer une tique sur soi ou son animal. Damien Conceicao, pharmacien à Limoges, énonce les principaux conseils pour une bonne manipulation du tire-tique, vendu en pharmacie : "Cela se présente comme un petit crochet, souvent il y a deux tailles pour s’adapter à celle du parasite. Par un mouvement de rotation, l’ustensile permet de le décrocher. Le principal intérêt, c’est de le faire sans provoquer de régurgitation de la tique qui a ingéré le sang. Si on le retire de la mauvaise manière, avec régurgitation, elle va potentiellement transmettre la maladie de Lyme. Mais c’est très facile à faire avec un mouvement de rotation, une fois que l’on a glissé le crochet entre le corps et la tête qui se trouve sous la peau, on va pouvoir l’extraire. Ensuite, il faut désinfecter et surveiller la plaie durant 4 semaines pour repérer éventuellement ce qu’on appelle un érythème migrant, une tache rouge qui grandit. Dans ce cas, il faut consulter."
Et le pharmacien, rassurant, d’ajouter : "La maladie de Lyme a un impact sur le quotidien du patient avec notamment des douleurs articulaires, mais on sait désormais la prendre en charge avec de l’antibiothérapie qui permet de ne pas développer la maladie."
Une tique géante identifiée en Charente
Jean-Yves Morellec, chef de service à l’OFB (Office Français de la Biodiversité) de Charente, raconte : "On a toujours eu beaucoup de tiques, on y est confronté quand on est dans les bois et il y a plusieurs espèces. Philippe Dumas, inspecteur de l’environnement, est à l’origine du signalement d’une espèce particulière, l’Hyalomma Marginatum, découverte le 20 juin 2020, à Boisné-la-Tude, au sud d’Angoulême."
L’Hyalomma Marginatum est une tique géante deux fois plus grosse que ses congénères (2 centimètres quand elle est gorgée de sang) et porteuse potentielle de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. L’ARS (Agence Régionale de la Santé) a été prévenue, cette maladie peut entraîner des flambées de fièvre hémorragique virale sévère selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
"Elle est plus dangereuse que les autres", explique Jean-Yves Morellec."Sa particularité est qu’elle poursuit ses proies. Elle ne se laisse pas tomber sur elles comme la plupart des tiques, elle peut les poursuivre sur une centaine de mètres".
Philippe Dumas précise : "Une tique a trois phases de développement. A partir de l’œuf, elle se développe d’abord en larve, elle fait un premier repas de sang, elle se décroche, elle se transforme en nymphe, deuxième repas de sang, nouveau décrochage, et ensuite, elle devient adulte et fait un troisième repas, et c’est à ce stade que nous pouvons être piqué. Au terme de ce dernier repas, elle se décroche et se reproduit au sol."
L’Hyalomma Marginatum se distingue avec deux phases de développement. Elle n’a besoin que de deux hôtes, les deux premières phases se produisent sans qu’elle ne quitte sa proie. Une fois adulte, elle parasite son nouvel hôte, souvent les chevaux.
Sa particularité est qu’elle poursuit ses proies
Une stratégie d'attaque singulière
"Cet acarien a une stratégie tout à fait particulière", ajoute Philippe Dumas, le découvreur de l’OFB : "D’ordinaire, une tique monte sur une branche, un brin d’herbe et attend le passage d’une proie, animal ou humain. L’Hyalomma Marginatum est capable de repérer un cheval au pré (statique) à 10 mètres, de courir après lui, comme une araignée, jusqu’à une distance de 100 mètres, c’est quand même assez impressionnant pour un acarien."
Ce spécimen identifié en Charente a été prélevé et expertisé à Montpellier, c’était un mâle. "On s’interroge vers son arrivée dans la région’", poursuit l’inspecteur de l’environnement. "Peut-être grâce à un oiseau migrateur mais nous ne sommes pas dans les couloirs de migration. Ce type de tique se développe dans des milieux assez secs, arides, est-ce que ce sera le cas chez nous ? Le problème est que si elle n’est pas dangereuse pour les animaux, la maladie qu’elle véhicule peut être mortelle pour l’homme."
C’est le signalement le plus au nord que l’on ait trouvé. La présence de l’Hyalomma Marginatum a été constatée à partir des années 2010 dans le sud de la France, présence jugée « pérenne » depuis 2015 par l’Anses, l’Agence Nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail.
L'impact du changement climatique sur les populations de tiques
Un programme de recherche de l’INRAE de Theix en Auvergne, Climatick, fait un suivi des populations de tiques dans 7 lieux en France depuis près de 10 ans. Le but est de déterminer l’effet du dérèglement climatique sur ces acariens. Jonas Durand, de l’INRAE de Champenoux, précise : "C’est plus complexe que cela en a l’air : les populations de tiques dépendent beaucoup de leurs sources de nourriture, soit mammifères, soit oiseaux, soit reptiles. Pour l’instant, nous avons constaté un fort effet lié à la densité d’hôtes présents, mais cela dépend aussi de l’environnement végétal. Le climat s’adoucissant, on retrouve un développement de tiques plus au nord, comme en Suède, ou en altitude. En France, il y a 15 ans, un spécialiste vous aurait dit qu’on ne trouve pas de tiques à plus de 1 000 mètres d’altitude, aujourd’hui, on est plutôt à 1 500/1 750 mètres d’altitude où elles parviennent à faire leur cycle de vie et à se reproduire. Il y a donc des effets indirects du changement climatique et des recherches sont en cours pour connaître leur développement dans les années qui viennent."
Citique : programme de recherche participatif avec les citoyens
L’INRAE a lancé Citique, un programme de recherche participative. Jonas Durand explique : "L’idée est que les maladies vectorisées par les tiques sont de plus en plus importantes, c’est un problème de société, il est important que les citoyens soient associés et puissent participer à la recherche. On peut signaler une piqûre, une présence de tique sur l’homme ou un animal sur le site internet dédié, sur l’application ou en version papier. Il faut indiquer le lieu, la date, les circonstances. Ce sont des données pour mieux comprendre les comportements et améliorer la prévention ensuite. On peut également envoyer la tique au laboratoire, la tiquothèque, qui recense et permet d’analyser tous les spécimens piqueurs."
Une tiquothèque et des stages pour mieux comprendre ce parasite
Cette tiquothèque est également accessible à d’autres chercheurs qui ont d’autres thématiques, mais elle se distingue dans sa dimension participative envers les citoyens. L’INRAE propose en effet que toute personne volontaire puisse analyser elle-même les tiques. "Nous proposons des stages de recherche gratuits de deux jours ouverts aux citoyens, ou de trois jours ouverts au public scolaire dans notre laboratoire ‘’Tous chercheurs’’ près de Nancy’’, ajoute Jonas Durand : ‘’Le principe est une pédagogie inversée qui passe beaucoup par le questionnement et la co-construction d’une question de recherche qui permet aux gens de découvrir la démarche scientifique. Ensuite, on réalise ensemble des expériences pour analyser les tiques. Par exemple, est-ce que les tiques piqueuses d’animaux domestiques peuvent représenter un danger pour la santé humaine ? Tout dépend de l’espèce de tique."