Le 1ᵉʳ janvier 2025, des habitants d’une commune située en lisière de forêt de Chaux dans le Jura ont vu surgir des bois, une harde incroyable. L’image fait le bonheur du grand public et des passionnés d’animaux. Beaucoup moins des gestionnaires de la plus grande forêt de feuillus du Jura, la forêt de Chaux.
La scène dure plus de deux minutes. Par dizaine, par centaine, biches et cerfs sortent en gambadant de la forêt pour rejoindre les champs. Les riverains de la petite commune d’Étrepigney ont l’habitude de voir des cervidés. Mais ils n'en avaient jamais vu autant. On voit une nuée de biches et cerfs s’agglutiner sur la colline et dans les prés, pour y trouver sans doute de la nourriture en cet hiver.
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Ces images, comme de nombreux Jurassiens, Florent Dubosclard les a vues. Pour le directeur de l’Office national des forêts, l’heure est grave : ”La vue de ces 300 animaux m’effraie plus qu’elle ne m’émerveille” confesse le forestier. L’homme à la tenue verte gère le patrimoine végétal de la forêt de Chaux. Situé entre Besançon et Dole, ce vaste territoire boisé d’une superficie de 20.493 hectares est la plus grande forêt de feuillus de France après celle d’Orléans. Les cervidés y sont nombreux sur une zone de 28 kilomètres sur 16. Trop nombreux selon l’ONF.
Rien ne pousse, les cerfs consomment tout.
Florent Dubosclard, directeur ONF Jura
Quand nous lui demandons comment il a perçu cette scène rarissime, plus de 300 cervidés réunis à la fois, Florent Dubosclard ne mâche pas ses mots. “Une impression de désolation” pour cette forêt menacée, résume-t-il. Comme de nombreuses forêts françaises, la forêt de Chaux souffre du dérèglement climatique. L’ONF tente de la régénérer en faisant pousser des espèces plus adaptées au climat de demain. “Mais les cerfs sont en surnombre, on n’y arrive pas” affirme le patron des forestiers jurassiens.
“Un cerf mange entre 10 et 15 kilos de matière végétale par jour !” lance l’homme. Faites le calcul. La harde aperçue ces derniers jours grignoterait à elle seule 3 à 4 tonnes de feuilles et plants par jour.
300 biches et cerfs réunis en une harde. Ce sont aussi des faons par centaine à venir ces prochains mois. Et cette harde n’est peut-être pas la seule sur le secteur. Impossible néanmoins pour l’ONF de quantifier le nombre actuel de cervidés dans cette vaste forêt de feuillus.
Il m’importe qu’une population de cerfs soit en adéquation avec ce que la forêt de Chaux peut accueillir.
Florent Dubosclard, directeur ONF Jura
Retrouver un équilibre pour la forêt
La présence des cerfs en forêt de Chaux est depuis plusieurs années un sujet de discorde. Entre forestiers, chasseurs, défenseurs de la nature. Le plan de chasse 2024-2025 prévoit le prélèvement de 590 cervidés pour préserver la forêt et maintenir une faune dans une proportion “acceptable”. Pour Florent Dubosclard, les derniers plans de chasse sont insuffisants et révèlent aujourd’hui leurs limites.
“Il y a eu une volonté politique pendant de nombreuses années de préserver l’espèce… Aujourd’hui, on est arrivé à un point où la situation a complètement dérapé”, estime le forestier.
Pour faire cohabiter biches, cerfs et jeunes pousses, des actions ont pourtant été mises en place. Plans de chasse chaque hiver, pose de grillages pour protéger des plantations. Depuis l’automne 2024, l’ONF expérimente aussi des microprairies. 34 parcelles de plus de 15 hectares ont été implantées dans la forêt. Elles permettent aux cerfs, biches et chevreuils de manger des graminées plantées par l'ONF.
“Il faut changer de braquet”
Y a-t-il trop de cerfs en forêt de Chaux ? Oui, trois fois oui pour l’ONF. “Le risque à terme, c’est que la forêt disparaisse si elle est surconsommée, ce n’est pas un scénario de science-fiction, cela a été vérifié sur d’autres coins du globe comme la steppe où les ongulés étaient trop présents”, argumente Florent Dubosclard. Pour lui, il y a urgence à agir. “On est à un niveau de cataclysme” face aux dégâts en forêt de Chaux. Les solutions selon lui ? Travailler avec toutes les parties prenantes. “Je vais en appeler à une prise de conscience de la crise, entre chasseurs, agriculteurs, forestiers, pour adopter des pratiques qui nous permettent d’infléchir la tendance”, conclut Florian Dubosclard.
Un plan de chasse encore à la hausse ?
Le plan de chasse 2024-2025 qui prévoit l’abattage de 590 cervidés est en retard, tant sur la partie domaniale de la forêt que sur les parcelles privées. Certains chasseurs auraient-ils des états d’âme à armer leur fusil ? L’ONF n’exclut pas de reprendre à son compte des lots de chasse confiés actuellement à des associations de chasse pour avoir la main sur les prélèvements.
Des louvetiers à terme en forêt de Chaux pour prélever plus de cervidés ? C’est une piste qui pourrait bien être un jour sur la table. Le plan de chasse se décide chaque printemps, par la Préfecture, en concertation avec l'Office National des Forêts (ONF) et les acteurs du monde cynégétique.
En 2023, le collectif de défense des cervidés de la forêt de Chaux avait rassemblé plus de 74.000 signatures pour protester contre "le massacre" des cerfs en forêt de Chaux. "L'ONF va dire 'le cerf empêche la régénérescence de la forêt, mais c'est faux" dénonçait alors le photographe Olivier Trible à l'origine de collectif. "Ils ne cherchent pas à cohabiter avec le cerf, ils veulent juste l'éliminer".
Depuis, d'autres associations de protection de la nature sont montées au créneau en Franche-Comté pour défendre des ongulés. Dans le Doubs, l’abattage de 600 chamois fait actuellement polémique.