L'inquiétude grandit chez les avocats limousins. Le ministère de la justice aurait ressorti de ses tiroirs un rapport de la cour des comptes de 2019 préconisant une réorganisation judiciaire au sein de la Nouvelle Aquitaine, où la Cour d'appel de Limoges perdrait son plein exercice. Levée de boucliers chez les avocats.
« Inacceptable », le mot d’indignation était sur toutes les lèvres ce mardi soir à l’occasion de cette réunion publique au théâtre de l’Union. A l’invitation des avocats des trois départements de l’ex-Limousin, des élus et candidats aux législatives, de simples citoyens, des chefs d’entreprise ainsi que de simples justiciables sont venus parler du thème de l’injustice et de la fracture de la justice. Et la rumeur d’une éventuelle fermeture de la cour d’Appel de Limoges a cristallisé toutes les colères. Les avocats ont dénoncé l’éloignement du juge et la restriction de l’accès au droit du citoyen.
Le Garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, dément toute fermeture. Mais c'est un autre son de cloche qui circule dans le monde judiciaire limousin. Unis, les avocats des quatre barreaux Limoges, Tulle, Brive et Guéret ont organisé une réunion publique pour sensibiliser les citoyens, élus, candidats aux législatives, chefs d'entreprises... à l'importance d'une justice de proximité avec des moyens et dénoncer au contraire tout projet qui éloignerait un peu plus encore le justiciable de son juge.
« Il n’y a aucune inquiétude, si vous lisez le rapport de la cour des comptes, il ne dit pas surtout qu’il faut supprimer des Cours. Il parle de renforcement des fonctions supports, ce qui n’a strictement rien à voir. Je le redis aux magistrats, aux avocats et surtout aux justiciables qui nous entendent. Moi, j’ai fait, dans le cadre de ce qu’on a appelé la Justice de proximité, tout le contraire. J’ai mis en place des audiences foraines, j’ai rouvert des tribunaux qui étaient fermés pour que des justiciables aient accès à la justice sans faire quatre-vingt-dix kilomètres sur des routes parfois sinueuses et difficiles. J’ai ouvert 2 000 points justices, où on donne les premiers conseils gratuitement et de façon confidentielle, ce n’est pas pour supprimer des juridictions, que tout le monde se rassure ».
Au contraire, loin d'être rassurés, les bâtonniers des trois départements se sont appuyés ce mardi sur leurs représentants nationaux, le président du Conseil national des barreaux et le président de la Conférence des bâtonniers, invités à l'occasion d'un tour de France pour dénoncer les injustices notamment territoriales. Si la Cour d'appel de Limoges venait à perdre son autonomie pour devenir une dépendance de celle de Bordeaux, en la vidant progressivement de ses prérogatives juridictionnelles et administratives, il y aurait à craindre à terme un éloignement de plus de l'accès au droit. Une affaire jugée à Limoges, Guéret, Tulle ou Brive pourrait ainsi partir en appel à Bordeaux, avec les frais supplémentaires ou l'envie de désistement que cela engendrerait. C'est toute la réalité des territoires aujourd’hui.
« On ne voudrait pas faire de la Creuse un désert judiciaire, après le désert médical, embraye Philippe Lefaure, bâtonnier du barreau de Guéret. Car si on supprime la Cour d’appel, on peut craindre également des suppressions de tribunaux judiciaires et de la justice de proximité. On nous parle de justice de proximité, de justice de simplification, mais on se rend compte que tout est devenu au contraire très compliqué. Aujourd’hui, on dématérialise, on éloigne les justiciables de ces lieux de justice. Pour nous c’est totalement inacceptable ».
Les avocats se placent ainsi en lanceurs d’alerte, encore traumatisés par la réforme de Rachida Dati de 2010, qui a vu fermer les tribunaux d’instance (justice du quotidien) de Rochechouart, St-Yrieix-la-Perche, Bellac, Ussel et un tribunal de grande instance, celui de Tulle, avant que ce dernier ne rouvre et soit à nouveau inauguré par Christiane Taubira en septembre 2014.
Les échanges se sont poursuivis pour parler du poids de la justice, ce qu'elle représente dans le quotidien de chacun, la sécurité apportée aussi dans les relations commerciales, bien loin de toute dématérialisation.
Dans la salle, Richard Doudet, avocat au barreau de Limoges insiste : « Ce que veulent les justiciables, c’est de l’écoute et de l’attention. Ils ne veulent plus voir quelqu’un derrière un écran pour une consultation sur internet. Ils ne veulent plus voir quelqu’un qui les traite en trente secondes, en cinq minutes à 60 euros les 10 minutes. Ils ne veulent pas de ça ».
Une étude récente pour le Conseil national des barreaux révèle que 37% des français interrogés disent qu’il est difficile de faire valoir ses droits, ils sont 39% en Nouvelle-Aquitaine.
Le président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan, membre par ailleurs des états généraux de la justice lancés le 18 octobre 2021, achevés en avril 2022 et dont on attend la publication du rapport, ajoute que « le sentiment d’injustice augmente chez nos concitoyens. Les injustices touchent de nombreuses sphères de notre société, y compris les institutions républicaines ayant vocation à les réduire : d’ailleurs pour 44% des français la justice serait la première sphère d’injustice ; ce qui nous interpelle en tant qu’avocats. »
Le Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Creuse, Philippe Daly, a par ailleurs souligné l'importance de la sécurité juridique des transactions commerciales et à quel point elle influait sur la compétitivité économique, précisant par ailleurs que le poids des activités juridiques représentait 1,6 % du PIB de la France.
Pour rappel, le barreau de Limoges donne 3000 consultations gratuites par an et assure 24/24 des permanences pour les gardes à vues, les comparutions devant le juge des libertés et de la détention, les hospitalisations d’office, les comparutions immédiates des majeurs et mineurs… Dans cette affaire, c’est clairement l’accès au droit qui est en jeu.