Maman de Charlotte et d’Emilie, des jumelles de 29 ans, assassinées sur la terrasse du Carillon le 13 novembre 2015 à Paris, Yolande Meaud a décidé de parler à la barre, ce jeudi 30 septembre 2021.
6 ans après les faits, Yolande Meaud monte à Paris. La Haut-Viennoise a décidé de porter la mémoire de Charlotte et d’Emilie devant la cour d’assises spéciale de Paris.
Ses filles, sœurs jumelles, étaient attablées avec leurs amis à la terrasse du Carillon à Paris le vendredi 13 novembre 2015. Originaires d'Aixe-sur-Vienne, elles font partie des treize victimes qui ont trouvé la mort ce soir-là sous les balles des terroristes, dans ce café parisien.
Yolande Meaud, digne, courageuse, attend ce procès depuis des années, tout en le redoutant. "Le procès, ça remet tout en cause, c’est un bouleversement total. Il va falloir revivre ces moments-là, mais c’est aussi pour avancer, je crois que c’est nécessaire. C’est important pour moi" explique t'elle.
Dans le train matinal qui la conduit à Paris, avec douceur et pudeur, Yolande accepte de se confier à nous.
C'est aussi l'inconnu qui m'attend. Je n’ai jamais eu l’occasion d’aller dans un palais de justice. Là, je n’y vais pas pour me promener, j’y vais pour témoigner, pour apporter quelque-chose par rapport à mes filles, pour parler, il ne me reste plus que ça. J’ai perdu mes filles, y a plus rien, on ne peut plus revenir en arrière. Je témoigne pour elles. J’ai besoin de parler d’elles.
A son arrivée au Palais de Justice, la mère de Charlotte et d’Emilie retrouve son avocate, rassurante et attentive. A ses côtés, elle découvre le dispositif très sécurisé du procès qu’elle trouve impressionnant. "C’est une machine énorme" décrit Yolande Meaud.
Avant de témoigner à la barre, son avocate voit avec elle les détails de sa déposition. "C’est l’inconnu. J’ai peur d’être submergée même si je me dis "tu vas tenir ", et puis j’ai peur de la réaction de Salah Abdelsam, qui est très très virulent... et c’est inacceptable" ajoute Yolande Meaud.
Sur les 2 200 parties civiles, seules 350 ont demandé à témoigner. Certaines hésitent jusqu'au bout. Mais cette ancienne institutrice, cheveux courts, gris, lunettes en écailles rondes, est aujourd'hui déterminée, portée par la solidarité avec toutes les victimes et leurs familles. "Il y a quelque-chose qui nous lie beaucoup même si on ne se connait pas. Tristement certes. Mais c’est important. Je me devais d’y aller".
A la barre, une amie de Charlotte et d’Emilie, Maya, rescapée du Carillon raconte
Le témoignage de Maya va bouleverser Yolande. Mercredi 29 septembre 2021, la jeune femme blonde, les pommettes roses d’émotion, prend la parole devant le président de la cour, Jean-Louis Périès. Charlotte et Emilie étaient ses amies. Ce soir-là, ils étaient cinq autour de la table. Maya, Amine, Charlotte, Emilie et Mehdi. Le carillon était leur QG.
Je me souviens parfaitement de nos discussions : j’avais 27 ans, eux 29, et on parlait de la fête qu'ils allaient faire pour leurs 30 ans.
Maya raconte l’horreur, le face à face avec la mort. Elle décrit le bruit des détonations, l’odeur du sang, le râle et le souffle saccadé d’un homme vivant ses derniers instants très proche de l’endroit où elle s'était blottie, dans le caniveau, entre le trottoir et les pneus d’une voiture. Après les tirs, le silence qui revient. Les secouristes qui arrivent. Gravement blessée aux jambes et au dos, elle raconte qu'elle aperçoit alors le regard vide de son mari Amine et plus loin, ses deux amies Charlotte et Emilie qui ne bougent plus.
Trois sont tombés sous les balles. J’ai perdu mes amies, j’ai perdu l’homme que j’aimais.
Ni Amine, ni Charlotte, ni Emilie ne fêteront leurs 30 ans.
"Perdre ses deux filles en même temps… le monde s’est écroulé ", déclare Yolande Meaud devant la cour
Ce jeudi 30 septembre 2021, c’est enfin au tour de Yolande. Ses filles ont eu des parcours séparés, en France et même à l'étranger et puis elles s'étaient retrouvées depuis un an à Paris.
A 16h, des photos de Charlotte et d’Emilie sont diffusées dans la cour d’assises.
Yolande : "elles étaient belles, vivantes, heureuses, pleines d'énergie, gaies. J'étais et je serai toujours fière d'elles. Elles s'étaient retrouvées depuis peu à Paris. Elles se déplaçaient à vélo. D'ailleurs le vélo d'Emilie est resté longtemps accroché près du Carillon".
— Charlotte Piret (@ChPiret) September 30, 2021
Yolande décrit ses filles, débordantes de vie et d'intelligence. Elle brosse les portraits de voyageuses avec des valeurs vissés au corps comme le respect de l'environnement, la tolérance, l’antisémitisme. Elles étaient dans les manifestations pour dénoncer l'obscurantisme, l'attentat contre Charlie Hebdo... La maman des jumelles raconte l'interminable attente avant d'apprendre la mort de ses deux filles, la douleur avec laquelle elle apprend la nouvelle. Yolande poursuit en expliquant le passage à l’institut médico-légal, la préparation des obsèques… Elle décrit ensuite tous ces moments qui ont suivi l’annonce brutale de leurs morts.
Yolande : "puis, il faut préparer les obsèques pour ses filles. Préparer les obsèques pour ses filles. Quelle horreur. Maintenant, de mes filles, il ne me reste plus que les souvenirs, les photos que j'aime regarder. Je les fais vivre un peu comme ça."
— Charlotte Piret (@ChPiret) September 30, 2021
Son avocate est soulagée que sa cliente ait trouvé la force de s’adresser à la cour.
Maître Héléna Christidis représente également 23 autres parties civiles. Toutes ont une histoire unique. Mais toutes sont liées par l'enfer de cette soirée du 13 novembre 2015. Elle souligne avoir constaté chez les victimes une évolution dans les sentiments ressentis, colère, injustice, incompréhension...
Je crois que c’est important pour elle de témoigner, pour la mémoire de ses filles. Mais si elle n’avait pas eu le courage et la force de le faire car il en faut beaucoup, ça aurait été fait différemment. L’intérêt de ce procès, c’est que toutes les histoires puissent être entendues et qu’on puisse donner la parole d’une façon ou d’une autre à chacun.
VIDEO. Habitant Aixe-sur-vienne, Yolande Meaud s'est rendue à la cour d'assises spéciale à Paris pour rendre hommage à ses deux filles assassinées au Carillon le 13 novembre 2015, alors que les parties civiles se succèdent à la barre pour raconter l'horreur de ces attentats. Isabelle Rio et Margaux Blanloeil ont partagé cette journée avec elle.