On commence à peine à connaître le fonctionnement et le bilan de la police politique nazie à Limoges entre 1942 et 1944. Christian Penot, auteur d’un livre sur ce terrible épisode de l'Histoire, donnera une conférence ce dimanche 18 septembre au musée de la Résistance avec des images d’archives de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine.
En Novembre 1942, l'armée allemande franchit la ligne de démarcation et envahit la zone dite « libre » administrée depuis la défaite par le Maréchal Pétain et le régime de Vichy.
Pour la première fois depuis le début de la guerre, les habitants de Limoges et du Limousin commencent à voir des soldats allemands dans la rue.
Dans son sillage, l’armée du Reich amène la police nazie et toute son administration, déjà chargée d’une sinistre réputation.
Terre de résistance, le Limousin va devenir le théâtre d’une répression féroce.
Depuis son repaire de l’impasse Tivoli, près de la gare de Limoges, les policiers nazis et leurs auxiliaires français vont se livrer à une traque et à une répression implacable.
Plusieurs centaine de personnes persécutées, arrêtées, détenues, torturées, assassinées et déportées par la police politique allemande de Limoges.
A Limoges comme partout en France la police politique nazie était à la fois extrêmement hiérarchisée, avec une très forte concentration des pouvoirs, mais aussi une grande dilution des responsabilités.
Ce que l’on a communément appelé la Gestapo était en fait la Sipo-SD, SIPO pour Sicherheitspolizei (en français police de sûreté) et SD pour Sicherheitsdienst des Reichsführers SS (en français le service de la sécurité du Reichsführer-SS ).
D’abord présente sous forme d’un d’un Einsatzkommando (en français commando d’intervention), organisation légère d’une quinzaine d’agents, la Sipo-SD de Limoges va très vite développer ses structures en raison du développement de l’activité de la Résistance locale.
Fin 1943 elle devient un KDS (Kommandeurder Sicherheitspolizeiund des SD) comme dans d'autres grandes villes de la zone occupée.
Le KDS de Limoges se renforce et élargit rapidement son champ de compétence et sa zone d’activités. Il étendra ses tentacules en Haute-Vienne, Creuse, Corrèze mais aussi dans l'Indre la Dordogne avec des antennes à Châteauroux, Périgueux, Tulle, Brive et La Courtine.
Dans toute cette vaste zone, la répression et les exactions ne vont plus cesser.
Principal objectif : mater les mouvements de résistance locaux
L’action de la police allemande à Limoges a été peu étudiée.
Pour écrire son ouvrage « La meute, histoire de la Gestapo à Limoges » (Ed. La Geste) Christian Penot a consulté de nombreuses archives devenues récemment accessibles, notamment celles de la justice militaire qui conservent un dossier de près de 2000 pièces concernant les poursuites engagées après la guerre contre les agents allemands du KDS de Limoges.
Beaucoup de documents ont été détruits lors du saccage des locaux de la police nazie de Limoges impasse Tivoli à la Libération. Selon Christian Penot, une masse importante de dossiers semblent aussi avoir été saisis par les autorités militaires françaises mais elles ne sont toujours pas consultables dans le cas de Limoges.
L’auteur qualifie les hommes gravitant autour de la Gestapo de Limoges de « meute de prédateurs ». Le siège de la police allemande à Limoges impasse Tivoli était d’ailleurs surnommé « le piège des loups » par ceux qui avaient le malheur d’y entrer et la chance d’en ressortir vivants pour le raconter.
La police nazie était hyper-organisée et cherchait à infiltrer tous les milieux de la vie sociale de la région en s’alliant les services de personnages souvent peu recommandables.
Depuis leur siège dans le quartier de la gare à Limoges les policiers allemands bénéficieront du soutien opérationnel de plusieurs unités de l’armée Allemande de la région, Wermacht ou SS. Mais ils pourront aussi et surtout compter sur les hommes de la Milice, des partis collaborationnistes locaux ou de malfrats recrutés pour l’occasion en échange de l’impunité.
Impasse Tivoli : le piège des loups
Début 1943, le KDS de Limoges investit un ensemble immobilier appartenant à une famille d'industriels de la ville, les Lacaux, situé à l’angle du cours Gay-Lussac et de l’impasse Tivoli. Après la guerre, l'artère sera rebaptisée. Elle s'appelle aujourd'hui impasse Saint-Exupéry.
Le lieu n’est pas choisi au hasard. Dans une impasse, les bâtiments y sont masqués par des hauts murs. La Feldgendarmerie cantonnée dans la caserne Marceau et la gare sont toutes proches, facilitant le transfert de prisonniers.
L’immeuble situé à l'entrée de l'impasse, à l'angle du Cours Gay-Lussac, est surnommé « la maison brune ». Il accueille plusieurs services. Les caves servent de lieux de détention et de salles de torture qui seront décrits par de nombreux prisonniers suppliciés. Il a été rasé dans les années soixante-dix et remplacé par un immeuble moderne.
Plus loin à droite dans l’impasse, une vaste maison bourgeoise héberge quelques hauts responsables. Derrière, les garages servent également de lieux de torture. On y pratiquait notamment le supplice du palan hérité de l’Inquisition. La victime attachée à un treuil, les bras dans le dos et suspendue dans le vide était frappée jusqu’à l’évanouissement. Juste à côté, un parc permet au personnel de se détendre.
Les nombreux officiers allemands et des auxiliaires du KDS sont logés dans des hôtels ou des demeures bourgeoises du centre-ville réquisitionnées pour l’occasion.
Dans son ouvrage Christian Penot estime qu’une centaine d’agents allemands dépendaient du KDS de Limoges.
Le bureau sera d’abord dirigé par Hans Nikolaï Jessen puis, en juin 1943, par August Meïer.
Policier depuis 1923, encarté au parti nazi depuis 1933 et membre de la SS dès 1934, Meiër s’est d’abord d’abord illustré en Tchécoslovaquie puis en Ukraine et dans le Caucase dans une unité qui prendra part à de nombreuses exactions. De 1941 à février 1942, 10 000 juifs seront assassinés sous son commandement dans la région de Kiev.
Des français au service des policiers allemands
Mais sans la collaboration de nombreux français, la seule présence des agents et officiers allemands n’aurait pas suffi à remplir leur mission de répression à grande échelle dans la région de Limoges. La collaboration avec la police du régime de Vichy ne suffisait pas non plus et la confiance des allemands dans les capacités de la police française était limitée.
Les policiers nazis ont donc du recruter dans la population locale.
La plupart de ces recrues seront des membres de la pègre ou des militants des organisations collaborationnistes. Des soldats perdus de la Légion Française contre le Bolchévisme, quelques Alsaciens-Lorrains ou de simples opportunistes attirés par l’appât du gain viendront compléter les effectifs du KDS de Limoges.
En Limousin, trois bandes, celles de Robert Schneider, de Pierre Abride et celle de Klein, vont être particulièrement combatives.
Robert Schneider, Alsacien installé à Brive, sera retourné par le KDS de Limoges et trahira le mouvement de résistance Combat auquel il appartenait avec son père. Il servait d’interprète pendant les interrogatoires, interrogeait les prisonniers et pillait ses victimes.
Pierre Abride, alias Gros Pierre, est originaire de Nexon . Il a écumé et pillé la région pour le compte et avec l’aide de la police allemande. Traquant les stocks de matériel camouflés par la Résistance ou une partie de l’administration française, il se réservait une partie du butin.
La bande de Klein, elle, était liée au proxénétisme limougeaud. Ses membres étaient des serviteurs zélés et grassement rémunérés de la police allemande. Outre les vols et les trafics en tous genres ils n’hésitaient jamais à se joindre aux coups de force de l’occupant et aux opérations contre les juifs ou les résistants. Leurs repaires servaient également de lieux de détention et d’interrogatoire annexes à l’impasse Tivoli.
Un sinistre bilan
Entre novembre 1942 et août 1944, Christian Penot estime que les policiers nazis de Limoges et leurs supplétifs locaux ont effectué au moins 920 arrestations d’ennemis politiques ou raciaux de l’occupant. La quasi-totalité des personnes arrêtées ont subi des violences ou des séances de torture.
Quand elles ne décédaient pas sous les coups ou la torture, la quasi-totalité des victimes passées entre leurs mains étaient ensuite dirigées vers Romainville avec le statut d’otages, vers des prisons parisiennes ou vers le camp de Compiègne d’où elles étaient déportées vers les camps allemands.
Selon Christian Penot, entre 1940 et 1945, 4 368 personnes auraient été déportées après avoir été arrêtées en Creuse, Corrèze, Haute-Vienne, Dordogne ou Indre.
A la Libération, la Cour de justice des FFI de Limoges a prononcé soixante-quinze condamnations à mort suivies d'éxécution. Dix-neuf visaient des individus considérés comme « agents de la Gestapo ».
Il faudra attendre un procès à Bordeaux en juin 1952 pour qu’August Meiër, le Kommandeur du KSD de Limoges, soit condamné à 20 ans de travaux forcés … et libéré quatre ans plus tard, en 1956, pour raisons de santé.
En 1947, le juge du tribunal militaire de Bordeaux rendra une ordonnance de non-lieu concernant 67 membres de ce service au motif « qu’il semble s’agir d’opérations exécutées sans ordre par des individus qui ont pris seuls l’initiative à l’insu des chefs ou des autres membres du KDS de Limoges ».
Conférence :
Dimanche 18 septembre à 15h00, salle Simone Veil, Musée de la Réisstance de Limoges, 7 rue Neuve-Saint-Etienne à Limoges.
Avec Christian Penot, auteur de "La meute, histoire de la Gestapo à Limoges" (Ed. La Geste) et une projection d'archives filmées de la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine.