"Réunionnais de la Creuse" : une proposition de loi pour demander une réparation financière

Dix ans après la reconnaissance par l'Assemblée nationale de la responsabilité de l'État français dans le déplacement forcé de plus de 2 000 mineurs de La Réunion vers des départements de l'Hexagone, principalement la Creuse, vingt députés viennent de déposer, à l'initiative de leur collègue de La Réunion Karine Lebon, une proposition de loi visant, entre autres, à indemniser financièrement les victimes de cet exil forcé.

C'est peut-être une nouvelle étape dans l'histoire déjà longue du drame des enfants dits "Réunionnais de la Creuse".

Entre 1962 et 1984, sur l'île de la Réunion, 2015 enfants et adolescents ont été enlevés à leur famille par l'administration. Ils ont été envoyés dans des départements ruraux de métropole sans billet de retour, en particulier dans la Creuse.

La responsabilité morale de l'État

En 2014, trente ans après la fin de ces transplantations, la députée de La Réunion Ericka Bareigts a fait adopter par l’Assemblée Nationale une résolution mémorielle affirmant que « l’État avait manqué à sa responsabilité morale » envers les ex-mineurs.

En février 2016, une "commission nationale de recherche et d’information" a été lancée avec pour objectif de produire une étude complète sur ce fait historique.

Dans une lettre adressée, en novembre 2017, à la présidente de la fédération des enfants déracinés des départements et régions d’outre-mer (FED DROM), le président de la République Emmanuel Macron, affirmait que cette politique était une faute ayant aggravé la détresse des enfants qu’elle souhaitait aider.

En 2018, la Commission rend son rapport détaillé et factuel de 700 pages accompagné d'un certain nombre de préconisations.

Depuis, pas grand-chose n'a bougé.

Des mesures d'accompagnement ont été mises en place pour permettre aux ex-pupilles d'accéder à leur dossier et d'entreprendre un voyage à La Réunion pour retrouver leurs familles.

Un dispositif d'aide psychologique a été mis en place pour accueillir et écouter les victimes qui le souhaitaient en Creuse, à La Réunion et en région parisienne.

Un projet de centre mémoriel et universitaire, qui devait s'installer en Creuse, n'arrive toujours pas à sortir des cartons.

Jusqu'ici, pas d'indemnisation financière devant la justice

Mais surtout, depuis des décennies, aucune demande de réparation financière entreprise devant les tribunaux, qu'ils soient judiciaires ou administratifs, n'a jamais abouti. Les recours seront allés d'échec en échec jusqu'à la Cour européenne des Droits de l'Homme.

En reprenant cette volonté de réparation financière des victimes réunionnaises de l'exil forcé, cette fois par la voie politique, la "proposition de loi visant à réparer les préjudices causés par la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale de 1962 à 1984", déposée par la députée réunionnaise Karine Lebon, reprend à son compte une revendication inaboutie de beaucoup de victimes. Elle replace donc l'affaire des "Réunionnais de la Creuse" dans le débat public.

Plusieurs propositions

  • Le premier article propose la création d’une "Commission vérité et réconciliation" de 25 membres nommés par le président de la République.

Elle serait chargée de contrôler l’action du Gouvernement et des collectivités territoriales concernant la bonne réalisation des recommandations du rapport de la Commission Nationale de Recherche et d’Information qui avait rendu son rapport en 2018.

Elle servirait également d’interface de discussion entre les individus, les associations, les collectivités et l’État pour mettre en place une politique de réconciliation, une forme de justice transactionnelle, en partant de l'exemple de ce qui s'est fait au Canada avec les enfants indiens natifs des communautés autochtones.

  •  L'article 2 fixe une date de commémoration nationale en hommage aux « Enfants dits de la Creuse » et à tous les enfants ayant relevé de l’Aide sociale à l’enfance et ayant été victimes d’un mauvais traitement. Elle serait fixée au 20 novembre, date de la journée internationale des droits de l'enfant.

  • L’article 3 prévoit la création, en Creuse, d'une "Maison de l’accueil et de l’immigration" qui serait financée par l’État, en lien avec les 82 départements ayant accueilli des « Réunionnais de la Creuse », ainsi que par le conseil départemental et le conseil régional de La Réunion.

Elle serait chargée d'accompagner tous les Ultramarins, et toutes les personnes d’origine étrangère, pour faciliter leur formation, leur accès à l’emploi et aux minima sociaux et favoriser leur insertion.

En lien avec le conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine et les lycées creusois, il devrait aussi coordonner la mise en place de programmes de recherche en histoire et en sciences humaines sur les thèmes de l’immigration.

  • Enfin, l’article 4, le plus novateur, prévoit la création d'une "allocation spécifique" pour "réparer" les préjudices causés aux mineurs de La Réunion transplantés en France hexagonale.

Pourraient en bénéficier les personnes mineures ayant été transplantées en France hexagonale entre 1962 et 1984 et figurant sur la liste nominative des “Enfants dits de la Creuse” établie par la Commission de Recherche et d’Information déjà citée.

Cette allocation tiendrait compte de la durée du séjour en France hexagonale et son montant couvrirait l’ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour.

Cette prestation serait issue d’un fonds de solidarité alimenté par une taxe sur le tabac et serait gérée par le conseil départemental de La Réunion.

Un parcours d'obstacles législatif

Mais pour l'instant, ce texte n'en est qu'au stade d'une proposition de loi, c’est-à-dire un texte proposé par une parlementaire et non par le gouvernement, qui garde l'essentiel de l'ordre du jour du Parlement et donc des textes qui y sont examinés.

Contactée par téléphone, la députée Karine Lebon à l'initiative de cette démarche nous affirme qu'elle "ne lâchera pas le morceau". Mais elle ne cache pas que le parcours sera semé d'embûches et que le résultat est encore incertain.

Je ne lâcherai pas le morceau !

Karine Lebon, députée de La Réunion

C'est bien sûr l'aspect "indemnisation" de ce projet présenté par son groupe "Gauche Démocratique et Républicaine" qui serait le plus difficile à faire adopter par une majorité de députés, qui plus est dans un contexte de restriction budgétaire.

Mais avant de voter, il faudra aussi réussir à présenter le texte pour qu'il soit examiné. Et ce n'est pas gagné. Deux solutions : soit profiter d'une "journée d'initiative parlementaire" qui permet aux groupes de l'Assemblée de présenter des propositions de loi qui n'ont pas été mises à l'ordre du jour par le gouvernement. Karine Lebon n'y croit pas trop, vu que le texte comprend cinq articles et serait long à examiner.

Deuxième option : convaincre la "Conférence des présidents" des différents groupes de présenter le texte au débat et au vote durant ce que l'on appelle la "semaine parlementaire". Si c'était le cas, cela pourrait amener le texte dans l'hémicycle d'ici au mois de décembre.

Lobbying parlementaire

D'ici là, la députée réunionnaise Karine Lebon ne désespère pas de réunir une majorité "transcourants" autour de son texte.

Quarante ans après la fin de la transplantation forcée des mineurs réunionnais, dix ans après le succès de sa prédécesseure, la députée Ericka Bareights, qui fit reconnaître par les représentants de la Nation, la responsabilité de l'État dans ce drame, un intense et long travail de lobbying parlementaire va donc s'engager. Le résultat ne sera connu que dans les derniers jours de cette année.

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