Enfants de la Creuse : retour sur une page d'histoire douloureuse de La Réunion

Entre 1962 et 1984, sur l'île de La Réunion, plus de deux-mille enfants et adolescents ont été enlevés à leur famille par l'administration pour être envoyés dans des départements ruraux de métropole sans billet de retour. Aujourd'hui, ceux qui ont survécu à ce traumatisme tentent de le surmonter et demandent des comptes à l'État français. Dossier.

Certains réclament une indemnisation. D'autres voudraient une aide pour retrouver leur identité, leurs racines et leurs familles. Mais avant tout, tous souhaitent que leur histoire soit reconnue, écrite et diffusée pour qu'eux-mêmes, leurs enfants et leurs familles puissent, enfin, faire la paix avec leur passé.

LES FAITS

Les faits concernent 2015 mineurs, enfants ou adolescents entre 1962 et 1984.
Certains étaient orphelins, mais beaucoup furent enlevés à l'autorité de leurs parents, toujours dans des familles pauvres de l’ile de la Réunion.
A la demande du BUMIDOM (Bureau pour la Migration dans les Départements d’Outre-Mer), et dans le cadre d'une politique plus large de migration impulsée par l’ancien Premier Ministre et député de l’Île Michel Debré, les fonctionnaires de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) de la Réunion ont progressivement été chargés de repérer les mineurs pris en charge par l'Etat susceptibles d'être envoyés en métropole.
En échange, promesse était souvent faite aux parents de faire suivre des études à leurs enfants et de les faire revenir régulièrement pour les vacances.
Les enfants étaient ensuite dirigés vers des centres d’hébergement temporaire des services sociaux de la Réunion comme l’APEP à Hell-Bourg, avant de prendre l’avion vers la métropole.
En appliquant la doctrine de l'époque, les services sociaux ont systématiquement coupés les mineurs de toute racine familiale et de tout contact avec leurs parents.Certains ont dû changer de nom, d'autres ont cru que leurs parents étaient morts.Quelques-uns n'ont redécouvert et retrouvés leur famille, parents, frères ou sœurs, que des décennies plus tard.

Un voyage sans billet retour

Une fois en métropole, les mineurs réunionnais ont été dispersés dans 83 départements, le plus souvent des départements ruraux en proie au déclin démographique comme la Creuse, qui a accueilli à elle seule 10% des mineurs transplantés.
Dans un premier temps, ils ont été placés dans des foyers de l'Aide Sociale à l'Enfance comme celui de Guéret, puis confiés à des familles d’accueil, souvent dans des fermes.
Certains ont été bien accueillis.
D'autres ont été exploités, maltraités, humiliés, coupés de leur fratrie et ballottés de foyers en familles d'accueil peu scrupuleuses qui ont profité de leur désarroi.
Tous ont été coupés de tout lien avec leurs racines et leur famille restée à la Réunion.
Quelques-uns n’ont pas supporté cet exil et se sont suicidés.
Beaucoup souffrent encore des séquelles psychologiques de cette enfance brisée.

Des faits connus, une histoire ignorée

L'histoire des enfants "Enfants Réunionnais de la Creuse" n'a suscité l'attention et l'émotion du grand public que depuis les années 2000, quand quelques victimes de cet exil forcé ont décidé de raconter leur histoire et de demander des comptes à l'Etat Français.
Pourtant, dès les années 60 et 70, les faits étaient connus, mais dans le contexte de l'époque, ils semblaient ne choquer personne. Connus des autorités bien sûr, mais aussi de la presse locale, comme le prouve un article du quotidien Le Populaire du Centre datant de septembre 1966.

VIDEO : Le Populaire du Centre 30 septembre 1966 :

A l'époque, même les actualités télévisées régionales relataient avec indulgence l'arrivée massive des enfants réunionnais dans un foyer de la préfecture de la Creuse.

VIDEO : le foyer de l'enfance de Guéret en 1969 :

En 1965, le quotidien communiste réunionnais "Témoignages" dénonce pour la première fois la transplantation des mineurs réunionnais dans ses colonnes : "comme au temps de l'esclavage, des enfants créoles sont déportés à 10 000 km de leur pays".

LES TÉMOIGNAGES

Chaque mineur transplanté a sa propre histoire, mais très peu s’en sont sortis véritablement indemnes.

Aucun des 2 015 enfants ou adolescents éloignés de leur île, de leur famille, n’a échappé aux conséquences plus ou moins importantes, plus ou moins graves de cette expérience.
A leur arrivée dans l'Hexagone, si certains ont été bien accueillis, beaucoup n’ont pas été traités comme on doit traiter aujourd'hui un enfant ou un adolescent d’où qu’il vienne.
Tous ont été profondément marqués par cet exil forcé, par cette séparation d’avec leurs proches, par cette absence de racines, par cette négation de leur identité et par cette accumulation de mensonges.

Tous ont fait leur vie comme ils ont pu.

Mais, déni ou tentative inconsciente d'oublier pour se protéger, aujourd'hui, une majorité d'entre eux ne se reconnaît pas en tant qu'"enfant de la Creuse" ou ne se sont pas fait connaître comme tels auprès des associations, des universitaires qui ont enquêté sur cette affaire, ou de l'administration.

Depuis quelques années, après des décennies de silence, seuls quelques-uns d'entre eux commencent à prendre conscience de leur histoire hors du commun. Ils ont décidé de témoigner de leur expérience et de leur traumatisme.
VIDEO : Jean-Charles SERDAGNE, né en 1953 à la Réunion, arrivé en Creuse en 1966 :

VIDEO : Marie-Josée GUINET, née en 1958 à la Réunion, arrivée en Creuse en 1966 :

VIDEO : Jean-Philippe JEAN MARIE, né en 1954 à la Réunion, arrivé en Creuse en 1966 :

VIDEO : Alain NOURRY, né en 1952 à la Réunion, arrivé en Creuse en 1966 :

VIDEO : Marlène MORIN, née à la Réunion, arrivée en Creuse en 1966 :

VIDEO : Valérie ANDANSON, née en 1963 à la Réunion, arrivée en Creuse en 1966 :

Un accueil souvent traumatisant pour les enfants

Les mineurs de la Réunion transplantés dans les zones rurales comme la Creuse et en âge d'être placés en apprentissage ont souvent été exploités. Ils étaient parfois hébergés dans des conditions indécentes et maltraités. Main d'œuvre docile et bon marché, certains racontent avoir été logés dans une étable où ils dormaient et mangeaient avec les animaux après leur journée de travail dans la ferme.

Les contrôles des services de l'Aide Sociale à l'Enfance de la Creuse étaient rares et le plus souvent superficiels.

Quelques enfants ont été bien accueillis par des familles aimantes.

Mais au Foyer de l'Enfance de Guéret, là où la plupart des mineurs en provenance de la Réunion étaient hébergés en attendant de trouver une famille d'accueil dans la Creuse, Alix Hoair, un des directeurs, d'origine réunionnaise, constate très vite que quelque chose ne tourne pas rond.

Il sera licencié pour avoir dénoncé les dysfonctionnements dont les mineurs étaient victimes.

Alix HOAIR, ancien directeur du foyer de l'enfance de Guéret :

Des maltraitances qui commencent avant le départ en métropole

A la Réunion, avant de prendre l'avion pour la métropole, les enfants et les adolescents retirés à leurs parents sont placés pour une période plus ou moins longue dans plusieurs foyers de l'Aide Sociale à l'Enfance ou de congrégations religieuses.
Déjà séparés de leurs parents et de leurs familles, ils y sont observés et "triés" en fonction de leur âge et de leur comportement.
A l'APEP de Hell-Bourg, dans le Cirque de Salazie, certains se souviennent avoir subi des sévices et des maltraitances.

Le témoignage de Michel CALTEAU et de Jean-Philippe JEAN-MARIE :

LE CONTEXTE

Dans les années 60, la Réunion est déjà un département français.

Mais un département où la pauvreté, les problèmes sanitaires et la démographie galopante créent de vives tensions et inquiètent le pouvoir politique.
La Réunion connait alors un taux de natalité qui dépasse les 50%, contre à peine 20% en métropole.
Depuis plusieurs années, pour désamorcer ce que certains appellent "une bombe démographique", les autorités envisagent la mise en place d'une vaste migration organisée vers la métropole.
D'autres tentatives ont déjà été effectuées quelques années plus tôt vers l'ile de Madagascar toute proche.
En 1963, Michel Debré est élu député de la Réunion.
L'ancien Premier Ministre du Général De Gaulle est "parachuté" en mission pour moderniser l'Ile et régler les problèmes sanitaires, économiques et démographiques qui menacent la stabilité politique de la région.

Un contexte géo-politique particulier

Dans un contexte de "guerre froide", avec la présence sur l'île d'un Parti Communiste Réunionnais puissant, le gouvernement craint que son "porte-avion" ancré dans l'océan Indien ne cède aux sirènes de l' autonomie puis de l' indépendance.

En 1967, les moins de 20 ans représentent plus de la moitié de la population.

Beaucoup trop de jeunes, pas assez de travail, des conditions de vie difficiles : toutes les conditions sont réunies pour que la jeunesse réunionnaise se transforme en "graine de révolutionnaires".
A peine arrivé à la Réunion comme député, Michel Debré créé le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer). Cet organisme sera chargé d'organiser une migration de grande ampleur des Réunionnais vers l'Hexagone.

Les documents dont on dispose aujourd'hui montrent que les enfants de familles pauvres réunionnaises transplantés vers les départements ruraux de la métropole comme la Creuse n'ont pas été les cibles prioritaires de cette politique volontariste d'émigration. Mais elles en ont bien été les victimes les plus injustes et les plus douloureuses.
Extrait du film "L'Ile de la Réunion" :

Extrait du film "Face au volcan, face au cyclone" :

LES RESPONSABILITÉS

En créant le BUMIDOM, le député de la Réunion Michel Debré a voulu accélérer le mouvement de migration des Réunionnais vers la Métropole. Il a entraîné et justifié celui des enfants et des adolescents.
Dans un premier temps, dans le contexte et la mentalité de l'époque, on peut imaginer que Michel Debré pensait probablement permettre aux enfants réunionnais de réussir une "autre vie" loin de la misère qui régnait dans l'Ile à cette époque.
Dans les années 60, la doctrine des services sociaux était de séparer les enfants de leurs racines familiales pour leur donner une "seconde chance", que ce soit à la Réunion ou dans n'importe quel département français de Métropole.
Mais en l'occurrence, le choc culturel et géographique que représente une transplantation de la Réunion vers la Métropole est venu s'ajouter au traumatisme de la rupture des liens familiaux, du mensonge et de la solitude de l'exil.

Malgré les alertes, Michel Debré et ses successeurs n'ont pas interrompu le processus

Michel Debré, puis les responsables de l'Aide Sociale à l'Enfance, ont été alertés à plusieurs reprises par d'éminents pédo-psychiatres des "dégâts" (suicides, dépressions, fugues) que sa migration forcée commençait à causer chez beaucoup de jeunes envoyés en Métropole.
Ils n'ont  pas décidé d'arrêter ou d'aménager cette opération.
Dans le sillage de Michel Debré, une cohorte de fonctionnaires ont au minimum obéi aux instructions, et pour certains, cherché à faire du zèle.
L'exemple le plus flagrant est celui de Jean Barthe, l'un des directeurs de l'ASE de la Réunion.
Muté en Creuse en 1966, il fera preuve d'un zèle et d'une efficacité redoutable, activant ses anciens réseaux réunionnais pour faire venir un maximum d'enfants jusqu'en Creuse, afficher de bonnes statistiques et accessoirement, justifier la création d'un poste pour sa compagne de l'époque.
Le témoignage du Père RIVIERE, ancien aumônier des réunionnais en métropole :

Les témoignages de Marc GERARD, ancien président du RPR de la Réunion et de Gabriel GERARD, ancien directeur du BUMIDOM de la Réunion :

Le rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales

En 2002, à la demande du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) rend un rapport intitulé "Rapport sur la situation d'enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970".
Dans un numéro d'équilibrisme, ce rapport conclut par une double négation que"la mission ne peut dresser un bilan négatif de la migration des pupilles réunionnais placés en métropole".

LE DOULOUREUX RETOUR

Au moment de leur exil forcé vers la métropole, les enfants et les adolescents Réunionnais ont volontairement été coupés de tout contact avec leurs parents, leur famille et leurs liens à la Réunion.
Très souvent, leur nom de famille a été changé, l'ASE leur a parfois affirmé que leurs parents étaient décédés ou ne souhaitaient plus les voir.
Les parents restés à la Réunion n'avaient pas plus de nouvelles de leurs enfants transplantés à 10 000 kilomètres de leur île.
Au fil des ans les racines, les contacts, les liens se sont perdus.
Pendant très longtemps, la plupart des jeunes réunionnais transplantés en Creuse ne sont pas revenus à la Réunion.
Mais ceux qui ont voulu, et surtout pu le faire, ont parfois été confrontés à d'amères désillusions.

La grande désillusion

Souvent, la Réunion qu'ils ont découverte après plusieurs décennies d'exil est bien différente de la Réunion qu'ils avaient inventée dans leurs rêves depuis l'enfance.
Ceux qui ont voulu consulter leur dossier administratif se sont souvent heurtés à de grandes difficultés : législation tatillonne, dossiers perdus, les explications sont nombreuses pour empêcher les pupilles d'accéder aux traces de leur histoire tragique et au rôle joué par l'administration dans leur périple.
Dans ces conditions, difficile de retrouver un nom, un proche auprès duquel on peut renouer des liens avec son île natale.
Le témoignage de Jean-Charles SERDAGNE à la recherche de son dossier et de sa famille en 2003 :

Une identité écartelée et des liens difficiles à renouer

Pour les quelques ex-mineurs qui ont réussi à retrouver la trace de leur famille, les choses ne vont pas forcement de soi.
Certains se heurtent au refus pur et simple d'accueillir un membre de la famille oublié, preuve gênante de la mauvaise conscience enfouie ou concurrent potentiel pour un héritage.
Et quand les liens se renouent, malgré toutes les bonnes volontés, les années de séparation et d'ignorance sont toujours difficiles, parfois impossibles à surmonter.
Le témoignage de Michel CALTEAU, exilé en métropole à l'adolescence, et de sa soeur, Liliane RAMIN, retrouvée des années après à la Réunion :

C'est l'une des conséquences les plus tragiques de l'exil forcé des réunionnais : comme tous les exilés du monde, les "Réunionnais de la Creuse" ne se sentent pas d'ici, mais ils ne sont plus de là-bas.
Sans racines et sans repères auxquels se rattacher, difficile de construire sa vie.

Des traumatismes persistants

Pour Marion Feldman, professeure de psycho-pathologie à l’Université de Paris Nanterre et spécialiste des traumatismes infantiles, les ex-mineurs réunionnais transplantés en Métropole peuvent être victimes de séquelles traumatiques et récurrentes .
Après avoir beaucoup travaillé sur les enfants victimes de la Shoah, Marion Feldman estime que les violences subies par les enfants Réunionnais sont à l’origine de multiples troubles qui les ont empêchés de construire sereinement une personnalité d’adulte.
Selon elle, ces troubles persistent et se reproduisent à chacune des étapes importantes de leur vie.
Plus grave encore : ces traumatismes se transmettent maintenant à leurs proches et à leurs propres enfants, tel un poison qui franchit insidieusement les générations.

LES RECOURS JUDICIAIRES

Dans les années 2000, trente-cinq ans après avoir été enlevé à sa mère à la Réunion et envoyé en Creuse, Jean-Jacques Barbey sera le premier des réunionnais exilés à porter plainte contre l'Etat Français.
Il demandait le droit de récupérer son nom de naissance : Jean-Jacques Martial.
Il demandait aussi une indemnisation du préjudice subi. Et pour attirer l'attention des médias il réclamait un milliard d'euros.
Bien sûr, sa requête ne sera pas suivie d'effets. Mais avec cette démarche, Jean-Jacques Barbey va entamer une longue série de recours judiciaires de la part des "Réunionnais de la Creuse".
Dans les années qui suivront, une cascade d'autres procès sera intentée par des ex-mineurs voulant faire reconnaître leur traumatisme et leur droit à être indemnisé d'un tel préjudice.

Des avocats célèbres comme Gilbert Collard ou le Réunionnais Jacques Vergès s'empareront du dossier. En vain.

Qu'elles soient civiles, pénales ou administratives : aucune juridiction ne reconnaîtra la responsabilité de l'Etat Français dans le drame vécu par les Réunionnais. Les vices de forme, la dilution des responsabilités et les prescriptions en tous genres viendront à bout des recours des victimes de la migration forcée.
Après un dernier échec devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, toutes les voies de recours judiciaires seront épuisées.
L'interview de Me Jacques VERGES en 2003 :

L'interview de Me Gilbert COLLARD en 2004 :

D'autres exemples à travers le monde

La douloureuse histoire des "enfants réunionnais de la Creuse" n'est pas un cas unique.

D’autres pays comme l’Angleterre, l'Australie, les États-Unis, la Belgique ou la Suisse ont conduit des expériences similaires. La plupart ont fait des excuses aux ex-mineurs victimes.

En Suisse, un fonds fédéral de 300 millions d’€ a été débloqué pour indemniser des milliers d’enfants enlevés à leurs parents dans des familles pauvres.

LA RÉSOLUTION MÉMORIELLE

Devant l'impasse judiciaire, c'est la voie politique qui va sortir le drame des "Enfants Réunionnais de la Creuse" de l'oubli auquel ils semblaient être condamnés.
En février 2014, la députée socialiste de la Réunion Ericka Bareigts soumet une résolution mémorielle au vote des députés.
Le 18 février, par 125 voix contre 14, le texte reconnaissant la responsabilité de l'Etat Français dans l'exil forcé des Réunionnais est adopté par la Représentation Nationale après 1h30 de débats.

La résolution mémorielle adoptée par l 'Assemblée Nationale :

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Le discours d' Ericka BAREIGTS devant l'Assemblée Nationale :

LA COMMISSION D'INFORMATION ET DE RECHERCHE HISTORIQUE

Deux ans jour pour jour après l'adoption de la résolution mémorielle reconnaissant la responsabilité de l'Etat Français dans le drame des "Réunionnais de la Creuse", le gouvernement a installé une commission nationale d'experts pour l'information et la recherche historique sur cette affaire.

Les membres de la Commission

Présidée par le sociologue Philippe VITALE, cette commission temporaire est composée de cinq personnalités qualifiées : Wilfrid BERTILE : ancien député, géographe, Gilles GAUVIN : historien, Marie-Prosper EVE : historien, Michel VERNEREY : ancien inspecteur général des affaires sociales.
Elle est officiellement chargée d’étudier et de rendre un rapport " sur le déplacement vers la France hexagonale, entre 1963 et 1982, d’enfants réunionnais, afin de les envoyer dans des départements touchés par l'exode rural".

Les objectifs de la Commission

. approfondir la connaissance historique sur les "Enfants de la Creuse" et contribuer à sa diffusion.
. établir un tableau précis des populations concernées et de leur situation démographique aujourd’hui.
. proposer une relation précise des décisions et des actes ayant permis le transfert d'enfants et adolescents réunionnais vers l’hexagone.
. entendre les associations et permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle.
. proposer des actions et mesures permettant de favoriser le travail de mémoire individuel et collectif autour de cette question.

Les auditions de la Commission

En plus de ses travaux de recherche historique et administrative, la Commission d'experts a effectué plusieurs auditions à Paris, à la Réunion et à Guéret.
Elle a reçu et écouté les associations de Réunionnais victimes de l'exil forcé qui le souhaitaient. Elle a aussi auditionné directement de nombreuses victimes ainsi que des membres de leur famille et notamment leurs enfants.
Au fil de leurs auditions, les membres ont pu constater à quel point le traumatisme vécu par les ex-mineurs transplantés se propageait dans les générations suivantes, comme les secrets de famille qui empoisonnent des vies pendant des décennies.
Des années après avoir subi leur sort tragique, la demande d'une aide psychologique est également apparue comme très forte chez de nombreuses victimes qui commencent à peine à oser parler de leur histoire.
Les auditions successives de la Commission ont également mis au jour des divergences entre les différentes associations de victimes.
Certaines comme la FED DROM se félicitent des travaux de la Commission et des premières mesures annoncées.
D'autres regrettent qu'au-delà de l'aide matérielle et psychologique et des travaux de reconnaissance historique et symbolique des faits, aucune réparation financière ne soit envisagée de la part de l'Etat.

Les premières mesures du gouvernement

En février 2017, devenue Ministre des Outre-Mer, Ericka Bareigts fait un premier rapport d'étape des travaux de la Commission et annonce les premières mesures en faveur des réunionnais victimes de l'exil forcé :
. Le financement d'un billet d'avion pour retourner à la Réunion et retrouver sa famille.
. Le financement des frais d'hébergement sur place pendant les 3 premiers jours.
. Une aide psychologique que ce soit en métropole ou à La Réunion.

Devenue ministre des Outre-Mers, Ericka BAREIGTS dresse un premier bilan d'étape des travaux de la Commission et détaille les propositions du gouvernement :

Le rapport de la Commission

Après deux ans de travail les cinq experts chargés de faire la lumière sur l'affaire des "enfants Réunionnais de la Creuse" rendent leur rapport au gouvernement le 10 avril 2018 au ministère des Outre-Mers à Paris.

L'intégralité du rapport :

Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale (1962 - 1984)

Une somme de 700 pages et beaucoup de chiffres, de noms, de faits qui racontent des parcours de vie, des histoires individuelles et au final l’Histoire avec un grand H.

En plus des témoignages, le rapport tente de faire parler les faits, les archives et les documents.

Un ouvrage quasi-exhaustif qui retrace les origines de cette affaire, son déroulement, les responsabilités en cause et les conséquences pour les victimes.

Evoquant la "chaotique mise en œuvre d'une utopie dangereuse", il dénonce "une affaire d'Etat".

Principale responsable aux yeux des auteurs du rapport : l'administration de l'Aide Sociale à l'Enfance. La brutalité de son fonctionnement, les carences et les manquements de ses services sont confirmés et dénoncés dans le rapport.

Avec une précision cependant : les méthodes en cause, qui peuvent aujourd’hui sembler barbares, suivaient un protocole en vigueur partout en France à l’époque, à la Réunion comme en Métropole. Durant les « trente glorieuses », les enfants n’étaient pas considérés comme des « sujets de droits ».

Pour le sociologue Philippe Vitale, le président de la Commission,"expliquer, remettre dans le contexte, ça n’est pas excuser". Cela doit permettre, au contraire, de tirer les leçons pour l’avenir, et pour le présent, pour éviter qu’une froide machine administrative ne broie à nouveau des enfants comme elle l’a fait en métropole et à la Réunion pendant plusieurs décennies.

Le président de la Commission, le sociologue Philippe Vitale, revient en détail sur le contenu du rapport

Des mesures pour accompagner les ex-mineurs et faire reconnaître leur histoire

Les auteurs du rapport estiment que les ex-mineurs réunionnais doivent désormais être aidés et accompagnés par l’Etat qui les a blessés. Ils suggèrent une série de mesures concrètes allant dans ce sens.

En plus des mesures déjà actées comme le paiement d'un voyage dans de bonnes conditions d' accueil à la Réunion, l'accès facilité aux dossiers individuels ou une aide psychologique, le rapport suggère aussi un accompagnement social pour les ex-mineurs en voie d'exclusion et le rapatriement des corps après le décès.

PHOTO REMISE RAPPORT

Enfin, le rapport préconise la diffusion la plus large possible, la vulgarisation et l'enseignement de l'histoire des ex-mineurs, dans le grand public et dans les programmes d'enseignement et de recherche universitaire. Il suggère la création d' "espaces mémoriels" et l'instauration d'une journée commémorative.

Un "centre de ressources et de mémoire" sur l'histoire des "enfants réunionnais de la Creuse" sera bientôt construit à Guéret, en Creuse, pour accueillir les ex-mineurs mais aussi les scolaires et les chercheurs qui s'intéressent à cette histoire.

POUR ALLER PLUS LOIN

Sur internet :

. les articles sur le site internet de France 3 Nouvelle-Aquitaine

. les articles sur le site internet d' Outre-Mer la 1ère

. FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des Drom)

Télévision :
. "Racines en l'Air" : documentaire de Pascal Coussy et Philippe Dupont diffusé sur France 3 Limousin en 2003.

. "Loin, si loin" : émission diffusée sur France 3 Limousin, enregistrée à Guéret le 21-06-2017 :

. "Une enfance en exil: Justice pour les 1615" : documentaire de William Cally, diffusé sur France 3 et Réunion 1ère.
. "Les Enfants de la Réunion : un scandale d’État oublié" : documentaire de Clémence de la Robertie, réalisé par Guénola Gazeau et Pierre Lascar. Diffusé le 19-02-2017 sur France Ô, dans le magazine "Histoire d’outre-mer", présenté par Fabrice d'Almeida.
. "Arrachée à son île" : documentaire de Patrice du Tertre, diffusé en 2002 sur France 5.
. "Ile de la Réunion : les enfants volés de la Creuse en quête de leurs parents" : reportage dans le magazine "Sept à Huit" sur LCI.
. "A court d’enfants" : fiction de Marie-Hélène Roux, écrit et réalisé par Marie-Hélène Roux. Diffusée ne juin 2017 sur France 3.
. "Le Pays des enfants perdus" : fiction réalisée par Francis Girod, 2004
. "Mille et une vies" : émision avec Valérie Andanson diffusée le 28 novembre 2016 sur France 2.

Radio :
. "Saint-Denis de la Réunion - Guéret : le voyage sans retour des orphelins malgré eux" : documentaire radiophonique d'Isabelle Bissey, diffusé le 16 février 2014 dans l'émission Interception sur France Inter.
. « Les pupilles réunionnais, un aller sans retour pour la métropole » : documentaire radiophonique de Jean-Louis Rioual, réalisation Renaud Dalmar diffusé le 30 mars 2010 dans l'émission "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture.

Bibliographie :
. "Les enfants de la Creuse, idées reçues sur la transplantation de mineurs de la Réunion en France" : de Wilfrid Bertille, Prosper Eve, Gilles Gauvin, Philippe Vitale, éd. Le Cavalier Bleu

. "Piments zoizos, les enfants oubliés de la Réunion" (BD) : de Tehem, éd. Steinkis.

. "La Bête que j’ai été" : de Jean-Pierre Gosse, 2005, éd. Alter Ego.
. "Une enfance volée" : de Jean-Jacques Martial, 2003, éd. Les Quatre Chemins.
. "Tristes tropiques de la Creuse" : de Gilles Ascaride, Corine Spagnoli, Philippe Vitale, 2004, Éditions K'A
. "Les Réunionnais de la Creuse : une affaire d'Etat" : de Gilles Ascaride, Corine Spagnoli, Philippe Vitale, 2006, éd. Annuaires des Pays de l’Océan Indien.
. "La déportation des Réunionnais de la Creuse" : témoignages recueillis par Elise Lemai, 2004, éd. de L'Harmattan.
. "Michel Debré et La Réunion : la force des convictions jacobines" : de Gilles Gauvin, Revue française d'histoire d'outremer, tome 86, no 324-325, 2e semestre 1999.
. "Enfants en exil, transfert de pupilles réunionnais en métropole (1963-1982)" : de Ivan Jablonka, 2007, éd. du Seuil, Paris.

. "Rasinn Anlèr, des enfants réunionnais déracinés" : de Jean-Philippe Jean-Marie et Philippe Bessière, éd. Nouvelle imprimerie Dyonisienne, Rasine Kaf, 2016

. "Mobilités ultramarines" : de Philippe Vitale, éd. des archives contemporaines, 2015

. "Le ventre des femmes, capitalisme, racialisation, féminisme" : de Françoise Vergès, Ed. Albin Michel, 2017.

. "Allons enfants" (BD) : de Margot Hemmerich et Clémentine Métenier, dans "La revue dessinée" n° 29, septembre 2020.

. "Histoire de la Réunion" : de Gilles Gauvin, éd. du Signe, 2020.

. "Retrouver ses origines, l'accès au dossier des enfants abandonnés" : de Pierre Verdier et Martine Duboc, éd. Dunod, 2002.

. L'enfant en miettes" : de Pierre Verdier, éd. Dunod, 2013.

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