Si les attaques de loups contre les troupeaux ovins défrayent la chronique, ces prédations sont parfois (souvent ?) l’œuvre de chiens. Et elles laissent les éleveurs plus désemparés encore, comme Marie-Ange Guitard, de Saint-Jean-Ligoure en Haute-Vienne, victime de deux attaques en un an à peine.
Une vingtaine de brebis perdues en un an, lors de deux attaques. Pour Marie-Ange Guitard installée sur les terres familiales, à Saint-Jean-Ligoure en Haute-Vienne, pas question de crier au loup : ce sont, les deux fois, des chiens qui étaient les responsables. Une situation difficile pour elle, car contrairement aux prédations avérées de loup, il est extrêmement difficile, dans ce cas, d’être indemnisé.
Deux attaques en un an
"C’était début novembre dernier. J’étais aux abords d’une de mes parcelles, lorsque j’ai vu le troupeau rassemblé. J’ai tout de suite compris, parce que c’est extrêmement inhabituel, sauf quand on le nourrit, et cela avait été la même chose un an avant."
Ce que comprend alors Marie-Ange Guitard, c’est que ses brebis sont victimes d’une attaque de chien. Et effectivement, elle aperçoit dans la foulée ce qui ressemble à un croisement de husky, qu’elle parvient à photographier, mais pas à attraper.
Pourquoi a-t-elle pensé à un chien et pas à un loup ? Parce qu’un an auparavant, en novembre 2023, elle avait vécu pareille mésaventure, victimes de deux chiens cette fois-là. "Tout de suite, c’est vrai qu’on pense au loup, parce qu’il a été réintroduit, donc on a surtout peur du loup. Et ça arrive que ce soit le loup. Mais bien souvent, ce sont des chiens. Qui ont des propriétaires. Qui s’échappent de chez eux. Qui viennent dans les troupeaux. Et comme ils conservent un certain instinct, du coup, ils prédatent les brebis."
Un cas absolument pas isolé, mais difficile à cerner
Stéphanie Frugier, directrice de la SPA de la Haute-Vienne le confirme. "Effectivement, les attaques sur les troupeaux d’ovins, voire de bovins, mais c’est plus rare, arrivent souvent à cause de chiens divagants."
Pour elle, deux types de chiens peuvent être concernés. "Ce sont souvent des chiens de races nordiques, ou ceux de races dites primitives, comme les chiens-loups Tchèques ou de Saarloos, des Huskys, des Akita Inu. Mais attention, ce ne sont pas systématiquement ces chiens-là qui peuvent faire de la prédation en attaquant les troupeaux, d’autres races peuvent être amenées à avoir de tels agissements."
Quand le loup a totalement disparu en France, entre les XIX et XX siècles, les attaques de troupeaux n’ont pas cessé. Soit de la part de prédateurs sauvages, soit de la part de chiens. Mais depuis que Canis Lupus a fait sa réapparition (on l’oublie souvent, mais le loup n’a pas été réimplanté en France, il est revenu naturellement par l’Italie), il a, si l’on peut dire, tout emporté sur son passage. Et il est aujourd’hui très difficile de trouver des études, même des chiffres, de prédation de troupeaux, hors celles des loups. En Haute-Vienne, la préfecture reconnaît le phénomène, et assure qu’il faudrait, en parallèle avec le loup, se pencher sur le problème.
"Cela arrive, de là à dire que c’est fréquent, non. Nous, on va dire que l’on reçoit en fourrière quelques sujets par an", explique Stéphanie Frugier, avant de concéder que "ces chiens sont souvent très difficiles à attraper, donc ce n’est pas représentatif. Mais encore faut-il prouver que ce sont bien eux les responsables de la prédation."
L’indemnisation des éleveurs
Pour l’attaque de 2024, Marie-Ange Guitard a pris des photos, quand selon Stéphanie Frugier, pour servir de preuve, Il vaut mieux un film.
Pour celle de 2023, lorsqu’elle a contacté la gendarmerie pour porter plainte, les forces de l’ordre lui ont fait part d’une déclaration de perte de deux chiens dans le même secteur, ce qui a permis d’établir le rapprochement, avant que les deux animaux ne soient finalement retrouvés le lendemain, sur sa parcelle.
Preuve et identification qui s’avèrent, au final, extrêmement importantes, car elles permettent d'envisager l'indemnisation de l’éleveur. "C’est l’assurance du propriétaire, normalement sa responsabilité civile, qui fait le tout", nous apprend Marie-Ange Guitard. "Mais quand on ne retrouve pas le propriétaire, on n’est pas indemnisé."
Il y a bien une assurance "morsures de chien", mais avec une franchise élevée.
"Il y a un an, le propriétaire avait été retrouvé, mais malheureusement, il n’était pas solvable. Donc sur les 3 700€ de dommages, mon assurance m’a reversé 3 000€, mais j’ai eu 700€ de franchise non remboursée. Et quand c’est pour peu d’animaux, comme cette année, ça ne vaut pas le coup de déclencher l’assurance avec cette franchise. Mais, c’est pour notre pomme !"
Responsabilité, le maître mot
Quinze brebis tuées en 2023, trois cette année, à chaque fois en période de lutte, c’est-à-dire d’accouplement, même sur un cheptel de cinq cents têtes, c’est trop pour Marie-Ange Guitard.
"Ce n’est pas normal. Disons qu’on accepte la perte, parce que c’est très difficile de retrouver les propriétaires, et qu’on ne peut rien faire de plus, si ce n’est de prévenir les gendarmes, et de porter plainte, en sachant que l’on ne sera pas indemnisé. Mais, ajoute-t-elle, on aimerait que les propriétaires se responsabilisent davantage, et qu’ils assument les actes de leurs animaux de compagnie."
Même son de cloche à la SPA, pour Stéphanie Frugier. "Il faut être extrêmement responsable. Avant d’acquérir ou d’acheter un chien, on se renseigne bien sur sa race, sur les spécificités liées à la race, et on se pose la question : est-ce que je suis capable de gérer ce genre de chien ou pas ? C’est une énorme responsabilité de prendre certaines races de chiens." Et pour elle, cela ne suffit pas. Il n’y a pas que l’avant, il y a aussi l’après." A minima, on investit dans une clôture extrêmement sécurisée. Et, impérativement, lorsque l’on promène son chien, on le tient en laisse. On ne le laisse pas en aucun cas en liberté dans un bois, dans un champ. On le garde en laisse. Après tout, c’est la loi !"
Reste le problème des chiens récidivistes, car "si l’animal qui a attaqué a tué, oui, honnêtement, il est plus enclin à recommencer", reconnaît Stéphanie Frugier.
Si Marie-Ange Guitard se veut mesurée, elle concède une limite. "On ne demande pas que les chiens mordeurs soient euthanasiés, ça peut arriver un accident. Juste une indemnisation pour compenser la perte. Mais si un même chien s’attaque à un troupeau tous les quatre matins ? Là, il faut trouver une solution un peu plus drastique."
Des cas où la SP peut intervenir. "On peut être amené, à la SPA, à récupérer ce genre de chiens, par voie de fourrière, quand le chien a été attrapé. Charge à nous ensuite d’identifier son propriétaire pour qu’il vienne récupérer l’animal et dédommager les victimes. Mais s’il ne se manifeste pas, au bout de huit jours ouvrés de fourrière, le chien devient propriété de la SPA. Charge cette fois de le faire adopter. Mais dans ce cas, en prenant des mesures très strictes de placement. En faisant des pré-visites pour bien vérifier les clôtures du futur propriétaire. En lui mentionnant bien le problème. Donc à nous de choisir des propriétaires très responsables, et c’est très contraignant."