La finale du concours d'éloquence "Eloquentia Limoges" a offert de beaux moments de discours sur la scène de l'Opéra-théâtre de Limoges mardi 27 mars 2018. C'est Théotime d'Ornano qui a remporté la finale. L'auteur de ces lignes était membre du jury. Expérience....
Je ne vous surprendrai sans doute pas en vous disant que les sollicitations sont fréquentes lorsqu'on a la chance d'être journaliste et de travailler pour France 3 dans une région dont les habitants apprécient cette chaîne de proximité, ce qui est le cas en Limousin. Ce jour-là au bout du fil, on ne me propose pas d'opérations portes ouvertes, de fête de la châtaigne ou de conférence de presse mais une participation en tant que jurée à la finale du concours Eloquentia de Limoges.
C'est l'affable et très organisé président de l'association Eloquentia Limoges Charles Tekadiomona qui me fait cette proposition, que j'accepte avec plaisir. Les consignes sont simples : une fois les finalistes entendus, nos observations sur le fond et la forme pourront "adopter un esprit taquin, humoristique qui épouse l'esprit dynamique et festif de l'événement. La critique devra rester bienveillante et se terminer sur une note positive."
LE JURY ENTRE EN SCENE
A mon arrivée à l'Opéra-théâtre, tous les autres membres du jury sont là. Du côté des habitués, dont certains ont déjà oeuvré pour les demi-finales : les avocats Marie-Laure Sénamaud, Marion Rossin-Boisseau et Guillaume Laverdure, mais aussi Martial Jardel, interne en médecine et brillant vainqueur de la finale limougeaude en 2017 et de la finale nationale, s'il vous plaît !
Du côté des novices : l'ancien champion de basket désormais opticien, Yann Bonato, la comédienne Léa Miguel que vous pouvez entendre sur France 3 Nouvelle-Aquitaine et moi-même.
PLACE AUX CANDIDATS
Les joutes oratoires peuvent commencer par la "petite finale" qui voit s'affronter les deux perdants des demi-finales autour de la question : "la gloire attend-elle le nombre des années ?".C'est d'abord Emeric Rynois qui défend la thèse du oui et Randa Mifdal celle du non. Ils n'ont eu que quelques jours pour travailler leur texte. Difficile ici de retranscrire à l'écrit leur style oratoire mais ils ont chacun développé leurs arguments de façon convaincante sur environ 10 minutes : Emeric Rynois utilise par exemple des références à la musique pop et aux tubes d'un jour, alors que Randa Mifdal, plus réservée mais sûre de son propos, nous apprend des tas de choses sur les débuts de l'aviation, entre autres ou la signification de son prénom ("laurier"), prédestiné pour parler de gloire. C'est elle qui remportera la 3ème place.
Le thème de la grande finale est tout aussi intéressant : "Le mensonge est-il le fils caché de l’amour ?".
Le premier à entrer en scène est Théotime d’Ornano. Dans un propos en 4 actes, il livre une vision cynique de l'amour et ses mensonges, à la fois drôle et mordante. Une prestation efficace qui lui vaudra la victoire.
Le finaliste perdant n'aura pourtant pas démérité : Pierre-Philippe Lamargot plus connu sous le pseudo de MC PEF a livré une prestation pleine de poésie, voix grave et présence tranquille. Son sens du rythme et de la formule ont été salués par le jury, on les retrouve d'ailleurs dans les morceaux de rap qu'il poste sur youtube.
Avant les résultats, c'est le spécialiste de l'art oratoire Guillaume Prigent ("je suis venu spécialement de Paris, mesdames et messieurs") qui conclut la soirée par une traditionnelle "contre-critique" dans laquelle il défend les candidats et brocarde les membres du jury avec humour et brio.
@g_prigent contre-critique merveilleusement drôle et acide à la grande finale @EloquentiaLG ! pic.twitter.com/BsQHBrDNSh
— Martial Jardel (@martialjardel) 27 mars 2018
Conclusion : un beau moment qui bat en brèche nombre de clichés sur les jeunes. De tous profils et de toutes origines, ils se sont ce soir-là emparés de la parole pour en faire de merveilleux outils de persuasion devant un public conquis (près de 500 personnes). Plaidoirie, poésie, rap ou encore slam, ce concours fut la preuve que prendre la parole en public est une forme d'émancipation et de liberté.
LE PHENOMENE ELOQUENTIA
Phénomène en pleine expansion, les éditions d'Eloquentia se déclinent aujourd'hui dans plusieurs villes, dont Limoges. Ce concours connaît un tel succès, que le documentaire "A voix haute", diffusé sur France 2 est même sorti au cinéma le 12 avril 2017. Comme l'explique Maître Bertrand Périer, qui forme les jeunes aux méthodes du discours classique : "Les aider à prendre la parole, à maîtriser les codes de la prise de parole, c’est les aider à briser les plafonds de verre." Le langage est un marqueur social, certes, mais il est aussi et surtout un moyen de reprendre une place dans l’espace public, comme le montre ce document éloquent et épatant.Les vertus de l'éloquence ont également été traitées par le réalisateur Yvan Attal dans son film "Le Brio" : sorti en novembre 2017, il raconte le choc des cultures entre une banlieusarde issue de l'immigration (Camélia Jordana) qui rêve de devenir avocate, et son mentor, un professeur de droit réactionnaire (Daniel Auteuil).