À la fin des années 70, des milliers de Vietnamiens, de Cambodgiens et de Laotiens sont arrivés en France. Ils fuyaient leur pays, les persécutions et la misère au péril de leur vie. On les a appelés les Boat People. Leur détresse en mer et dans les camps de réfugiés a créé un élan de solidarité sans précédent en France, à l’initiative des deux grandes figures intellectuelles de l’époque : Jean-Paul Sartre et Raymond Aron.
Limoges fut l’une des villes françaises à accueillir un très grand nombre de Boat People.
Malgré le choc et la douleur de l’exil, ils y ont reconstruit leur vie, élevé leurs enfants et se sont intégrés dans leur nouveau pays.
40 ans plus tard, Aline, Alice, Sokhoeurn, Kea et Minh reviennent sur cet épisode qui est d’abord pour eux une histoire intime et familiale.
Aline et Alice sont arrivées enfants avec leur mère après avoir vécu le cauchemar d’une traversée en mer de Chine.
Après avoir transité par des camps en Thaïlande, elles sont arrivées à Roissy par un froid matin d’hiver. Elles parlent aujourd’hui de la France comme d’« une mère nourricière qui (leur) a accordé une deuxième chance ».
Sokhoeurn et sa femme Kea ont fui le Cambodge et l’enfer des Khmers rouges. Après un centre de transit de Créteil, direction Limoges. Les premières années seront difficiles, mais à force de ténacité et de résilience.
Nous avons compris que le chemin de l’avenir était ici.
Sokhoeum
Minh est né à Limoges en 1987. Ses parents vietnamiens se sont installés dans le quartier périphérique de Beaubreuil où vivent de nombreuses familles originaires du sud-est asiatique. Minh est très attaché à ses racines vietnamiennes et aimerait un jour connaître le pays de ses parents, le Vietnam, pour retourner sur les traces de son père aujourd’hui disparu.
Ce documentaire raconte un épisode oublié qui croise histoire contemporaine et récits intimes. À l’heure de nouvelles migrations décrites désormais exclusivement sous le vocable de « crises », retour sur ce moment unique quand les Français ont su accueillir des hommes, des femmes et leurs enfants venus de l’autre bout du monde, dans un élan de solidarité et d’humanisme qu’ils n’ont jamais eu à regretter.
3 questions à Stéphane Bihan, réalisateur de BOAT PEOPLE. France, terre d'accueil.
Comment est née l’idée / l’envie de consacrer un film aux Boat People ?
Les images du départ précipité américain de Kaboul à l’été 2021, avec ces Afghans s’accrochant désespérément aux avions militaires, m’ont renvoyé à de lointains souvenirs télévisuels.
Enfant, j’avais vu ces images de Vietnamiens fuyant Saïgon puis dérivant en mer de Chine et cela m’avait durablement marqué.
L’histoire malheureusement ne cesse de se répéter, comme je le constate également en Méditerranée avec ces terribles traversées en mer de migrants. À partir de ce moment-là, j’ai eu envie de retrouver les familles de Boat People que la France avait accueillies dans les années 80, pour savoir ce qu’elles étaient devenues et quels récits elles faisaient aujourd’hui de cette histoire. Le désir également de raconter une période où la France et les Français avaient su se montrer généreux, à rebours de la frilosité ambiante.
À Limoges, des familles ont été accueillies dans les années 80, comment ont-elles réagi à votre initiative ?
Limoges a en effet été l’une des villes françaises à recevoir le plus grand nombre de réfugiés du sud-est asiatique, que l’on a appelé à l’époque indistinctement les Boat People, même si les Cambodgiens et les Laotiens ne prenaient pas la mer, mais fuyaient à pied. Il y a toujours une importante communauté du sud-est asiatique à Limoges. Je dois dire que les gens m’ont ouvert leur porte facilement. Ils étaient positifs envers mon projet de film, même si le plus dur restait à faire : me raconter leur histoire personnelle, revenir sur un passé douloureux fait de guerre, de misère et d’exil.
J’ai également souhaité aborder l’autre versant de cette histoire : l’accueil, du point de vue des accueillants.
Ci-dessous, un extrait du documentaire avec la participation de Jean-Luc Fouquet, ancien travailleur social au centre d'hébergement provisoire de Limoges.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant le tournage ?
Comme toujours avec le documentaire, l’envie de faire un film se nourrit des belles rencontres que l’on fait. Et je ne compte plus les belles rencontres pendant ce tournage ! Avec le chef opérateur Michaël Houdoux, nous avons été accueillis de façon très généreuse, au sein des familles ou des communautés.
La problématique de l’exil est différente d’une génération à l’autre, c’est ce que j’ai découvert pendant le tournage en filmant trois générations : ceux qui ont quitté leur pays natal adultes ont dû se battre pour trouver leur place en France, tout en restant habités par les fantômes du passé.
La plupart d’entre eux ont réussi cette chose remarquable de devenir français, d’être très attachés à leur nouveau pays tout en conservant leur identité vietnamienne ou cambodgienne. L'exil est une terrible amputation de l’être. Je pense que l’on ne fait jamais vraiment le deuil de sa terre natale, mais certaines personnes m’ont semblé trouver une forme d’équilibre, d’apaisement peut-être. Le personnage de Sokhoeurn dans le film, par exemple, cultive tous les matins un potager à quelques kilomètres de Limoges. L'endroit est superbe, en pleine nature. On se sent ailleurs, au Cambodge d’avant les khmers rouges peut-être. Pour Aline et Alice, qui sont arrivées enfants à Roissy et sont passées par l’école française, les choses ont été plus faciles, même si rien n’est véritablement facile lorsque l’on doit s’intégrer dans un nouveau pays. our les petits-enfants, qui sont nés en France, l’exil paradoxalement peut revenir les hanter, si les récits familiaux notamment restent incomplets. Ils font en tout cas de leur double culture une richesse.
La participation de Raphaël Glucksmann
Raphaël Glucksmann, député européen, revient pour la première fois dans un documentaire, sur le rôle essentiel joué par son père, le philosophe André Glucksmann, dans l’accueil des boat people en France.
André Glucksmann avait compris que l’opinion française était choquée par les tragédies en mer de Chine et dans les camps de Thaïlande. Restait à convaincre les autorités françaises, notamment Valéry Giscard d’Estaing, peu enclin à délivrer des visas.
Le philosophe a donc eu l’idée de réunir les deux grands intellectuels de l’époque, Jean-Paul Sartre et Raymond Aron, brouillés depuis 30 ans, pour lancer un appel à la solidarité et rencontrer le président français.
« Des hommes vont mourir et il s'agit de les sauver… Une exigence de pure morale… Il faut sauver les corps » dira Sartre.
130 000 réfugiés du Sud-Est asiatique trouveront refuge en France au cours des années 80.
La projection en avant-première
Mardi 13 avril, le film documentaire de Stéphane Bihan était projeté pour la première fois devant un public. C'est l'espace Simone Veil qui a servi d'écran au documentaire devant les protagonistes du film, leurs familles et amis, des historiens, des élus, des responsables d'associations.
- Le Populaire du Centre s'est intéressé au film, à lire ici
- 7 à Limoges a réalisé un entretien de Stéphane Bihan à retrouver ici
140 personnes ont pu découvrir le documentaire en avant-première à l'espace Simone Veil à Limoges.
Merci, c'était une très belle soirée qui me parait importante en termes de valorisation de ces parcours tragiques, devenus des belles existences accomplies ici. L'ouverture du documentaire est formidable... Le film est très réussi et a rencontré un vrai succès hier soir. Ces parcours migratoires qui définissent aussi Limoges et le Limousin, sont trop peu mis en avant ou pris comme exemples d'intégration républicaine réussie. C'est ici le cas. Avec la très belle séquence de la petite fille "eurasienne" qui sait se définir ainsi et pourquoi.
Vincent Brousse, adjoint au maire de la ville de Limoges
Merci à tous pour la réalisation et la projection de ce très beau documentaire, pour ces témoignages autour de l'exil, de l'accueil et de l'intégration. Merci également pour les belles rencontres après la projection. Ce fut vraiment un plaisir d'accueillir France 3 Nouvelle Aquitaine à cette occasion.
Muriel Laskar, conseillère municipale déléguée de la ville de Limoges
BOAT PEOPLE. France, terre d'accueil réalisé par Stéphane Bihan.
Une coproduction Mara Films et France 3 Nouvelle-Aquitaine.
Diffusion jeudi 27 avril à 23.15 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine
En preview et en replay sur france.tv