Le cas de l’étudiant en médecine de Limoges, condamné pour des agressions sexuelles commises à Tours entre 2017 et 2020, a été abordé lors d’une réunion au ministère de la santé ce 28 mai. Le collectif d’étudiants limougeauds, qui réclame l'exclusion du futur médecin, a obtenu des engagements, mais reste vigilant sur leur application. Et ne se satisfait pas du plan d'action contre les violences sexistes et sexuelles annoncé le lendemain par le ministère.
Depuis plusieurs mois, elles s'insurgent contre le cas d'un étudiant en sixième année de médecine, condamné en première instance pour agressions sexuelles à Tours mais réintégré à l'université de Limoges.
Ce mercredi 28 mai, Pauline et Emma faisaient partie de la délégation reçue après une manifestation devant le ministère de la santé à Paris. "Le ministère nous a assuré qu'il voulait agir, qu'une enquête administrative pourrait être ouverte et que les procédures disciplinaires seraient menées à leur terme. Ils se sont vraiment engagés à agir sur ce cas et à ne pas le laisser passer. Nous, on va continuer à mettre la pression tant que ces engagements ne sont pas suivis d'effets." raconte Pauline Lebaron, militante du collectif Emma-Auclert.
Au-delà du cas particulier de cet étudiant, Pauline regrette que les outils de veille, destinés à prévenir et alerter des violences et sexistes et sexuelles à l'université, ne fonctionnent pas comme ils le devraient : "Il y a des cellules de veille et d'accompagnement qui ont été mises en place, sauf qu'elles sont dotées de très peu de moyens, sans personnel dédié. Donc souvent, c'est une adresse mail, et derrière, les personnes qui y répondent n'ont pas forcément reçu de formation pour traiter les cas."
Des mesures gouvernementales insuffisantes
Ce jeudi 30 mai, le ministre de la santé Frédéric Valtou a dévoilé un plan pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes dans le secteur de la santé. Un plan qui prévoit essentiellement de renforcer l'efficacité des enquêtes, et la formation pour prévenir ces violences sexistes et sexuelles.
Une réponse partielle aux inquiétudes du collectif d'étudiants limougeauds, qui regrette qu'aujourd'hui, les procédures disciplinaires en cas de faits avérés n'existent pas ou n'aboutissent pas : "C'est le cas pour Nicolas W. À Tours, où il étudiait, une procédure disciplinaire aurait dû être lancée. C'est complètement aberrant qu'il n'y en ait eu aucune" déplore Pauline.
Emma reste toutefois sceptique quant à ces annonces : "On aimerait avoir plus de détails sur le contenu des formations qui vont être délivrées, par qui elles vont l'être, comment les magistrats et les professionnels vont être sensibilisés. Pour l'instant, c'est flou et ça a l'air vide."
Pour un principe de précaution
Pour les deux étudiantes, ce qui manque surtout dans le panel de mesures annoncées, ce sont des mesures efficaces de protection des victimes.
On ne peut pas attendre l'accumulation de victimes, et l'accumulation de souffrances pour agir
Paulineétudiante à Limoges
"Il y a un gros problème d'absence de sanctions, et de mesures de protection des victimes, alors que c'est crucial parce qu'on a des médecins qui continuent d'exercer alors qu'ils font l'objet de multiples plaintes pour viol comme c'est le cas d'un gynécologue à Paris. On aurait voulu avoir des mesures de protection, par exemple une mise à l'écart des personnes visées par des signalements ou plaintes ou mises en examen. À l’inverse, le ministre a même dit qu'il était plutôt défavorable à cette mise à l'écart systématique en se référant à la présomption d'innocence. Mais nous, ce qu'on dit, c'est que la présomption d'innocence n'empêche pas d'appliquer un principe de précaution, et qu'on ne peut pas attendre l'accumulation de victimes, et l'accumulation de souffrances pour agir." explique Pauline.
La circulaire de l'ordre des médecins irrite et inquiète
Le président de l'Ordre des médecins, François Arnault, affirmait cette semaine que l'Ordre a pris une circulaire visant à empêcher les étudiants condamnés pendant leurs études pour "des crimes jugés définitivement" d'exercer la médecine. Une circulaire "applicable dès maintenant".
Le CNOM à travers son président @FranoisArnault2 s'engage aux côtés des victimes et annonce 2 grandes mesures :
— Ordre des Médecins (@ordre_medecins) May 28, 2024
1⃣ Les étudiants qui, au cours de leurs études seraient sanctionnés pénalement pour des crimes jugés définitivement, ne pourront pas exercer la médecine.
1/2 https://t.co/kVRklfS8xD
Une annonce qui irrite et inquiète le collectif d'étudiants.
Cette circulaire est un effet d'annonce, d'une démagogie sans nom. Elle ne soulève que la question de savoir combien de criminels ont été admis comme médecin jusqu'à présent
Emmaétudiante à Limoges
"Les plaintes sont des plaintes pour des crimes, mais une des victimes a accepté la correctionnalisation de sa plainte pour viol, pour que la procédure soit plus rapide, parce qu'elle voulait que ça aille vite pour que son agresseur ne puisse pas devenir médecin. La conséquence, c'est qu'il a été condamné pour des délits d'agressions sexuelles, et non pour des crimes de viols. Or la circulaire de l'ordre des médecins ne prive une personne d'exercer que si elle est condamnée pour un crime" développe Pauline
Selon les termes de cette circulaire, Nicolas W. pourrait donc exercer la médecine. Une aberration pour Sonia Bisch, fondatrice de Stop aux violences Obstétricales et Gynécologiques : "Qu'un étudiant en médecine multirécidiviste et condamné par la justice puisse être médecin, ça va à l'encontre de toutes les règles déontologiques, de toutes les règles médicales. Le serment d'Hippocrate dit : d'abord ne pas nuire. Cette circulaire ne garantit pas la sécurité des patients du tout."
Rappel des faits
Nicolas W., étudiant en médecine, a été condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Tours le 19 mars dernier à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur d'anciennes camarades, alors qu'il était étudiant à la faculté de médecine de Tours.
Le 15 avril, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du CHU de Limoges de suspendre l'étudiant de son stage obligatoire pour valider sa sixième année. Le 22 mars dernier, la directrice de l'établissement l'avait, en effet, exclu à titre conservatoire,"dans l'attente de la décision du conseil de discipline par l'Université" de Limoges.
Le parquet de Tours, qui avait requis une peine de prison ferme, avait fait part de son insatisfaction, raison pour laquelle il a ensuite fait appel. L'étudiant, qui a reconnu les faits lors du procès, va donc devoir de nouveau être jugé. À noter également que les faits reprochés par la justice ne s'étant pas déroulés durant l'exercice professionnel de ce dernier, mais dans le cadre de la vie privée - des soirées étudiantes -, le tribunal correctionnel de Tours ne pouvait pas prononcer d'interdiction d'exercer.
Dans son ordonnance, le tribunal administratif de Limoges a motivé sa décision notamment par le fait que "le CHU a prononcé son exclusion en raison d’une condamnation pénale et de fait commis en dehors de l’établissement de santé ou de l’université de Limoges et, d’autre part, il n’est pas établi qu’il a commis une infraction disciplinaire ou que son comportement soit de nature à remettre en cause le bon fonctionnement du service."
Une nouvelle réunion sur le thème des violences sexistes et sexuelles dans le secteur de la santé est prévue le 7 juin prochain au ministère de la santé.