Violences urbaines après la mort de Nahel : pourquoi les villes moyennes comme Limoges s'embrasent aussi

Les nuits d'émeutes se succèdent après la mort de Nahel, tué par un policier lors d'un contrôle routier. Des violences qui se déroulent aussi bien dans les métropoles que dans les villes moyennes, comme Limoges. Mimétisme, pauvreté dans les quartiers, sentiment d'abandon des populations... On vous explique pourquoi la colère se propage ici aussi en Limousin.

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D'ordinaire, seules les grandes métropoles sont le théâtre d'émeutes. Aujourd'hui, les villes moyennes sont aussi émaillées de violences urbaines. Limoges n'est pas épargnée.

Des dégradations et des comportements qui ont des conséquences pour les habitants de ces quartiers. C'est le cas de Katia (le prénom a été modifié), habitante du Val de l'Aurence. "Nous avons des petits qui grandissent et qui vivent au milieu de tout cela. Nous avons peur de ce qu'ils voient, et qu'ils les rejoignent. Nous avons aussi peur des balles perdues". Selon elle, la colère de ces jeunes est compréhensible, "mais sans faire de dégâts ! On peut inscrire "pas de justice, pas de paix" sur des pancartes et aller manifester. Mais là, ce sont des magasins que l'on fréquente, des bus que l'on utilise pour aller faire nos courses ou pour aller à l'hôpital qui sont détruits. C'est nous les perdants, et eux aussi !". 

Des détériorations que déplore également Mounir, habitant de Beaubreuil : "cela dessert nos quartiers. Détruire l'antenne-mairie, c'est empêcher les habitants de faire leurs cartes d'identité, leurs passeports". 

À l’origine de ces émeutes, la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un policier lors d'un contrôle de police à Nanterre. Selon Mounir, "la mort du jeune est évidemment très regrettable. Ce qui a été l'élément déclencheur de ces violences, c'est la vidéo du tir qui a fait le tour des réseaux sociaux. Elle a beaucoup touché l'opinion publique. Ce qu'il faut aussi se dire, c'est que c'est l'action d'un policier parmi des milliers, et heureusement, c'est une partie infime de tout un corps de métier". 

Mais, depuis plusieurs années, le lien entre la police et la population s'est brisé, comme l'explique Thierry Miguel, ancien policier, actuel vice-président du département de la Haute-Vienne et qui a également grandi dans le quartier de La Bastide. 

Il y a eu un moment où quelque chose s'est brisé. Il y a une impression d'être en guerre, le sentiment d'être écarté, de ne pas participer à la vie sociale et républicaine, d'être oubliés. Et ça, cela nourrit une haine qui alimente la poudrière. Il faut renforcer le lien entre la police et la population.

Thierry Miguel - conseiller départemental, ancien policier

France 3 Limousin


Une proposition qu'il a d'ailleurs faite avant le début des émeutes, lors du dernier conseil municipal de Limoges : "il faut travailler sur le long terme, en étant près de la population, avec des médiateurs sociaux pour faire de l'éducation populaire, et en même temps, renforcer la police de proximité qui a la possibilité d'être plus proche des habitants". 

Il ajoute qu'il y a probablement un manque de communication entre les générations de ces quartiers issues pourtant des mêmes classes sociales. "Ce sont des gamins qui n'écoutent plus les "grands frères", qui ont envie d'avoir leur propre existence, peut-être pour se démarquer. Ce sont des violences qui peuvent exister en chacun de nous, malheureusement, elle explose lorsqu'il y a une rencontre entre un malaise individuel et un collectif qui s'embrase".

Mimétisme sur les réseaux sociaux 

Tous s'accordent à dire que l'une des raisons pour laquelle Limoges s'embrase à l'image des grandes villes, c'est en raison d'un phénomène de mimétisme, comme l'explique Mounir. "Ce sont des mineurs, de très jeunes adolescents, ils imitent ce qu'ils voient à la télé, et cela crée une escalade sur les réseaux sociaux". Comme le confirme Thierry Miguel : "dans toutes les villes, il y a des quartiers prioritaires, avec le même mal-être, et l'usage des réseaux sociaux qui crée une escalade. Tout converge au même moment", indique Thierry Miguel. 

Les victimes de ces émeutes, ce sont les habitants, notamment les enfants, qui vivent déjà dans des conditions terribles.

Anonyme

Un mal-être, dû notamment à la pauvreté de ces quartiers. Selon le dernier rapport de la Chambre régionale des Comptes de la Nouvelle Aquitaine datant de 2019, Limoges accueille en moyenne une population plus défavorisée que celle de la région. En 2013, le taux de pauvreté s'élevait à 21,3% dans la capitale limousine, contre 13,5% en Nouvelle Aquitaine.

C'est ce qu'a observé un éducateur spécialisé qui travaille depuis près de 20 ans dans le quartier du Val de l'Aurence : "Les victimes de ces émeutes ce sont les habitants, notamment les enfants, qui vivent déjà dans des conditions terribles, les halls d'entrée n'ont plus d'électricité, les ascenseurs ne fonctionnent pas. Certains logements sont insalubres. De plus, ce sont des gens qui sont victimes de l'inflation, ils voient les prix qui augmentent et leur situation qui ne bouge pas. Au Val de l'Aurence, il y a peu de services, pas de distributeurs de billets, pas de laverie. Même s'il y a des choses qui ont avancé, comme des classes allégées dans les écoles, il y a un sentiment général d'abandon, et la situation s'est dégradée ces deux dernières années".

En outre, il réprouve les pillages de cette nuit. "Les forces vives des quartiers ne sont pas en train de piller les magasins. Eux, se lèvent le matin pour aller travailler et aller faire les courses au marché". 

De plus, Limoges est une grande ville, et ses quartiers se sont appauvris, comme l'indique le sociologue Laurent Courtois, co-auteur de l'ouvrage "Ghetto Urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui". Un appauvrissement dû d'abord selon lui au manque de pouvoir des élus locaux : "nous atteignons là le point ultime du grand questionnement de la politique de la ville, qui repose sur des petites poches de pauvreté urbaines maîtrisées par l'Etat. Les centres sociaux n'ont pas de marge de manœuvre, et les élus locaux sont spectateurs sur un territoire où ils n'ont plus de pouvoir". 

Un appauvrissement dû également à la volonté depuis plusieurs gouvernements d'affaiblir le fait associatif : "les associations d'éducation prioritaire dépendent uniquement des fonds publics, mais combien d'habitants sont vraiment représentés et investis dans ces associations ? C'est un vrai besoin pour dialoguer et les représenter". 

Enfin, selon lui, il est indispensable de s'appuyer sur les femmes en tant qu'actrices du monde politique : "les femmes ont la capacité de mobiliser et d'interpeller. Une femme, ce n'est pas simplement une mère, une soeur, une fille. C'est une citoyenne à part entière qui peut faire le lien entre les enfants, les hommes, les femmes, mais aussi les institutions". 

Trafic de drogue 

Cette violence est sous-jacente au trafic de drogue, "bien installé à Limoges", selon Eric Marrocq, secrétaire national Grand Ouest du Syndicat de police Alliance : "la ville est une plaque tournante, percluse par le trafic de stupéfiants. Ce trafic provoque de la délinquance. Limoges se classe au rang numéro 2 des violences en Nouvelle-Aquitaine. Il faut absolument plus de moyens, plus d'enquêteurs formés, pour prendre le problème à la racine". 

Une économie parallèle à laquelle "s'attaquer à long terme nécessite de l'investigation", ajoute Thierry Miguel : "avec la politique du chiffre, on se contente d'arrêter des gens avec quelques barrettes. Mais ce n'est pas ça lutter contre le trafic de drogue".

Et cette économie souterraine accroît les difficultés, selon Laurent Courtois : "ça génère plus une économie du pauvre qu'un enrichissement pour tous. À Limoges, de moins en moins de familles gèrent les business, c'est libéralisé, sauf que ça dérégule le marché. Ce qui peut amplifier la colère". 

Tous espèrent que la colère s'affaiblisse rapidement dans les prochains jours. Mais, certains redoutent un "pic" des violences ce samedi 1er juillet, après l'enterrement du jeune Nahel.

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