Devenir agriculteur : en 2023, le défi n'est pas mince. Malgré tout, le métier attire encore. Nous sommes allés à la rencontre des professionnels de demain au lycée agricole de Saint-Yrieix-la-Perche en Haute-Vienne. Ils nous racontent leur vocation, leur vision de la profession et de son avenir.
Dans la salle de classe ce matin, c'est restitution du vécu. De grosses valises sont stockées dans un coin. Onze jeunes, tous des garçons, reviennent de plusieurs semaines d'apprentissage chez leurs patrons. Ils racontent leur quotidien. Les voix sont fermes et assurées.
Baptiste est le premier sur le grill. "J'ai fait du bois cette semaine, j'ai arraché des vieux barbelés aussi, en plus des soins aux bêtes. Arracher des barbelés dans les ronces, ça ne m'amuse pas !". Baptiste est en apprentissage dans une exploitation en bio qui compte 110 mères vaches entièrement nourries à l'herbe.
À la fenêtre, un tracteur passe. Des commentaires viennent vite interrompre Baptiste dans son récit. Cécile Gauthier, la prof, doit recentrer le débat et récupérer l'attention.
"C'est tout ce que tu as fait ? Il y avait aussi la vaccination contre la FCO (fièvre catarrhale ovine). Les autres, c'est quoi la FCO ?"
De l'expérience de chacun, elle doit extraire des enseignements qui vont profiter à tous.
C'est au tour de Valentin. Il est en apprentissage dans une grosse exploitation à la limite avec la Dordogne et la Charente. 120 vaches laitières, 110 limousines sur 330 hectares.
"Cette semaine, un robot de traite a été installé, il a fallu éduquer les vaches. Des permanences, jour et nuit ont été nécessaires. J'ai fait 18h - minuit et minuit - 6h. Au troisième jour, ça allait tout seul et les patrons gueulaient beaucoup moins !"
Très difficile de devenir agriculteur... sans être fils d'agriculteur
Les deux jeunes ont le même profil. Tous deux âgés de 17 ans et leurs parents ne sont pas agriculteurs. Baptiste a passé toute sa jeunesse fourré chez son grand-père, éleveur près de Saint-Mathieu. Chez Valentin, c'est l'oncle et le beau-frère qui sont de la partie. La vocation est née par là. Le coup de foudre avec le métier passe par les animaux.
"Mon rêve, c'est de m'installer, explique Valentin, faire de l'élevage de Limousines avec un peu de céréales". De son côté, Baptiste reprendrait bien la ferme de son grand-père actuellement en fermage (en location). Mais ils ont conscience d'être au pied d'une immense montagne. S'installer hors cadre familial, c'est-à-dire sans reprendre une exploitation héritée de ses parents, est désormais très compliqué, voire impossible. L'installation suscite un sourire dans les yeux, aussitôt voilé par le retour à la réalité.
"Il faut entre 500 000 et 1 million d'euros pour acheter une ferme, les bâtiments, le matériel et le cheptel. Les banques sont de plus en plus frileuses. Elles demandent des acomptes" confirme Valentin. Les deux garçons seront donc ouvriers agricoles salariés dans un premier temps. 1200 à 1500 euros par mois. De quoi mettre un peu de côté. "À 30 ans, je verrai si les conditions sont réunies pour l'installation. Je veux apprendre, voir autre chose, accumuler de l'expérience d'abord".
L'avenir s'annonce donc difficile, mais Baptiste veut rester positif. "J'entends que les gens ne veulent plus d'agriculteurs, mais je ne m'inquiète pas trop, on aura toujours besoin de nous."
Les restitutions de vécus continuent. Un débat s'engage sur la fragilité des brebis par rapport aux vaches.
Des projets originaux
À l'étage du dessous, nous retrouvons Elise. Studieuse, penchée sur un écran d'ordinateur, elle peaufine son projet. Un petit croquis présentant plusieurs cercles concentriques retient l'attention. À 26 ans, elle est en reconversion. Titulaire de diplômes en biologie, ancienne herboriste et mère de deux enfants, elle a une vie déjà bien remplie. À Saint-Yrieix, elle ne connaissait personne. Le CFPPA qui a repéré son profil à Pôle Emploi et lui a proposé de suivre une formation.
Le projet est déjà bien mûr : "Je veux planter un verger. Pas des enfilades de pommiers, mais des arbres plantés en cercle. Les moins fragiles à l'extérieur, les plus fragiles au centre. Plein de familles, plein de variétés différentes. L'INRA est en train de le tester et le concept m'a plu. Au moment de changer de voie, j'ai cherché ce qui pouvait avoir du sens. L'agriculture est à mon sens à la base de tout, c'est ce qui a le plus de sens".
C'est l'archétype des projets originaux qu'il est possible de mener hors cadre familial. Ici, pas question de reprendre une exploitation imposante valant plusieurs centaines de milliers d'euros. Une petite parcelle de quelques hectares pourrait suffire. La CFPPA voit arriver de plus en plus d'adultes avec des projets de vie ce type. Le chiffre a même doublé depuis le COVID. "On est souvent sceptiques. On a des élevages de chèvres mohair, des élevages de lapins plein air couplés avec du maraîchage. On pense que ça ne va pas marcher. Mais tout est chiffré et bien ficelé et force est de constater que, même s'il y a des ratés, la plupart du temps, ça fonctionne" constate René Faucher, directeur du CFPPA. C'est encore une des seules voies pour devenir agriculteur.
Les héritiers
Il est temps de prendre l'air. En contrebas des bâtiments se trouve l'exploitation du lycée agricole. C'est une ferme tout équipée. Devant les stabulations, une classe de terminale apprend à manœuvrer des tracteurs attelés d'énormes bennes. La marche arrière à l'aveugle entre des plots est particulièrement délicate. À l'intérieur, d'autres terminales révisent la pose de licol pour présenter des vaches sur un podium.
Nous retrouvons deux champions. Clément et Matthias ont remporté la médaille d'or de la compétition des lycées agricoles l'an dernier au Salon de l'Agriculture. Posés, les deux garçons maîtrisent leur affaire.
Clément s'apprête à rejoindre l'exploitation familiale déjà dirigée par son père et son frère. Son installation va se coupler avec l'acquisition de la ferme des voisins qui est en vente. Le nouveau GAEC ainsi constitué va être conséquent : 360 hectares et 300 mères. Pour ce type de projet, les banques et les partenaires vont suivre.
"Dans notre secteur, je suis le seul jeune à m'installer alors que près de 1000 hectares vont se retrouver à la vente dans les années à venir. J'aime autant m'agrandir intelligemment plutôt que de voir des panneaux photovoltaïques s'implanter. De nos jours, il faut avoir les reins solides pour faire face aux aléas climatiques".
Bien que fils d'agriculteur, Matthias ne voulait pas forcément prendre la suite. C'est plutôt une carrière de footballeur qui lui ouvrait les bras. Mais à sept ans, c'est le déclic. Pour Noël, Matthias commande deux brebis. "À force d'insister auprès des parents, j'ai fini par les avoir. Maintenant, j'en ai 30. J'ai développé mon petit élevage tout seul. Je vends en circuit court au boucher du supermarché du coin."
Perception du métier
Les jeunes rencontrés déplorent tous l'image dégradée de l'agriculture. Scandales dans les abattoirs, pesticides, etc. Matthias peste souvent devant les médias.
"Ça fait mal au cœur d'allumer la télé. Il faudrait que nos détracteurs viennent voir comment on travaille vraiment. L'agriculture a beaucoup évolué ces dernières années et va continuer à le faire. C'est logique. Après, j'essaie à mon niveau de diffuser une belle image du métier sur les réseaux sociaux. J'aime mes animaux, j'en prends soin. Ça peut paraître un peu "cul-cul" de poser avec une vache ou un mouton. Mais il faut le faire. Il faut que la nouvelle génération le fasse. Moi non plus, je n'ai pas envie que mes brebis soient abattues dans des conditions lamentables".