Procès de la catastrophe de Brétigny : la voix des victimes

Six semaines après l'ouverture du procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny au Tribunal correctionnel d'Evry, cinq victimes de Limoges et de Saint-Junien ont fait le déplacement pour raconter à la barre comment elles ont vécu et vivent encore, 9 ans plus tard, le traumatisme du déraillement de l'Intercités Paris-Limoges du 12 juillet 2013. D'autres témoignages sont attendus.

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Après ce long week-end de l'Ascension, première parenthèse dans ces six longues semaines de débats techniques, l'instruction pour tenter d'expliquer et de comprendre ce qui a provoqué l'une des plus graves catastrophes ferroviaires en France a été clôturée par la Présidente du Tribunal Correctionnel d'Evry.

Après les nombreux échanges autour des auditions des experts et agents de la SNCF, la parole a été donnée au représentant légal de la SNCF, Alain Autruffe  "Notre mission est d'accompagner les victimes et de retirer tous les enseignements pour éviter qu'un tel drame se reproduise", a t-il souligné.

Les enseignements à retirer seront, sans aucun doute, nombreux. Les débats ont révélé des fiches techniques mal remplies ou absentes, voire perdues, des procédures internes insuffisantes, un contexte de maintenance mis budgétairement à mal par des choix politiques portés sur les lignes à grande vitesse… "mais cela ne veut pas dire que la maintenance n'a pas été faite même si sa traçabilité est défaillante… cela ne veut pas dire que la sécurité n'était plus la première de nos préoccupations", a ajouté encore Alain Autruffe. 

Quinze fautes reprochées à la SNCF et SNCF-Réseau

Juridiquement, le Tribunal devra se prononcer sur les quinze fautes reprochées à la SNCF et SNCF-Réseau, les quatre à l'encontre du cadre salarié, en démontrant que ces fautes ont bien un lien de causalité direct et certain avec la catastrophe et les préjudices subis par les victimes. La conduite du train n'est pas en cause, le conducteur est entré dans la gare de Brétigny ce 12 juillet à 137 km/h, là où la vitesse était limitée à 150 km/h, même si elle aurait dû l'être à moins compte-tenu des nombreux incidents régulièrement constatés ont souligné des experts.

Ces derniers ont également pointé du doigt des boulons usés, ainsi qu'une fissure apparue en 2008 sur le cœur de traversée, et qui serait restée non surveillée avant de céder ce 12 juillet 2013.

Mais pour la SNCF "le retournement et avant, le déraillement, sont consécutifs au désassemblage de la boulonnerie, un tel événement est unique dans l'histoire du rail en France. On  a pu constater des désassemblages mais tous les ingénieurs et les agents l'ont dit, de leur vie professionnelle, ils n'ont jamais vu de vis démunies à la fois de leurs écrous et de leurs têtes", a précisé le représentant de la SNCF, soumettant quant à lui l'hypothèse d'un défaut de l'acier pour justifier la rupture brutale de la pièce métallique.  

Le train de l'enfer

Pourtant le scénario s'est bien passé ce 12 juillet 2013, alors que le Paris-Limoges entre en gare à 17h10 après de nombreux autres trains au cours de la journée.

La locomotive et la première voiture passent, mais il est 17h11 lorsque la voiture suivante décolle, déraille et se retourne entrainant les quatre suivantes. Six personnes restent dans l'amas de ferrailles broyées, comme une scène de guerre, une septième décède des suites de ses blessures. Des dizaines d'autres sont blessées.

Des centaines restent marquées à vie du seul fait d'avoir été passager de ce train de l'enfer. Parmi les 435 victimes identifiées, 184 se sont portées civiles. Cinq victimes de Limoges et de Saint-Junien. Trois d'entre elles font le déplacement pour la première fois depuis que le procès a commencé.

Elles redoutent l'épreuve. Il y a celles qui ont préparé leur témoignage et celles qui vont laisser venir les mots. Des mots pour décrire l'insouciance à la veille de ce week-end du 14 juillet, la secousse, l'étrange impression de décollage avant les bruits, les valises qui tombent et l'insoutenable chaos. "C'est la première fois depuis près de 9 ans où l'on peut s'exprimer et évoquer devant les prévenus ce qu'on vit encore, et ce qu'on veut c'est qu'à l'issue de ça ils reconnaissent leurs fautes", souligne Jean-Luc Marissal, victime et vice-président de l'association des victimes de Brétigny EDVCB.

 

Le poids du traumatisme

Comme beaucoup de passagers dans cet Intercités, trois salariés de chez Legrand revenaient d'un déplacement professionnel ce 12 juillet 2013. Philippe G. explique à la barre préférer dormir désormais quand il doit voyager en train, quitte à prendre des somnifères. "C'est figé, je vois mon collègue régulièrement, on sera toujours lié par ça, il y a des personnes, la première fois qu'on s'est revu après l'accident, on s'est dit ah, vous étiez à telle place, dans telle voiture, on connait nos amis avec lesquels on partage de bons souvenirs et là on ne connait ces personnes que par ces mauvais souvenirs."  

A la barre, encouragés par l'écoute attentive de la Présidente du tribunal correctionnel d'Evry, trois autres parties civiles racontent :

- "Lorsque je suis montée dans le train, j'ai envoyé un texto à mon compagnon pour lui dire que pour une fois le train venait de partir à l'heure, que nous allions pouvoir fêter mon anniversaire en arrivant… puis c'est arrivé… j'ai entendu quelqu'un crier "il faut sortir, ça fume, ça peut exploser", les mêmes mots que j'avais entendus dans l'accident de mon bus à 14 ans." Alexandra M.

- "C'est compliqué, j'avais 40 ans, j'allais concrétiser 11 jours plus tard le projet pour lequel je travaillais depuis des années, je contrôlais ma vie avec la rigueur et l'exigence qu'impose mon métier de Notaire, mais je n'ai pas pu"  Ludovic D

- "Il y a cette culpabilité depuis, celle d'être en vie, pourquoi moi…"  Peggy M.

Le sentiment d'angoisse de mort imminente

Leur avocat, Philippe Clerc du barreau de Limoges, plaidera dans quelques jours. Il expliquera au tribunal pourquoi ils et elles ont encore besoin de consulter un psychologue 9 ans plus tard, comment ils et elles se retrouvent diminués, confrontés à des crises d'angoisse dès que l'actualité fait écho à leur traumatisme, ou dans l'incapacité de monter sereinement dans un train.

Il démontrera leur préjudice physique et moral, leur sentiment d'angoisse de mort imminente désormais reconnu par les tribunaux. D'autres témoignages sont attendus, ceux des familles des trois personnes attendues à Limoges et la Souterraine ce 12 juillet 2013 et qui n'y sont jamais arrivées. Le procès se poursuit jusqu'au 17 juin.

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