Rivotril et Covid-19 dans les EHPAD : témoignage d'un médecin-gériatre en Haute-Vienne

Alors que les critiques fusent contre un décret permettant aux médecins de prescrire du Rivotril à certains patients atteints de Covid-19, l'accusant ainsi d'ouvrir la porte vers une euthanasie légale, nous avons interrogé un médecin gériatre exerçant en Haute-Vienne
 

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L'euthanasie étant illégale en France et devant l'inquiétude des proches de résidents en EHPAD, nous avons souhaité en savoir plus auprès d'un médecin soignant, gériatre.
La Chef du pôle gériatrique de l'EHPAD hospitalier de Saint-Junien Chantemerle et médecin coordonnateur de l'EHPAD de Rochechouart, le Dr Aline Marcheix, a bien voulu répondre à nos questions.

Pourquoi ce décret ?

Le Rivotril est un médicament qui a vu sa prescription restreinte et encadrée par une réglementation il y a quelques années. Sa prescription doit désormais être faite par un spécialiste au moins une fois par an, pour permettre à un médecin généraliste de renouveler sa délivrance. Ce frein permettait d'en mieux contrôler la prescription.

Dans la crise sanitaire du Covid-19, des ruptures d'approvisionnement des autres molécules nécessaires au traitement du coronavirus, mais également utilisées en soins palliatifs ont été redoutées. Pour pallier cette rupture, les spécialistes ont demandé à lever les freins de prescription du Rivotril, pour avoir recours plus facilement à cette molécule pouvant se substituer aux autres si elles venaient à manquer.


Des critiques vives s'élèvent contre l'usage du rivotril, sous-entendant que face à de trop nombreux patients atteints par le Covid-19 et l'impossibilité pour les hôpitaux de prendre en charge un trop grand nombre d'hospitalisations, l'usage du Rivotril permettrait d'accompagner la fin de vie de certains patients en EHPAD au lieu de les hospitaliser. Qu'en pensez-vous ?

Le contexte si particulier que nous traversons tous en ce moment émeut particulièrement les familles, tenues éloignées de leur proche. Cet éloignement fait monter les inquiétudes. Il y a actuellement des amalgames qui sont regrettables et préjudiciables à la sérénité de tous. Nous sommes des soignants soucieux de nos patients et nous nous dévouons pour leur permettre d'être soignés, au mieux accompagnés, et lorsque la fin de vie se présente, c'est dans ce dernier cas le sens des soins palliatifs. Je rappelle que l'euthanasie est illégale en France, la dernière loi sur ce sujet est la loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016, qui prévoit seulement un « droit à la sédation profonde et continue » pour les personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme.

Nos décisions doivent répondre à des principes éthiques. Une hospitalisation se fonde sur trois principes :

  • l'autonomie de la personne âgée tout d'abord, elle est consultée pour savoir si elle l'accepte ou la refuse
  • la balance bénéfice/risque ensuite, on s'interroge de savoir si les soins ont plus de chance d'être bénéfiques ou au contraire s'ils risquent d'être plus préjudiciables.
  • la justice et l'équité enfin, pour nous soignants la perte de chance est inconcevable quel que soit l'âge du patient. Donc toute limitation de traitement qui pourrait être décidée ne le sera qu'en s'appuyant sur une collégialité.

Si un patient en soins palliatifs se retrouvait en plus touché par le Covid-19, on se doit de l'accompagner dans une situation de détresse respiratoire, car notre devoir de soignants est aussi d'apaiser les souffrances en fin de vie. Se priver du rivotril au motif que nous n'aurions plus accès aux autres molécules si elles venaient à manquer serait incompréhensible pour nous soignants.

Quant aux résidents qui ne sont pas en soins palliatifs et qui viendraient à avoir besoin d'une hospitalisation, bien sûr que ces résidents seraient pris en charge immédiatement.

Pouvons-nous redouter en Haute-Vienne, en Creuse ou en Corrèze, des ruptures d'approvisionnement des molécules dont vous avez actuellement besoin ?

Je ne peux parler que pour les établissements dans lesquels j'interviens et ma réponse est non.

Quelle est la situation Covid-19 dans les deux établissements où vous intervenez ?

Les personnes présentant des symptômes ont été testées et les résultats se sont avérés négatifs. Il n'y a pas à ce jour de cas de Covid-19 dans les deux établissements où j'exerce à ce jour. Si une hospitalisation était nécessaire, pour quelque motif que ce soit, elle se ferait car nous n'avons pas de prise en charge sous tension dans nos départements pour l'instant.

Mais il faut aussi préciser que la décision d'une hospitalisation ne se prend tout d'abord qu'après l'avis du patient, recueilli soit directement soit en consultant ses directives anticipées, c'est à dire les souhaits qu'il a pu exprimer antérieurement et notamment un refus d'être hospitalisé, ou maintenu en vie en cas de situation de détresse, mais aussi de l'avis de la personne de confiance référencée dans son dossier et sa famille, et enfin l'avis de l'équipe de soins qui entoure le patient, dont deux avis médicaux.

La crise sanitaire que nous traversons nécessite l'éloignement temporaire des familles, dans l'intérêt des résidents. C'est tout à fait inédit. Cela génère de l'anxiété tant pour les résidents que pour leurs proches. Nous sommes, soignants extrêmement conscient de cette situation et nous tentons de maintenir le lien entre eux. Les psychologues sont attentifs aux ressentis et dans ce contexte, des résidents, qui n'avaient pas souhaité s'exprimer à leur arrivée sur ce sujet, ont cette fois accepté de se prononcer. L'une de mes patientes s'est dite même soulagée d'avoir pu parler des conditions souhaitées de sa fin de vie parce qu'elle ne pouvait pas le faire avec ses enfants.


Mais si le patient est déjà en impossibilité de se manifester et que l'urgence empêche d'interroger la famille ou la personne référente ?

Si effectivement on se retrouve en situation d'urgence, c'est une décision collégiale entre le médecin sur place, le réanimateur de garde et le médecin régulateur du SAMU qui permettra de déterminer un transfert ou pas vers l'hôpital.

Si la confiance des citoyens est de 100% dans le dévouement et la compétence des équipes soignantes, que ce soit en réanimation ou en soins palliatifs, reste une question face aux coupes budgétaires drastiques de ces dernières années et dénoncées régulièrement avant la crise sanitaire du coronavirus : les équipes de soins en EHPAD et en réanimation à l'hôpital ont-elles les moyens de soigner sur notre territoire tout patient atteint par le Covid-19, qu'il ait 95 ans ou 50 ans ?  Une réponse pour l'heure positive sur les trois départements de notre territoire limousin, tant qu'ils ne se retrouvent pas en tension.

 
Polémique autour d'un décret paru le 28 mars 2020
Le décret 2020-369 publié au journal officiel le 28 mars dernier suscite depuis quelques jours de vives critiques et une inquiétude auprès des proches de résidents en EHPAD.

Ce décret autorise, jusqu'au 15 avril, « la dispensation du Rivotril par les pharmacies d'officines uniquement pour les patients atteints ou susceptibles d’être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l’état clinique le justifie sur présentation d’une ordonnance médicale portant la mention Prescription Hors AMM dans le cadre du Covid-19"

Il est précisé dans ledit décret que le médecin délivrant cette ordonnance doit se conformer aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d’une part, à la prise en charge de la gêne respiratoire et, d’autre part, à la prise en charge en soins palliatifs de la détresse respiratoire, tels qu'ils sont établis par la SFAP, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.

Qu'est ce que le rivotril ?

Le rivotril est un antiépileptique, dont la molécule est le clonazépam. Il existe sous trois formes, orale par gouttes et comprimés, et injectable. C'est cette dernière forme qui peut être utilisée, selon des protocoles très précis, en soins palliatifs, pour accompagner une fin de vie. Cette molécule n'est pas la seule, il en existe d'autres auxquelles les équipes de soins en réanimation ou en soins palliatifs ont plus recours, notamment le midazolam, également de la famille des benzodiazépines.
Attention, ceci ne concerne en rien les patients épileptiques ou souffrant de certaines douleurs neuropathiques qui suivent actuellement un traitement de fond à base de rivotril. Il serait dangereux d'arrêter ce traitement.

Début d'une polémique dans le cadre du covid-19

Plusieurs critiques s'élèvent depuis la publication de ce décret pour dénoncer le recours au rivotril comme un recours à une euthanasie devenue légale. Le député (UDI) Meyer Habib publie le 2 avril sur les réseaux sociaux : « On donne le permis légal d’euthanasier en France ! Décret du 28/03, le Rivotril, passeport pour la mort douce, est en prescription libre pour 15 jours […] C’est moralement insoutenable ! même pour soulager la souffrance. La vie c’est l’espoir ! J’écris à Olivier Véran ».

SUITE - Le décret autorisant la prescription libre du #Rivotril est un permis légal d'#euthanasie
Ma lettre à @olivierveran
"L'euthanasie est le contraire d'un acte fraternel" @JeanLeonetti - 05/12/2008 https://t.co/wxR6IRJFC2 pic.twitter.com/jaOyeSGUDL
— Meyer Habib (@Meyer_Habib) April 3, 2020
 
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