Nous avons passé une journée en compagnie de Sylvie Corroyez pour découvrir le quotidien d'une ATSEM (Agent Territorial Spécialisé à l'Ecole Maternelle) aux côtés des enfants de petite section de maternelle à l'école Chantemerle de Saint-Junien en Haute-Vienne. Un métier méconnu pourtant indispensable auprès des plus jeunes.
8h, c’est l’heure d’embaucher pour Sylvie Corroyez, ATSEM en petite section de maternelle à l’école de Chantemerle de Saint-Junien (87). ATSEM pour Agent Territorial Spécialisé à l'Ecole Maternelle, un métier méconnu qu’elle exerce depuis plus de vingt ans.
Direction la classe : ouverture des rideaux et préparation des verres d’eau pour les 26 élèves âgés de trois ans. Quelques minutes plus tard arrive Céline Bernard, souriante et pleine d’énergie : enseignante et directrice de l’école, elle est le binôme de Sylvie dans la classe. Les deux femmes ont leurs premiers échanges sur les enfants absents ou les mails reçus des parents. "On s’entend bien, et surtout, on se fait confiance", explique Sylvie qui travaille avec Céline depuis cinq ans.
8h35, le calme avant la tempête. Blouse enfilée, Sylvie est prête pour accueillir les enfants qui courent déjà vers elle. Elle les aide à retirer leurs manteaux, puis passe avec eux aux toilettes et fait des câlins à ceux ou celles qui en ont besoin. "Travailler avec les enfants, ça a toujours été mon rêve" raconte-t-elle. À 58 ans, Sylvie est deux fois maman et deux fois grand-mère. "Les pleurs arrivent facilement, détaille-t-elle, car les tout-petits peuvent être débordés par leurs émotions".
Avec quatre absents ce matin de novembre, le niveau sonore est d'ailleurs moins fort que d'habitude.
Une fois dans la classe, Sylvie distribue des compotes aux enfants qui le souhaitent "Tu veux l’ouvrir tout seul ? Vas-y !" Le petit garçon essaie de tourner le bouchon, sans succès. "C’est difficile ? Je vais t’aider", le rassure-t-elle avec un sourire. Encourager l’autonomie tout en étant là pour aider, c’est toute la mission de Sylvie auprès de ses petites maternelles.
Deux mois après la rentrée, les enfants ont désormais leurs habitudes. Ils se répartissent naturellement dans les différents espaces de la classe : puzzles, coloriages… La petite Lucie apporte fièrement son dessin à Sylvie qui y inscrit son prénom. Il ira dans son cahier. "Ça maintient jeune d’être avec les enfants, moi, je joue à la dînette, à la poussette", rigole Sylvie.
Le mardi, c’est jaune
9h05, "maîtresse Céline" fait tinter la clochette, c’est l’heure de ranger les jeux. Assis autour d’elle, les enfants répondent à l’appel, comptent les absents et font le calendrier. Tous les jours ont une couleur et le mardi, c’est jaune. Pendant ce temps, Sylvie compile les cahiers, range les dessins et nettoie les tables d’activités où une petite fille aux yeux doux continue à aligner les jouets. Nous l’appellerons Lou (prénom modifié). "Elle est en cours de bilan autisme", nous explique Céline. "Avant, elle pleurait quand on l’obligeait à s’arrêter, maintenant, on la laisse faire", ajoute Sylvie en lui tenant la main.
9h30 : départ pour la salle de motricité : un parcours attend les petits de trois ans avec des plots, des bancs, un mini-trampoline : "Vous savez que Sylvie est là pour voir, aider si vous en avez besoin", rappelle Céline aux enfants qui passent chacun leur tour, fiers de montrer leurs progrès. Chaque enfant passe au moins une fois. Dès qu’ils doivent attendre, l’agitation arrive vite et il est difficile de les garder concentrés.
Lou (prénom modifié) allume et éteint les lumières, sans que personne s'en émeuve. "Les autres enfants savent qu’elle est un peu différente et ils l’acceptent très bien" dit Sylvie. "Quand un enfant a un problème, Sylvie et moi sommes souvent les premières à voir que quelque chose ne va pas, explique Céline, car ce sont ses premiers pas dans une école. L’expérience fait qu’on le remarque très vite. Après, la nouvelle est plus ou moins bien reçue par les familles. Il nous est déjà arrivé par le passé que l’un des parents ait senti quelque chose, mais que l’autre soit dans le déni. Dans la plupart des cas, quand il y a détection et mise en place d’un accompagnement, les choses s’arrangent vraiment."
« Sylvie, je t’aime fort ! »
10h, nouveau passage aux toilettes. "Les enfants sont censés être propres quand ils arrivent en petite section. Cette année ça va, même s’il y a parfois des accidents. Il y a eu d’autres années où ce n’était pas du tout le cas : pipi, pipi, pipi, j’avais l’impression de passer mon temps aux toilettes."
Retour en classe pour les enfants. Chacun boit un verre d’eau préparé par Sylvie. À cet âge, tout est apprentissage, que ce soit boire un verre ou savoir respecter quand un copain ne veut pas vous tenir la main. Tout prend du temps aussi : "J’essaie de dire aux parents de leur laisser le temps d’apprendre, à mettre leurs chaussures, à s’habiller. Dans notre société, tout le monde est pressé, stressé..."
10 h 30, c’est l’heure d’aller placer doudous et sucettes sur les lits, ils serviront pour la sieste de l’après-midi. En attendant, c’est la récré, tout le monde enfile son manteau afin de filer dehors. "Sylvie, je t’aime fort !" s’écrie Liam en lui sautant dans les bras. Un vrai cri du cœur. "J’adore mon métier, car les enfants nous le rendent beaucoup : ils sont très affectueux, c’est gratifiant."
La voix douce, mais ferme, Sylvie est toujours debout, en mouvement, sollicitée par les enfants. "On s’attache beaucoup à eux : quand ils partent, ils ne vont pas loin, en primaire, juste à côté. C’est après que c’est dur. Parfois, on les croise quand ils sont devenus grands, j’ai même eu les enfants d’anciens élèves, ça fait drôle !"
Une partenaire indispensable
11h10 : début des ateliers : les enfants font des routes : en peinture, en Kapla (jouets en bois), en pâte à modeler. Ils sont répartis en quatre groupes, soit en autonomie, soit avec une adulte (Céline ou Sylvie) "Je ne suis pas sûre que le métier d’ATSEM soit reconnu à sa juste valeur, explique Céline. On a cette image de la dame de service, mais c’est tellement plus que ça ! Sylvie est une partenaire indispensable pour moi. Il me serait impossible de faire classe sans elle, tant au niveau pédagogique que de la préparation ou la vie quotidienne… Les jours où elle n’est pas là, c’est vraiment très compliqué !"
12h : À la pause déjeuner, pendant que les enfants sont à la cantine, Sylvie et ses collègues enseignantes et ATSEM prennent leur repas ensemble. L’occasion de poursuivre la réflexion sur la reconnaissance de cette profession. Lucette Balestrat, ATSEM dans la classe de moyenne section, fait sa dernière année et elle appréhende : "Bien sûr, je vais prendre ma retraite, car mon corps me le réclame, surtout mon dos. C’est un métier physique où on se baisse beaucoup vers les enfants, mais j’avoue que les collègues vont me manquer." Il y a "beaucoup de préparation, de découpage, ce qui m’a valu une tendinite", ajoute Sylvie.
Les conditions à Saint-Junien restent avantageuses, reconnaissent-elles. "On a une bonne équipe et on nous a installé des chaises adaptées, l’école a été refaite en 2013, et puis on a la chance d’avoir une ATSEM par classe", se réjouit Sylvie - une volonté de la municipalité de Saint-Junien alors que la loi ne l’y oblige pas.
Manque de reconnaissance pour un métier à 99% féminin
"Le métier n’est pas suffisamment reconnu", dit Lucette. Sylvie acquiesce, elle qui a passé le CAP petite enfance et le concours d’ATSEM reconnaît : "On a aussi un rôle pédagogique. Moi, j'ai 58 ans, et je suis en haut de l’échelon, au maximum, je gagne 2328 € bruts par mois en fin de carrière."
Un manque de reconnaissance qui a déjà suscité un mouvement social parmi les 50 000 agents en France, dont 99 % sont des femmes.
13h : retour avec les enfants pour Sylvie qui les conduit aux toilettes puis au dortoir pour la sieste. "On pose chaussures et pantalon et on prend le doudou qui est déjà dans la panière", leur rappelle-t-elle. La sieste, une autre occasion d’apprentissage pour ces élèves de petite section. Depuis quelques jours, ils apprennent à remettre leur pantalon à l’endroit une fois qu’ils l’ont enlevé, et ce n’est pas toujours facile…
Jusqu’à 15h, Sylvie reste avec eux en compagnie de Lucette pendant que Céline prend en charge certains élèves d’une autre classe. À 13 h 45, tout le monde ne dort pas encore. "Le petit Arthur tousse beaucoup, s’inquiète Sylvie qui lui donne du miel et lui rajoute des oreillers. Il n’a pas de fièvre, mais il est gêné." Céline appelle les parents qui viennent le chercher.
De 15h à 15 h 45, les élèves se réveillent progressivement de la sieste et viennent dans la classe pour terminer leur peinture ou prendre un jeu. Céline est avec eux pendant que Sylvie reste avec les derniers dormeurs. Elle en profite pour changer les draps avant de les envoyer à la laverie de l’hôpital comme elle le fait une fois par mois. Lorsqu'ils sont au complet, les enfants s’assoient devant la maîtresse qui leur fait découvrir l’intérieur d’un gros potiron : l’occasion de poser des questions, de s'écouter, d’utiliser des adjectifs et des couleurs.
À 16h30, la journée s'achève pour les enfants qui rentrent chez eux ou partent à la garderie. Une heure de ménage et de rangement commence pour Sylvie. Le silence est de retour. Bientôt arrivera une autre journée où elle aidera les enfants à grandir.