Chaque année depuis cinq ans, les intelligences animales sont à l'honneur au cours d'une journée qui met en lumière les découvertes et avancées scientifiques dans ce domaine. En Nouvelle-Aquitaine, plusieurs parcs proposent au public de se confronter aux bêtes à poils, à plumes ou à écailles, pour essayer de mieux les comprendre.
Bien sûr, il y a les renards, connus pour leur ruse, les éléphants et leur mémoire légendaire, ou encore les chimpanzés, nos cousins et ancêtres capables de se servir d'outils... mais une journée mondiale des intelligences animales peut paraître paradoxale tant on a tendance à opposer l'humanité et l'animalité, le raisonnement et l'instinct.
Or, la zoologie et l'éthologie (la science qui étudie les comportements des êtres vivants) apportent régulièrement de nouvelles réflexions sur la question, et la journée mondiale des intelligences animales est là pour les rappeler.
Peut-être que nous ne sommes pas assez intelligents pour comprendre l'intelligence de certains animaux !
Jean-Pascal Guéry, directeur Science et Conservation de la Vallée des Singes
Dans la Vienne, si l'on cherche des animaux intelligents, on pense tout de suite à la Vallée des singes, à Romagne. Pour Jean-Pascal Guéry, le directeur science et conservation du site, cela n'a rien d'étonnant : "on a tellement de points communs qu'on se comprend facilement !"
Cependant, il ne faut pas se limiter à une conception humaine de cette faculté : "c'est toujours très humain de penser qu'on a une intelligence supérieure, et que du coup les animaux les plus proches de nous, qui ont une intelligence proche de la nôtre, sont les plus intelligents, mais en fait l'intelligence c'est juste l'adaptation à son milieu et la capacité à résoudre des problèmes." D'après lui, d'autres espèces ont des formes d'intelligence difficiles à appréhender pour l'humain, comme le corbeau, le dauphin, le poulpe ou l'éléphant : "peut-être que nous ne sommes pas assez intelligents pour comprendre l'intelligence de certains animaux !"
Des formes d'intelligence qui leur sont propres...
En Haute-Vienne, au Parc zoo du Reynou, Nicolas Lefrère partage cet avis. Pas question d'imaginer un test de QI pour les animaux, leur intelligence ne peut pas être appréhendée selon un référentiel humain : "l'important, c'est la cognition, leur capacité à percevoir et comprendre ce qui se passe autour d'eux. Quel que soit l'animal, quelle que soit la forme de vie, il y a une forme d'adaptation à son environnement."
Même les animaux les plus "primaires" ont une capacité à comprendre ce qui se passe autour d'eux, pour leurs besoins à eux
Nicolas Lefrère, PDG du Zooparc du Reynou
Cette cognition traverse ainsi toutes les espèces animales, de manière plus ou moins élaborée, ou compréhensibles pour nous, observateurs humains : "même les animaux les plus "primaires" ont une capacité à comprendre ce qui se passe autour d'eux, pour leurs besoins à eux, ça nous paraît parfois très léger mais c'est une forme d'intelligence", ajoute Nicolas Lefrère.
Des besoins alimentaires par exemple : un perroquet est capable de casser la coquille d'une noix avec son bec, car il sait qu'il trouvera à manger à l'intérieur ; et les pigeons peuvent cacher leur nourriture s'ils se sentent observés par leurs congénères.
Ces besoins naturels s'inscrivent durablement dans le comportement des espèces pour assurer leur survie, et sont souvent associés à l'idée d'un instinct animal : pour Nicolas Lefrère, "l'ours polaire est très intéressant pour sa capacité à avoir des techniques de chasse, à ralentir son rythme en hiver, à adapter son régime alimentaire en fonction de ce qu'il trouve".
Des animaux pas si différents de nous
Pour le grand public, la forme d'intelligence la plus facile à identifier et comprendre reste celle qui fait référence à nos propres comportements. Les singes, en ce sens, nous ressemblent beaucoup. Le génome des chimpanzés par exemple, est identique au nôtre à plus de 95%.
Ils sont toutefois loin d'être les seuls primates auxquels l'homme peut se comparer : "les gorilles ont une stratégie particulière dans leur placement, pour pouvoir bloquer une situation, même à distance. Parfois, un individu se met pile à un endroit et tout le groupe est complètement paralysé, un peu comme un joueur d'échecs", raconte Jean-Pascal Guéry.
Il y a vraiment des choses qu'on apprend sur nous en étudiant l'intelligence animale
Jean-Pascal Guéry, Directeur Science et conservation de la Vallée des singes
Ces similarités anthropomorphiques ne se limitent pas aux grands singes : "les capucins ont le sens de l'injustice, et on peut de démontrer expérimentalement qu'ils sont capables de comprendre que réaliser une même tâche pour une récompense différente, comme pour nous avec un salaire différent, ce n'est pas juste."
D'après Jean-Pascal Guéry, les singes peuvent faire preuve de collaboration, ou d'empathie, "il y a vraiment des choses qu'on apprend sur nous en étudiant l'intelligence animale."
Une intelligence au contact du public
Au parc Zoodyssée, à Villiers-en-Bois dans les Deux-Sèvres, la faune européenne se montre aux visiteurs depuis bientôt cinquante ans. Plus de 90 espèces, plus ou moins sauvages, donnent autant de démonstrations de comportements, notamment grâce à leurs interactions avec l'humain... ou non : "on évite d’avoir des enclos trop petits", explique Frédéric Jourdin, le chef animalier du parc, "les animaux ne sont pas imprégnés, ils sont naturellement sauvages, et dans leur milieu ils font comme ils veulent, s’ils veulent venir au contact ils viennent mais en aucun cas ils sont forcés." Certaines espèces exhibent donc leur intelligence, ou leur malice, sans trop se préoccuper des spectateurs, comme les loutres : "quand on les voit se regarder et jouer avec des pierres, des choses comme ça, c’est aussi un signe d’intelligence", alors que d'autres se montrent totalement en phase avec les hommes, à l'image des chevaux : "quand ils sont au travail, pour la calèche, on voit quand on les mène, ils sont à l’écoute de tout ce que le meneur fait et dit".
La vie en captivité s'avère être un révélateur de la manière dont les animaux perçoivent ce qui les entoure et s'y adaptent. Pour Nicolas Lefrère, leur attitude le montre bien : "les visiteurs font partie de l'environnement des animaux, il faut voir comment ils les perçoivent. Un enfant de quatre ans, chez les prédateurs, ça génère une envie alimentaire ; chez les primates, une envie d'interaction..."
Une journée mondiale pour sensibiliser
Depuis cinq ans, l'objectif de la journée mondiale des intelligences animales est donc de raconter toutes ces différentes manifestations de la cognition animale, notamment au cours de conférences organisées à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris.
La journée permet aussi de faire le point sur les différentes avancées et découvertes dans ce domaine, alors que le regard que l'homme porte sur les animaux évolue progressivement. Pour Jean-Pascal Guéry, c'est une très bonne chose : "on espère que ça peut susciter un peu plus d'empathie de la part des humains et un peu plus de volonté de les préserver parce qu'aujourd'hui les extinctions en masse sont presque irrémédiables, et on est en train de causer des pertes colossales juste parce qu'on méprise un peu le reste du vivant."