Qui pour les remplacer ? Comment attirer de nouveaux exploitants. L’enjeu est de taille. D’ici à 2030, plus de la moitié des agriculteurs va partir à la retraite. Alors que l’État doit faciliter la transmission de leurs exploitations, les paysans s’inquiètent du sort de leurs fermes
Pour Pierre Lafargue, après quarante ans d’activité, le temps de la retraite approche. Cet éleveur de volailles, installé dans le petit village de Doazit en Chalosse n’est pas pressé, mais a 61 ans, il y réfléchit sérieusement. "C’est passé très vite. Je ne suis pas usé, mais j’y pense depuis un bon petit moment. J’essaie d’anticiper ".
L’agriculteur qui exploite également 30 hectares de cultures se donne encore trois ou quatre ans, le temps de rembourser les dernières échéances financières qui lui ont permis d’acheter le foncier de son exploitation et de trouver celui ou celle qui assurera la pérennité de sa ferme. Mais il a déjà une certitude. Cette transmission se fera en dehors du cadre familial. Ses enfants n’ont pas la passion du métier même si, dit-il, "ils ont toujours donné un coup de main quand il le leur a demandé".
La difficulté de trouver un repreneur
Trouver un repreneur est devenu un casse-tête. Les agriculteurs sont de moins en moins nombreux. Dans les années 1980, ils représentaient 7 % de l’emploi en France. Quarante plus tard, en 2019, ils étaient 400 000 de moins et ne pesaient plus que 1.5 %, selon l’INSEE. Symptôme d’une agriculture de plus en plus concentrée et industrialisée.
Pierre Lafargue aimerait trouver une personne motivée, consciente de la réalité d’une exploitation d’élevage génératrice de contraintes. "Il y a des contraintes climatiques, les contraintes liées aux animaux. C’est pour cela que je me laisse un peu de temps pour trouver cette personne qui pourra reprendre la ferme."
La solution proviendra peut-être de la Maison familiale et rurale de Aire-sur-l’Adour. Avec l’antenne de Mont en Bearn, elle a signé un partenariat avec la coopérative agricole Maïsadour, pour faciliter la transmission des exploitations. Pour son président, Daniel Peyraube, "L’objectif est qu’on puisse avoir dès demain des agriculteurs qui puissent s’engager dans le métier avec plus de sécurisation et des projets en adéquation avec les produits que l’on a besoin d’élaborer".
Mettre en relation des étudiants avec des futurs retraités
Le dispositif doit permettre de mettre en relation des étudiants en agriculture qui n’ont pas de structure existante pour se lancer avec des chefs d’exploitations à la recherche d’un repreneur dans les 3 à 8 années à venir. L’étudiant en alternance pourra ainsi être formé sur place par l’agriculteur qui souhaite céder son exploitation. "On voit de plus en plus de jeunes être intéressés par l’activité agricole" ajoute Pierre. "Moi-même, je le constate en recevant beaucoup de stagiaires, de différents horizons, des élèves en formation d’ingénieur agricole, ils sont aussi en BTS ou en apprentissage." Son souhait : que sa ferme soit reprise entièrement, pas seulement les terres. "C’est peut-être mon dernier projet professionnel, savoir que mon exploitation va continuer de vivre".
Dans les Landes, 20 % des fermes sont transmises dans le cadre familial. "Le reste est soit perdu ou repris en dehors, la situation n’est pas très différente ailleurs," explique Eric Labaste.
De la difficulté de se loger
Voilà 38 ans qu’il a embrassé le métier et lui aussi pense à l’après. Il a commencé par acheter dix hectares à côté de la ferme de ses parents à Saint-Lon-les-mines, dans le sud du département, avant d’en reprendre l’exploitation.
Aujourd’hui, à 59 ans, le paysan possède une soixantaine d’hectares où il élève des canards et produit des fruits en agriculture biologique. Il sait que son fils choisira un chemin différent. Comme tant d’autres, il espère pouvoir passer la main.
Une transmission de ferme ne se fait pas comme une vente de voitures. Il faut la préparer longtemps à l’avance, autour de quatre à cinq ans.
Eric LabasteAgriculteur à Saint-Lon-les-mines
L’agriculteur, soucieux de défendre une démarche respectueuse de l’environnement, est aussi le président de l’Association landaise pour la promotion de l’agriculture durable (Alpad 40). Il réfléchit à la manière de pérenniser les exploitations.
Certes, le métier est difficile. Les agriculteurs reçoivent plus de cartes postales qu’ils n'en envoient. Les journées sont longues et les week-ends inexistants, mais pour Eric Labaste un autre facteur est à prendre en compte et il est à ses yeux primordial.
"On oublie souvent l’habitat, mais c’est capital. Avoir une ferme, c'est bien, mais comment faire pour se loger ?" Dans les Landes, les fermes ne se vendent pas forcément avec les lieux d’habitation. Ce n’est pas une tradition. La pression immobilière, notamment dans le sud du territoire, ne permet pas à de futurs acquéreurs, de pouvoir se loger.
"Ici, ce sont souvent de vieilles fermes avec de grandes maisons qui peuvent faire plus de 300 m². Leur valeur marchande est importante et généralement les fermes qui ne sont pas reprises sont achetées par des néoaquitains qui mettent un enclos avec un cheval ou deux, et qui retapent la maison avec des moyens financiers que les gens du coin n’ont pas. Donc forcément, dans le cadre d’une installation d’un jeune, c’est impossible."
Alors avec l’association, Eric Labaste avance l’idée de pouvoir diviser les bâtisses en plusieurs appartements. Ainsi, de futurs repreneurs auraient des loyers plus raisonnables, défend-il.
La ferme à plusieurs
Il n’exclut pas de vendre ou louer sa ferme à plusieurs agriculteurs. D’ailleurs, il ne croit plus au système d’un seul repreneur. "Ça, c'est terminé !" Il en est convaincu. La société a changé et l’isolement fait peur. "Les gens ne veulent plus se retrouver tout seuls à bosser, ils ne veulent plus être isolés au milieu de nulle part."
Alors, il veut proposer d’autres schémas. "Un agriculteur dans sa ferme, c’est fini. Économiquement parlant, ça ne tient pas. En revanche en groupe, c'est possible ! et là le travail n’est plus le même".
On a du temps libre qui se dégage. Quand l’un part en week-end, l’autre est toujours là pour surveiller l’arrosage, l’élevage, on part tranquille.
Eric LabasteAgriculteur
Eric Labaste aimerait inciter des agriculteurs à se réunir à plusieurs sur des petites fermes. "Nous pensons qu’il y a un potentiel de production important avec des marges intéressantes sur les produits alimentaires en vente directe. Et là, il peut y avoir une cohérence à mettre dans une même ferme un peu d’élevage, un peu de production et de grande culture."
Pierre et Eric ne savent pas encore qui les remplacera dans leurs fermes. Mais il y a urgence pour que ce modèle perdure face à l’expansion des grosses exploitations. Dans les Landes comme ailleurs dans le pays, un agriculteur sur deux partira à la retraite d'ici à 2030.