Michel Guérard, chef trois étoiles au Michelin, inventeur de la cuisine nouvelle, est décédé à 91 ans

Il était sans doute l'un des plus respectés des grands chefs français. Le chef landais Michel Guérard, trois étoiles au Michelin, est décédé à l'âge de 91 ans, dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 août, à son domicile. Retour sur le destin de ce grand chef, une histoire de gastronomie qui rime avec passion et santé.

C'est une grande perte pour la gastronomie française. Le chef Michel Guérard, triplement étoilé au guide Michelin depuis 1977, est mort à l'âge de 91 ans, dans la nuit du dimanche 18 au lundi 19 août à son domicile, a appris l'AFP dans son entourage, confirmant une information de France Bleu et Sud Ouest. 

Premier chef à avoir fait la Une de Time Magazine aux États-Unis, Michel Guérard était considéré par certains critiques et nombre de ses pairs comme l'un des cuisiniers les plus talentueux du XXᵉ siècle.

"La cuisine a mille recettes"

Quelques lamelles de truffes, deux ou trois copeaux de foie gras, des légumes de saison et beaucoup d’improvisation en fonction de l’inspiration. Voilà le secret de la fameuse salade gourmande imaginée par Michel Guérard dans les années 70. Les traditionalistes poussent alors des cris d'orfraies (utiliser du foie gras comme de l’huile !). Une salade pleine de légèreté. La légèreté : plus qu’un nom commun, un ADN, la marque de fabrique d'un homme, qui très vite a bousculé les codes en vigueur depuis le "Roi" de la gastronomie Auguste Escoffier.

La cuisine a mille facettes. Il faut savoir s’y amuser, innover, et aller dans l’audace.

Michel Guérard

Tout au long de sa vie, Michel Guérard, né en 1933 à Vétheuil dans le Val-d'Oise, n’a eu de cesse de conjuguer plaisir, bien-être et santé. Une « nouvelle cuisine » inventée à Asnières, non loin de Paris, dans son bistrot le Pot-au-Feu qui a fait saliver Bob Kennedy et Alain Delon.

Dans les années 1970, sa route croise celle de Régine qu’il va accompagner dans le montage de ses restaurants à Paris et à New York. Ce rendez-vous professionnel avec la chanteuse et reine de la nuit parisienne sera déterminant, comme il aime à le raconter à Paris Match, en 2020.

Ce jour-là, le téléphone sonne alors dans son bistrot restaurant d’Asnières, Le Pot-au-feu : "Michel, je suis embêté, m’explique mon ami Pierre Troisgros, j’avais promis à je ne sais plus quel Relais & Châteaux de province de prendre leur jeune chef en stage et j’ai oublié. Pourrais-tu me dépanner ?" J’accepte. Nous sommes en 1972. Cinq mois passent, une femme m’appelle : « Bonjour, je suis Christine Barthélémy, vous avez eu la gentillesse d’accueillir mon chef chez vous, j’aimerais vous remercier de vive voix. »

Derrière un grand homme, cherchez la femme

Talleyrand

C’est alors le début d’une longue et belle histoire entre le fils de bouchers et petit-fils d’une épicière et l’héritière de la Chaîne thermale du soleil, diplômée d'HEC. Il ira sur ses terres à elle, qui deviendront les siennes. Ensemble, ils vont, dès lors, jouer une partition à quatre mains dans la petite station thermale d’Eugénie-les-Bains. Un village aux confins des Landes, du Gers et du Béarn.

"Je n’inscrirai jamais un plat sur la carte sans être sûr que Christine l’ait apprécié", confie celui qui, enfant, a été initié par sa grand-mère cordon-bleu aux joies de la bonne cuisine. Ses tartes aux fruits ont d'ailleurs marqué la mémoire de l'adolescent au palais éduqué.

Mais le chef s’interroge et se demande comment "attirer du monde dans ce coin perdu au milieu de nulle part". "J’avais l’impression que la clientèle locale, moins sensible aux effets de mode, n’allait pas comprendre mon style de cuisine" dira celui qui ne voulait surtout pas se conduire comme "le Parisien arrogant."

À elle, les décors des établissements, la restauration de la station, la création des jardins parfumés, les roses anciennes et le potager. À lui, les fourneaux devant lesquels il met au point des recettes à la fois goûteuses et saines pour les curistes. Ainsi naît la cuisine minceur avec des recettes inédites qui lui valent les honneurs du Time.

Son livre La Grande cuisine minceur, publié en 1976, s'arrache comme des petits pains, vendu à plus d’un million d’exemplaires et traduit en treize langues. L'ouvrage rencontre un succès inattendu aux États-Unis où il connaît plusieurs rééditions. Lui, qui est entré dans le métier par la pâtisserie avec un col bleu, blanc, rouge de meilleur ouvrier de France, remplace le beurre par le gras naturel de la peau des volailles, colore le bouillon avec une betterave et fait flamber le vin pour qu'il soit moins calorique.

On court, on est dans l'allée, on crie presque notre bonheur d'obtenir notre troisième étoile.

Michel Guérard

Dans les Landes, on vient souvent de loin découvrir le restaurant gastronomique Les Prés d'Eugénie. Les étoiles se succèdent, deux au Guide Michelin, une troisième décrochée un an plus tard en 1977, ne le quittera plus. C’est aussi l’époque où Findus et le groupe Nestlé l’engagent en qualité de consultant.

Michel Guérard fait fi des puristes qui protestent et accepte "afin d'élargir ses connaissances". Il devient le premier grand chef associé à l’industrie agroalimentaire et élabore des plats surgelés comme le "Pithiviers feuilleté, mousse de cresson et beurre blanc". Une association jalonnée de rencontres avec des diététiciens, des nutritionnistes, des sociologues. "Cela a fortifié l'ossature de ma réflexion." 

Porté par le succès, celui qui imaginait, enfant, être médecin, accompagné de son épouse Christine, va bâtir, sur les huit hectares de la propriété landaise, quatre hôtels, trois restaurants, et employer plus de 200 personnes. Ils retapent une auberge du 18ᵉ siècle au cœur d’Eugénie-les-Bains et font de la Ferme aux Grives un lieu de convivialité où la cuisine du terroir et les traditions gasconnes sont mises en avant. En 1996, ils proposent un retour aux sources avec la première ferme thermale de France dédiée à la détente et au bien-être des curistes. 

À Eugénie, les gens viennent pour les rhumatismes, mais c’est désormais la cuisine diététique, qui fait la réputation du lieu. "Si vous allez chez Guérard, n'oubliez pas votre ordonnance médicale" plaisantait Paul Bocuse.

La passion, c'est ce qui a toujours animé ce travailleur insatiable. Des fourneaux au bureau, la cuisine a rempli sa vie et ses écrits. À 80 printemps, l'infatigable chef au teint hâlé et cheveux argentés, réalise un autre de ses rêves et coupe le ruban de l'Institut portant son nom : "École de cuisine de santé". Une envie de transmettre dans son fief et une ambition affichée : former le maximum de cuisiniers en conciliant "les héritages de la cuisine française" avec "les enjeux de santé publique".

En 2017, il perd son alter ego emporté par la maladie et se console en regardant leurs deux filles, Eléonore et Adeline, se passionner pour l’empire familial. Celui qui disait toujours ne pas finir de remercier Troisgros et Régine d’avoir favorisé son destin s’en est allé à son tour.

Après plus de 70 ans passés derrière les fourneaux, "Monsieur Guérard" comme tout le monde l’appelait dans les Landes a définitivement rendu son tablier. Il avait 91 ans. 

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