Ne plus avoir d'intermédiaire entre le producteur et le consommateur, une Utopie ? Certainement plus. Avec la guerre des prix pratiquée par les grandes surfaces, les consommateurs s'organisent désormais pour acheter mieux et plus juste et c'est le cas en Nouvelle-Aquitaine.
A l'origine
L'idée née dans le Bronx à New York en 1973. elle est alors de créer une firme alimentaire autogérée. Un petit groupe d'utopistes souhaite monter un commerce tenu par ses consommateurs tandis que se développe en marge la grande distribution. Le but est simple, en tant que coopérative alimentaire, l'un de ses objectifs est d'être un « agent d'achat de ses membres, pas un agent de vente pour toute l'industrie » et le concept également: il faut adhérer et participer pour pouvoir consommer, ceux qui ne sont pas des adhérents de la coopérative peuvent visiter le magasin, mais ne peuvent pas y faire d'achats. On parle bien alors de coopérative de consommateurs et non de coopérative de producteurs. Certains parlent même désormais de consom'acteurs.
Au final l'idée séduit, la Park Slope Food Coop (PSFC) compte aujourd'hui 16 000 membres pour un chiffre d'affaires de près de 40 millions de dollars.
Ce modèle économique traverse alors l'Atlantique et depuis une quinzaine d'années, il se développe de façon exponentielle en France. Il y a à l'heure actuelle près de 25 supermarchés coopératifs en France dont trois situés en Nouvelle-Aquitaine (Bègles, Bayonne et Poitiers). À côté de cela, de très nombreuses épiceries, dont une dizaine en train de se monter en ce moment même.
Derrière tout projet : un projet de vie
Difficiles à joindre, Arnaud Baudru et Pascal Lejeune, se sont lancé dans cette aventure il y a une petite année à Langon dans le Sud de la Gironde
Finalement au bout du fil, ce dernier nous répond "désolé on est sur notre tableau excel depuis ce matin, on a un groupe finance demain, et il faut qu'il soit fini pour présenter le projet".
Ce duo d'entrepreneurs se rencontre dans le milieu associatifs. Tous deux bénévoles à la croix rouge de Langon, ils partagent vite la passion de la bonne chère ainsi que bon nombre de convictions dont celle de vouloir être maîtres et acteurs de leur consommation. Arnaud Baudru reprend "Il y a bien sûr l'idée de se réapproprier sa consommation en allant vers des produits plus sains. Mais aussi, une prise de conscience en tant que consommateur, du "si je veux bien manger c'est très cher" et cette inégalité qui existe entre les gens qui achètent la marque repère et les autres. Une inégalité que je vis moi-même et que je n'apprécie pas". Il y a également le modèle de Pascal Lejeune, très attaché aux circuits courts et aux bon produits, il se retrouve à faire ses courses en 4 à 10 fois pour faire le tour des points de vente de sa commune ou des alentours. Une activité trop compliquée et énergivore.
De leurs expériences personnelles naît une réflexion, puis une idée: créer un lieu qui regroupe ses différents critères: un "super-marché" comme ils aiment à le dire.
Ils font alors la connaissance d'un supermarché qui correspond en tous points à leurs attentes: le Supercoop de Bègles, fondé sur les préceptes du Park Slope, mentionné plus haut.
L'idée devient plus concrète. Finies leurs carrières respectives de cadre dans l'agroalimentaire et les jolis salaires, dès le mois de juin 2020, ils partent bille en tête monter bénévolement une telle structure à Langon.
L'enquête de consommateur qu'ils réalisent en septembre leur prouve que ce n'est pas une lubie: plus de 600 personnes leur répondent attendre ce concept. En cinq mois, 200 personnes rejoignent effectivement l'association et s'engagent à participer à la vie de La Coopé, dont 6 forment le 1er conseil d'administration.
Le principe est simple. Pour adhérer il faut mettre 25 euros par personne, avec un tarif minoré pour les couples qui représentent 30% des effectifs, et un tarif de 5 euros pour les personnes qui n'ont pas beaucoup de revenus "sans justificatif" insistent ils, car pour eux c'est fondamental.
A cela il faut ajouter 3 heures de travail offert à la coopérative par mois, et vous avez accès au magasin et à ses biens aux tarifs raisonnés.
Faire de grosses économies sur les charges et la masse salariale est un levier énorme. Cela nous permettrait de baisser le prix d'un panier moyen mensuel de -10 à -30%.
Et dans la Charte définie très vite par l'Association, un engagement: ne pas négocier avec les producteurs!
" L'idée est de les rémunérer correctement, au prix juste et que nous soyons au coeur d'un même cercle vertueux" dit Arnaud.
"Des producteurs du coin" complète Pascal "quand on parle de circuits courts nous on parle de producteurs de proximitité, de local, pour nous c'est très important, car circuit court implique simplement que le produit vienne directement depuis le producteur, mais peut venir de Chine".
Et quand on évoque le bio, "Nous on veut trouver des compromis de consommation saine avec des gens du territoire qui font les choses le mieux possible" répond Arnaud. Comprenez donc un peu de bio, beaucoup de vrac et surtout du local et de la saisonnalité.
Tout le monde à voix au chapître
Et qui dit coopérative , dit 1 adhésion = 1 voix. Depuis la création de l'association La Coopé en septembre, sept groupes thématiques ont été formés pour que chacun participe à la mesure de ses compétences et de ses envies: finances et subventions, informatique, communication, ou fournisseurs entre autres.
Derrière ce projet langonais, un mentor: Anne Monloubou.
En 2014, elle sait une chose importante, c'est qu'elle a horreur des supermarchés et qu'elle trouve que "ça pue toujours".
Elle sait aussi que "consommer et manger font partie des choses les plus importantes et qu'on peut faire en sorte que ce soit agréable".
Enfin, elle sait par une amie new-yorkaise qu"un supermarché coopératif existe dans la grosse pomme depuis 50 ans et que certains new-yorkais vont jusqu'à faire 1 heure de métro pour s'y rendre. Ni une ni deux, elle prend un billet d'avion et part vivre l'expérience.
Ce qu'elle découvre avec le Park Slope Food Coop la subjugue.
"On est dans une ambiance de ruche. Chacun sait ce qu'il a à faire" et bien sûr Last but not least "ça sent les épices et les produits frais".
Elle participe ainsi à l'effort collectif et se voit prodiguer de précieux conseils.
Forte d'un nouveau mantra "Ça semble utopique mais comme ça existe on se dit que c'est possible", Anne revient à Bordeaux et monte seule son projet de supermarché coopératif, la Supercoop.
Un projet aujourd'hui fort de ses 1400 membres, six ans plus tard et devenu référence dans toute la région. Car chaque mois, une vingtaine de nouveaux adhérents se rallie au projet.
A l'épreuve du temps
Un écueil tout de même, le caractère associatif du projet qui tranche avec les aspirations profondes d'Anne, "l'associatif, c'est très pyramidal donc il est difficile d'éviter les jeux de pouvoirs", mais pour pallier cela "on a décidé de se faire accompagner par un coach pour avancer de manière saine et avoir un collectif le plus horizontal possible".
L'humain c'est la clé, c'est ce qui prend beaucoup d'énergie et ce qui peut faire capoter le projet ou au contraire le péréniser.
Un conseil donné à Arnaud et Pascal pour leur projet langonais, qui quant à eux, cherchent à se mettre en retrait des 200 adhérents. "Attention c'est pas notre magasin" disent ils.
"On espère faire partie des élus à venir et des salariés désignés, mais on est avant tout porteurs du projet". Pas facile de donner autant de temps pour une noble cause commune.
Vous l'avez compris, les deux structures sont toujours en mouvement : La Coopé de Langon recherchent des locaux pour s'installer d'ici septembre et Supercoop à Bègles réaménage les siens pour doubler sa surface (de 130 à 250 m2 pour accueillir plus de vrac, du surgelé et de la coupe). Avis aux coopérateurs ! Ils vous attendent sur site.