Les médecins intérimaires, un vrai "faux problème" pour les services d’urgences de Royan et du Nord Deux-Sèvres

Avec la loi Rist, la majorité souhaite limiter et encadrer le recours à l'intérim des médecins dans le public. Ce qui, selon les urgentistes de Royan et du Nord Deux-Sèvres, ne ferait que renforcer les difficultés pour les petits hôpitaux plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes. Ils témoignent.

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"Nous ne sommes pas certains de pouvoir assurer une prise en charge continue aux urgences de l’hôpital de Royan aux mois de novembre et décembre", se désole Sauveur Méglio, chef des urgences du Centre Hospitalier Royan-Atlantique. Des mots qui sonnent comme un cri d’alarme dans la bouche de celui qui est également délégué régional à l’association des médecins urgentistes de France (AMUF).

Désemparé, le médecin urgentiste dépeint une situation de plus en plus problématique : "Depuis juin, travailler seul est presque devenu la norme." Livré à lui-même, Sauveur Méglio ne compte plus les gardes qu’il effectue en tant qu’unique médecin pour tout le service d’urgence de Royan. En temps normal, ils sont deux pour tenir la garde. Le service compte 4,3 équivalents temps-plein, au lieu de 10 pour bien fonctionner. Problème : le centre hospitalier de Royan n’attire pas les médecins urgentistes, déjà trop peu nombreux en France. Alors pour combler ce manque, l’hôpital a recours à des médecins intérimaires venant travailler pour des gardes de 24 heures.

Une loi pour appliquer le plafond des salaires de médecins intérimaires

Afin de séduire ces médecins, les petits hôpitaux comme celui de Royan sont obligés de proposer des salaires attractifs. Avec pour conséquence, une flambée des prix de l’intérim qu’entraîne la concurrence entre ces hôpitaux pour remplir leurs plannings et assurer un service suffisant. C’est cette guerre des prix que cherche à contrôler le gouvernement, en encadrant les salaires des médecins intérimaires dans la loi Rist, du nom de la députée LREM du Loiret l’ayant rapportée.

La loi vise à instaurer un plafond de rémunération pour les médecins intérimaires ne pouvant excéder 1 170 euros la journée, comme le prévoit d’ores et déjà les textes depuis 2018. Sans pour autant que la mesure ne soit appliquée. "Certains [médecins] demandent plus de 3 000 euros", avance Stéphanie Rist. Des chiffres loin de ce qui serait proposé à Royan, selon le chef du service d’urgence, Sauveur Méglio. Interpellé sur le sujet lors des questions au gouvernement le 26 octobre 2021, Olivier Véran a lui dénoncé un "mercenariat" de médecins intérimaires avec des salaires exorbitants.

"Personne ne peut dire qu’encadrer l’intérim est une mauvaise idée, réagit Sauveur Méglio, chef des urgences de Royan. Mais la loi ne concerne pas les cliniques privées, cela va créer encore plus de différences." Il en veut pour preuve l’impossibilité - en respectant les plafonds que fixe la loi - de trouver des médecins pour certaines dates durant les prochains mois. Une problématique qui ne concerne pas vraiment les grands centres hospitaliers ayant moins de difficultés à attirer des médecins et ne se livrent donc pas à cette surenchère des salaires. Afin de donner un peu d’air aux petits centres hospitaliers et face au mécontentement des personnels, le gouvernement a décidé de reporter l’application de la loi Rist à 2022, une mise en oeuvre initialement prévue au 27 octobre 2021.

"Le vrai problème n'est pas là"

Selon le rapport parlementaire livré par Stéphanie Rist en novembre 2020, le recours à l’intérim pour les médecins n’a cessé de croître ces dernières années. Jusqu’à représenter 19 % de la masse salariale des hôpitaux publics et un coût annuel de 1,454 milliards d’euros. Cependant, de l’avis des médecins urgentistes interrogés, avec cette loi, la majorité se "trompe de problème". "En France, il manque des milliers d’urgentistes", dénonce Frédéric Pain, chef des urgences au Centre Hospitalier Nord Deux-Sèvres (CHNDS) de Faye-l’Abbesse et également délégué à l’AMUF. En cause, selon lui, une formation inefficace. Mais ce n’est pas tout : en poste depuis 25 ans, il a vu la situation de l’hôpital public se dégrader d’année en année.

La réalité, c’est parfois 30 personnes qui attendent sur un brancard dans le couloir et 21 qui y passent la nuit.

Frédéric Pain, chef des urgences du Centre Hospitalier Nord Deux-Sèvres et délégué régional de l'AMUF

Un constat que partage son homologue de Royan, Sauveur Méglio. Du haut de ses 24 ans d’expérience, il a vu, peu à peu, des services disparaître dans les petits centres hospitaliers, comme la réanimation ou la chirurgie. Résultat : il doit faire plus avec moins de moyens. "Cela rajoute une pression supplémentaire car, si vous commettez la moindre erreur ou s’il y a la moindre complication, vous n’avez pas de filet. Aucun médecin réanimateur ne peut venir vous aider. Dans ce cas-là, personne ne vous trouve de circonstances atténuantes. Ce n’est pas le problème des patients", soulève-t-il.

Ajoutée à cela, l’accumulation d’heures avec des gardes interminables, les services d’urgences sont épuisés. "Du jour au lendemain, on ne sait pas si on aura un médecin pour prendre notre relève et assurer la continuité de service", pointe Frédéric Pain aux urgences du CHNDS, répondant à nos questions après avoir assuré une garde de près de 30 heures, loin des 24 heures maximales légales. Dans son service, ils sont 8 médecins au lieu des 30 nécessaires. "Cela correspond à des années de politique publique, continue-t-il. Nous n’avons plus de réserve de lits ni de personnels. Vouloir un taux d’occupation des lits à 100 % est criminel."

On s’oriente vers un système à l’américaine où il y aura du tri de patients en fonction de leur porte-monnaie.

Frédéric Pain, chef des urgences du Centre Hospitalier Nord Deux-Sèvres et délégué régional de l'AMUF

Les deux chefs de service des urgences de Royan et de l’hôpital Nord Deux-Sèvres décrivent leur quotidien avec parfois des scènes aussi tristes que surréalistes. "La réalité, c’est parfois 30 personnes qui attendent sur un brancard dans le couloir et 21 qui y passent la nuit", alerte Frédéric Pain. Dans ces conditions, difficile d’attirer des médecins dans les services des petits centres hospitaliers. "Pourquoi venir travailler ici, quand vous devez faire face à toutes ces difficultés pour le même salaire ?", interroge Sauveur Méglio, à Royan.

Des petits centres hospitaliers amenés à disparaître ? 

Dans ce contexte, la compétence de médecin urgentiste a donc un coût. "C’est quand même marrant que les gens qui régissent les lois du marché et rendent les médecins rares et chers, se plaignent une fois qu’ils le sont", ironise Frédéric Pain en pointant le pouvoir en place, tout autant que ceux qui l’ont précédé. Au lieu d’encadrer le salaire des intérimaires qui pénaliserait les hôpitaux modestes, Sauveur Méglio avance des pistes comme une prime défiscalisée pour un médecin qui s’installerait dans ces zones où il est difficile de recruter.

Au sein du personnel hospitalier dans son ensemble, l’heure n’est pas à l’optimisme. "On a l’impression qu’il n’y a pas de réelle volonté d’améliorer les choses. S’il n’y a plus de services d’urgence, il n’y a plus de problème dans les services d’urgences", observe avec cynisme Frédéric Pain.

Les deux médecins urgentistes considèrent que l’orientation actuelle des politiques de santé mène à la perte progressive d’une offre de soin publique au profit du privé. Ce qui questionne Frédéric Pain : "À terme, on s’oriente vers un système à l’américaine où il y aura du tri de patients en fonction de leur porte-monnaie. Comment la France, qui a mis en place la sécurité sociale, a-t-elle pu en arriver là ?" Si cet appel à l’aide n’est pas entendu, la question risque de se poser.

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