La Direction générale du Trésor vient de publier un rapport dans lequel elle remet en question la liberté d'installation des médecins, afin de lutter contre les déserts médicaux. Elle réclame des mesures coercitives, et non plus seulement incitatives. Un tabou est-il en train d'être levé ?
Publié fin octobre, le rapport de la Direction générale du Trésor est passé relativement inaperçu. Et pourtant, il jette un vrai pavé dans la mare, en touchant à un tabou : la liberté d'installation des médecins.
Le rapport part d'un constat : il n'y a jamais eu autant de médecins en France (226 000), et pourtant les disparités entre les territoires n'ont jamais été aussi fortes.
Bercy constate que les mesures incitatives mises en place jusqu'ici pour encourager les jeunes diplômés à s'installer dans les zones sous-dotées en professionnels médicaux ont été insuffisamment efficaces.
Le rapport plaide donc pour une "limitation temporaire à court terme de la liberté d'installation". Il suggère, par exemple, que l’installation dans des zones déjà sur-dotées soit conditionnée au départ d’un médecin dans la même spécialité. Ou encore que certaines places choisies par les internes soient clairement réservées aux zones sous-dotées.
Une révolution ?
Depuis le début des années 2000 et l'apparition des problématiques liées aux déserts médicaux, la liberté d'installation des médecins n'a jamais été remise en question. Du moins pas jusqu'au bout. Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, avait renoncé en 2007 à imposer des mesures contraignantes, face à la levée de boucliers immédiate de toute la profession.
Les seules réponses apportées jusqu'alors sont des incitations, souvent financières, visant à encourager les jeunes médecins à s'installer dans les zones en déficit.
Il existe plusieurs dispositifs : le contrat d'engagement de service public (CESP) qui prévoit depuis 2009 une allocation mensuelle de 1200€ contre l'installation en zone sous-dotée à l'issue de la formation, le Pacte territoire santé (2012) qui garantit une protection sociale avantageuse et un complément de réunération, ou encore divers dispositifs d'incitation fiscale.
Selon Bercy, ces différents dispositifs n'ont pas abouti à une hausse significative des installations dans les zones fragiles (246 installations en 2010 soit 9,6% des installations totales de médecins / 425 en 2016, soit 10,1%).L'efficacité de ces incitations financières est discutée"
Le Ministère de l'Economie conclut que "des réformes plus structurantes paraissent aujourd'hui nécessaires".
Un rapport de plus... bientôt à la poubelle ?
Le rapport de Bercy n'est - il est vrai - pas le premier à critiquer les mesures incitatives mises en place par les gouvernements successifs.
En 2017, la Cour des Comptes avait attaqué la liberté d'installation des médecins, en taxant les dispositifs existants d'"inopérants et porteurs d'effets d'aubaine excessifs, au regard du volume très limité de nouvelles installations qu'ils ont suscitées".
Néanmoins, France Assos Santé, la principale association de patients en France, considère que ce rapport est tout sauf un coup d'épée dans l'eau. Joint par téléphone, l'un des responsables nous a confié :
De là à mettre en place ces mesures à court terme, comme le suggère Bercy, il y a un pas... Le gouvernement mise pour l'instant sur la suppression du Numerus clausus pour renforcer les effectifs de médecins et lutter contre les déserts médicaux. Même si les effets de cette mesures ne se feront ressentir que dans une dizaine d'années au moins.Venant d'une institution sérieuse et respectée comme Bercy, ce n'est pas rien. Cette note est très fouillée et argumentée. Elle lève un tabou".
Cet été, toutefois, une mesure a été votée en commission mixte paritaire, inspirée d'un amendement à la Loi Santé déposé notamment par le sénateur de la Corrèze Daniel Chasseing : il rend obligatoire, pour les étudiants en dernière année de troisième cycle de médecine, un stage de six mois dans les zones sous dotées en médecins. Un premier pas vers la révolution ?