La petite ville de Pont-du-Casse en Lot-et-Garonne va bientôt perdre la moitié de ses médecins. Trois généralistes ont décidé de fermer leur cabinet le 20 décembre 2024. Et personne pour les remplacer. Une situation difficile pour les 3 500 patients qui se retrouvent démunis
Ce jour-là, en saluant deux de ses administrés assis à une table de café, le maire lance une boutade. "Je viens chercher des médecins, vous n’en avez pas sous le coude ?"
Mais derrière le sourire et la bonhomie de l’édile, se lit une vraie inquiétude. Bientôt, sa commune va perdre trois médecins d’un seul coup. Trois femmes généralistes. Elles ont décidé de fermer leur cabinet à la fin de l’année. Débordées, elles souhaitent, dit-on dans la bourgade, retrouver une vie normale.
"Ça a été un vrai coup de massue, on ne s’y attendait pas. J’ai d’abord voulu comprendre. J’ai rencontré deux des médecins qui vont partir. C’est surtout une très mauvaise nouvelle pour les 3 500 patients qui, jour au lendemain, vont se retrouver sans médecin traitant".
"Pas loin du burn-out"
Christian Delbrel ne juge pas cette décision. Il comprend même les raisons invoquées : le surmenage et la fatigue, au point de repenser les conditions de travail. Les travaux engagés par la commune pour acheter le cabinet, le rénover et construire un parking n’ont pas suffi. "J’ai vu des femmes qui n’étaient pas loin du burn-out, en plein surmenage, qui en avaient marre de vivre cette vie de médecin", reconnaît-il.
Parmi elles, le docteur Elisa Loubet, 44 ans, pourtant passionnée par son métier. Après seulement 15 ans d'activité, elle a décidé de quitter la médecine générale.
J'adore mon métier, j'ai fait neuf ans d'études pour ça, mais ça n'est plus possible !
Docteur Elisa LoubetMédecin généraliste
Impossibilité de soigner correctement
Jamais la praticienne n'aurait pensé en arriver là, mais la réalité de l'exercice est devenu trop difficile. "Ce qui me pèse aujourd'hui, c'est la démographie médicale." En clair, le manque d'offres de soin qui ne permet plus d'exercer correctement.
"On ne peut pas avoir d'avis de spécialistes pour nos patients, de rendez-vous d'examens. C'est catastrophique ! Je demande des avis, je ne les ai pas par manque de spécialistes ! Du coup, il y a des retards de diagnostic, des retards de prise en charge. C'est inquiétant et c'est compliqué de travailler dans ces conditions."
Sans parler du surmenage. Elisa Loubet a 1 352 patients. "Je travaille de plus en plus et je finis tard. Vendredi, j'ai terminé à 21 h 15, le mardi, c'est pareil. Sans parler des gardes ! Même si on compense avec une journée dans la semaine, ça ne suffit plus. J'aime beaucoup mon travail, mais les conditions sont devenues trop mauvaises !"
Cela dépasse largement le microcosme de la commune
Christian Delbrel,Maire de Pont-du-Casse
"Les gens me supplient de trouver une solution"
La doctoresse ne part pas de gaieté de cœur. Laisser ses patients dans ces conditions ne l'enchante pas, loin de là. "C'est extrêmement difficile. J'aimerais pouvoir partir en sachant qu'ils ont un médecin, mais je sais que ça va être très difficile".
Comme d’autres communes en zone rurale, les jeunes rechignent à s’installer. Et Pont-du-Casse ne fait pas exception à la règle. "Moi, je suis persuadée que la médecine générale telle qu'on la connait aujourd'hui ou l'on prend 20 minutes par patient, ou on prend le temps, ça n'existera plus, car ce n'est pas un modèle économique viable."
Devant cette situation, le maire semble bien démuni. "C’est un vrai psychodrame, qui va bien au-delà du bassin de vie, puisqu’il y avait des habitants de Foulayronnes, de Bon-Encontre, d’Agen et de petits villages qui venaient ici à ce cabinet. Les gens ne comprennent pas. Ils sont atterrés ! ils me supplient de trouver une solution !".
Des cabinets qui n'acceptent plus de nouveaux patients
L’élu, qui ne souhaite pas baisser les bras, n’a pas de remèdes miracle. Ici aussi le contexte est très tendu. Les médecins qui sont encore là, ne prennent plus de nouveaux patients. Leur quotidien est déjà surchargé.
"Ça a été assez brutal, dit une habitante. Ça va être la course au médecin ! " Peut-être ira-t-elle à huit kilomètres de là à Foulayronnes, si tant est que le cabinet accepte de lui donner un rendez-vous.
Un monsieur, un brin désabusé, partage cette inquiétude. "C’est la galère ! comment je vais faire pour avoir un médecin traitant ? Tout marche au piston. Ils ne prennent pas de nouveaux patients. C’est mort donc je ne me ferai pas soigner."
Le Lot-et-Garonne , un département en souffrance
Face à la désertification médicale, le conseil départemental de l’ordre ne cache pas ses préoccupations. En douze ans, le Lot-et-Garonne a perdu plus de 25 % de ses praticiens. La moitié a plus de 60 ans, explique la présidente Yvette Girard-Craipeau. "On a quand même 10 % des médecins qui ont plus de 70 ans et qui sont toujours en exercice !"
Christian Debrel ne veut pas se résigner. En ces temps d'élections, il en appelle aux politiques sans feindre sa colère.
"Si on en est là aujourd’hui, ce n’est pas le maire le responsable. Ce n’est pas le conseil départemental. Ce n’est pas l’agglomération qui essaie de nous accompagner. C’est l’État qui est responsable depuis 40 ans ! "
Et d’insister : "par manque de courage politique, on avait l’occasion à droite, comme à gauche, de conventionner, d’installer des médecins, sous conditions dans des zones tendues, on ne l’a pas fait. Maintenant, ils préfèrent aller dans des métropoles à Bordeaux, sur la côte basque, à Bayonne ou à Biarritz, mais pas dans un département comme le Lot-et-Garonne, qui se retrouve en plein désert médical. C'est dramatique !"
Le maire ne s’interdit rien pour essayer de trouver une solution. Quitte à solliciter la piste des médecins étrangers. Mais encore faut-il parvenir à les séduire. Quant au Docteur Elisa Loubet, elle ne sait pas de quoi sera fait demain. Peut-être fera-t-elle de la prévention dans des structures hospitalières ou autre chose. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'exercera plus en tant que médecin généraliste.