Naïma Ben Allam, la mère de deux filles polyhandicapées disparues depuis décembre 2016, a été condamnée jeudi 20 juin à quatorze ans de réclusion pour infanticide. La défense "se réserve le droit de faire appel".
L'avocate générale avait requis douze à treize ans de réclusion contre Naïma Ben Allam, pour infanticide de mineurs de moins de 15 ans. Cette mère de famille, accusée d'avoir tué ou fait tuer ses deux filles polyhandicapées, qui restent introuvables depuis sept ans, a finalement été condamnée jeudi 20 juin à quatorze ans de réclusion.
Détricoter les propos de l'accusée
Jeudi, lors du quatrième et dernier jour de procès à la cour d'assises d'Agen, l'avocate générale s'est appliquée à détricoter les explications particulièrement alambiquées et confuses de la mère de famille.
Depuis le début de l'instruction, Naïma Ben Allam a donné plusieurs versions contradictoires. Elle a d'abord déclaré avoir remis ses enfants à une personne de confiance en Espagne, puis en France. Lors de son témoignage à la barre, elle revient sur ses précédents propos et affirme désormais qu’un groupe de personnes de confiance s’occupe de ses deux enfants, au Maroc, dans un lieu tenu secret. À aucun moment, Naïma Ben Allam n'a apporté de réponses rationnelles.
"Elle a été très dure, à aucun moment, elle n'a cherché à collaborer et à dire", déplore Annie Gourgue, présidente de l'association La Mouette et ancienne mandataire judiciaire des enfants.
Je veux croire surtout que ces enfants sont vivants. Mais j'espérais tellement qu'elle nous le dirait.
Annie GourguePrésidente de la Mouette- Partie civile
L'interrogatoire de l'accusée a marqué les esprits. Celle-ci se montrant très virulente, et s'obstinant à refuser de révéler l’endroit où se trouvent ses filles, même face aux supplications de sa propre mère.
Un procès sans corps
Les filles de l'accusée, Inès et Nawal, âgées de 11 et 13 ans à l'époque des faits, en 2016, n'ont jamais été retrouvées. Elles auraient 18 et 20 ans aujourd'hui, si elles étaient encore en vie, cependant rien ne le prouve aujourd'hui.
Il est donc revenu aux jurés de se fonder sur leur intime conviction pour se mettre d'accord sur un verdict. Un manque de preuves concrètes que dénonçait l'avocat de l'accusée : "Une intime conviction, ce n’est pas une intuition, c’est basé sur des pièces à conviction."
La difficulté de ce procès est que les jurés devront se bâtir une intime conviction alors qu’il n’y a pas de pièces à conviction.
Maitre Patrick LamarqueAvocat de Naïma Ben Allam
Car ce procès se base sur peu d'éléments, mais troublants, révélés par six ans d'enquête méticuleuse. Parmi eux, la large tache de sang, trouvée dans la chambre et dans laquelle on retrouve l’ADN d’une fillette. Ou encore ce détour de 35 km en voiture, par la forêt de Durance, effectué au mois de décembre 2016.
Un autre élément est relevé par les gendarmes et exposé lors de la restitution de l'enquête par un gendarme : le téléphone de Naïma n'a jamais borné en Espagne. Celle-ci maintenait pourtant y être allée pour déposer les enfants à une personne de confiance, dans l'une de ses versions.
Un des enquêteurs décrit une femme à l’époque fatiguée psychologiquement et physiquement, mais intelligente, qui d’emblée avait évoqué avec lui le lourd fardeau que représentaient ses filles.
La mère a-t-elle craqué ?
Toute la deuxième journée de ce procès aux assises, se sont succédé experts et témoins pour retracer les quelques années de vie partagées par la mère et ses deux enfants polyhandicapées moteur et cérébral. Des enfants privées de parole, de motricité, incapables de marcher ou de manger seules.
Accueillies dans un centre de jour, les fillettes étaient à la charge exclusive de leur mère, matin et soir, chaque week-end et les vacances scolaires. Le père était parti avant la naissance de la seconde enfant. La pression serait-elle devenue insupportable, se demandent l'ensemble des assistants à ces assises ?
Début décembre, on sait qu’elle a dit qu’elle était épuisée, qu’elle a demandé un accueil pour ses filles et on lui a répondu que ce ne serait pas possible aux vacances de Noël, mais ce ne serait possible qu’en mars.
Maitre Virginie BelacelAvocate de l'oncle et de la grand-mère des enfants
C'est après ces vacances de Noël que l'on perd définitivement la trace des deux fillettes.
"On peut se dire qu’à un moment, peut-être qu’elle était tellement débordée qu’elle n'a pas eu d’autre choix, avance maître Sylvie Brussiau, avocate du père des deux enfants. Mais quel choix ? Ils ont besoin de réponse." À l'annonce du verdict, l'avocate regrette ce manque de clarifications de la part de l'accusée : "Aujourd'hui on a une condamnation, mais ce n'est pas une réussite parce que l'on n'a pas les réponses qu'on attendait."
Une accusée absente à l'ouverture du 2ᵉ jour de procès
Outre le silence de l'accusée, ce procès aura également été marqué par l'absence de celle-ci au deuxième jour d'audience. Arrivée avec trois quarts d'heure de retard, l’accusée a justifié son absence par "un problème de somnifère". Un retard finalement excusé.
Naïma Bel Allam devrait donc passer les quatorze prochaines années en prison. "Déçue" du verdict, la défense "se réserve le droit de faire appel".