De la scène à la conscience, il n'y a qu'un pas que les festivals de musique franchissent à grands bonds. Finis les lendemains qui déchantent pour la planète ? Pas si vite. Entre bonnes notes et fausses harmonies, lumière sur une partition écologique encore en cours d'écriture.
Le vert est dans l'air. Garorock, We Love Green, Cabaret Vert, Delta Festival... Les noms fleurent bon la chlorophylle et l'engagement. Loin des clichés d'une jeunesse insouciante noyée dans les décibels, ces festivals font rimer musique avec écoresponsabilité. Panneaux solaires, toilettes sèches, food trucks bio... L'écologie s'invite partout, jusqu'à transformer les festivaliers en militants de la cause verte le temps d'un week-end. Un changement de tempo bienvenu à l'heure où la planète suffoque.
Mais gare aux fausses notes. Si les initiatives se multiplient, certaines sonnent creux. Un festival capable de recevoir 150 000 amateurs de musiques sur plusieurs jours génère 7 500 tonnes de CO2 soit l'empreinte annuelle de 750 Français sur une année : l'équation fait grincer des dents les protecteurs de l’environnement.
Garorock joue le jeu
Pour se mettre au vert, le festival Garorock qui se tenait à Marmande du 27 au 30 juin dans le Lot-et-Garonne a ainsi développé ses propres stratégies. "On a mis en place la régie Garotri pour gérer les déchets selon le principe des 3R : Réduire, Réutiliser et Recycler », explique Frédéric Rolland, responsable RSE du festival. « On travaille aussi sur les biodéchets et la sensibilisation des visiteurs », précise le référent. Sur tout le site du festival, y compris le camping dédié, des équipes collectent les déchets aux points d'apport volontaire et animent des ateliers sur l'écologie.
Mais malgré la restauration responsable, les gourdes recyclables et les fontaines à eau qui donnent le change, la partition n’est pas parfaite. Car en matière de décarbonation, les transformations opèrent sur un temps long et sur la bonne volonté. « C’est aux directions de ces festivals culturels de manifester leur désir de transformation et de s’orienter vers des solutions à plus grande échelle », explique Héloïse Lesimple, cheffe de projet Culture & Affaires publiques pour The Shift Project, un think-tank qui œuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone.
Les acteurs culturels ne se rendaient pas compte de leur impact carbone.
Héloïse Lesimple, cheffe de projet Culture & Affaires publique pour The Shift Project
Selon la spécialiste, seule une politique volontariste et consciente permettra d’engager tous les acteurs territoriaux concernés par la culture et le tourisme. « Au début de nos travaux, après la période covid, les acteurs culturels ne se rendaient pas compte de leur impact carbone. Il a fallu leur dire qu’ils n’étaient pas résilients, mais qu’ils pouvaient le devenir ; le message est très bien passé», ajoute Héloïse Lesimple.
Dans un rapport d’avril 2024 intitulé « Vers des économies régionales bas-carbone », le Shift project s’est intéressé aux festivals culturels en Bretagne.
Et la conclusion est mesurément optimiste. En matière de festival culturel, les rapporteurs estiment que l’année 2050 constitue un horizon réaliste à condition que les organisateurs pensent un changement de modèle dès à présent.
Les pistes envisagées, comme une meilleure écoconception des tournées des artistes ou une meilleure accessibilité des lieux de loisir, doivent inclure tous les professionnels territoriaux. « Le projet Déclic porté par la FEDELIMA (Fédération des lieux de musiques actuelles) et le SMA (Syndicat des musiques actuelles) est par exemple une approche intéressante de réduction collective des impacts des musiques live », illustre le rapport.
La grande cacophonie des transports
Seulement voilà, persiste un grand paradoxe concernant ces méga événements : comment prétendre à l'écologie quand on fait venir des milliers de personnes, souvent en voiture, voire en avion ? Certains tentent bien de jouer la partition du covoiturage ou des navettes, mais le bilan carbone reste généralement lourd.
Frédéric Rolland, responsable RSE du festival Garorock, en a conscience : « Nos prestataires transports sont entre Bordeaux, Marmande et Toulouse, du grand local. Pour réduire l'impact du transport des festivaliers, on a mis en place un volet éco mobilité avec des partenaires comme la SNCF et des plateformes de covoiturage. »
Le rayonnement international de certains festivals et leur localisation habituellement éloignée des accès en transports en commun sont « des facteurs déterminants dans le niveau des émissions de CO2 générées par l’événement », ajoute Héloïse Lesimple, l’experte du Shift Project.
L’impact de seulement 3% des festivaliers venant en avion est près de deux fois supérieur à celui de 50% de ceux venant en voiture. Quant aux artistes, on estime à environ 720 tonnes équivalentes CO2 l’impact de leur déplacement, soit environ 5% du bilan global. Là encore, le recours à l’avion est en cause.
Le festivalier, ce nouveau militant
Fini le temps où le festivalier venait juste pour headbanger (hocher la tête sur le rythme). Désormais, l’amateur de bon son jongle entre sa passion pour la musique et son engagement écologiste. Gourde réutilisable en bandoulière, assiette de quinoa bio à la main, il arpente les allées à la recherche du dernier atelier "zéro déchet".
Un nouveau militantisme qui fait le bonheur des patrons de festivals ainsi plus en adéquation avec leur nouveau positionnement. Quant aux artistes, ils s'impliquent également, à l’image du groupe Trinix, qui s’est récemment produit à Garorock, soucieux de son impact carbone : « En voyageant, on voit des choses choquantes, partout liées au dérèglement climatique. De notre côté, on prend au maximum le train pour notre tournée. On en parle sur nos réseaux sociaux. On reste à notre échelle, mais tout le monde devrait faire ça. »
La cléf c’est la sensibilisation, l’éducation auprès de jeunes, d’en faire un truc fun. On a plus le choix.
Mosimann
Pour Mosimann, artiste Suisse sur la scène du Garorock au mois de juin et sur les routes cet été, l’écologie est une seconde nature. Adepte du tri, du train et de végétarisme, son empreinte carbone n’est pas parfaite, mais il entend donner l’exemple : « La clé de tout ça, c'est la sensibilisation, l’éducation auprès de jeunes, d’en faire un truc fun. On a plus le choix ».
Dernièrement, le groupe Shaka Ponk a annoncé mettre un terme à ses tournées afin de repenser son approche de la scène et de répondre à l’urgence climatique. La démarche est résolument militante puisque tous les membres du groupe veulent concentrer leur énergie sur le projet The Freaks, un collectif d'artistes lancé en 2018 qui vise à intégrer des pratiques écoresponsables dans la vie active, pour protéger la biodiversité.
Dans le même esprit, en 2022, les stars 'british' de Coldplay avaient commencé une tournée mondiale écolo avec moins de concerts, un environnement scénique repensé, des partenariats vertueux et des initiatives technologiques. Bref, le groupe a eu le mérite d’engager la question climatique afin de la penser à l’échelle de l’industrie de la musique.
Un tournant historique
Au fond, semble se dessiner une réflexion plus profonde allant jusqu’à remettre en cause la logique même de festival. Car ces évènements se multiplient ces dernières années ; la plupart ont moins de 10 ans d’existence. Une forte « événementialisation » de la culture promue par les territoires au détriment des équipements culturels déjà présents.
Or, ces équipements, connectés à un réseau de transport, de fourniture d’électricité et d’eau, présentent l'avantage de réduire l’impact carbone.
Alors, face aux mastodontes de l'industrie culturelle gourmands en énergie, les petits festivals pourraient bien devenir la garantie d'un véritable engagement écologique à condition d’imposer un modèle durable et viable aux fournisseurs, aux prestataires comme aux usagers.
100% virtuels, zéro impact, locaux et minimalistes, le monde des festivals est à un tournant de son histoire. Reste à savoir s’il saura composer la mélodie d'un futur plus vert, sans pour autant perdre son âme rock'n'roll.
► Se réinventer en Nouvelle-Aquitaine, présentée par Camille Novak, une émission consacrée aux artistes face au changement climatique est à retrouver sur la plateforme france.tv.