273 suicides par an. Le double peut-être aujourd'hui. Pour prévenir les suicides dans le monde agricole, le député lot-et-garonnais, LREM, Olivier Damaisin a remis un rapport le 1e décembre au Premier ministre qui avance plusieurs recommandations. Un rapport très attendu par les paysans.
Philippe Sallefranque n’a plus le cœur à l’ouvrage. Cet agriculteur lot-et-garonnais cultive depuis une trentaine d’années dix hectares de céréales et autant de maraichage. Son constat sur les petites exploitations comme la sienne est sans appel :
Peut-être sommes-nous sacrifiés. Ça fait 50 ans qu’on ne valorise plus nos produits. Ça fait 50 ans finalement qu’on fait place à l’argent qui devient maître partout. Donc le petit qui en rentre moins, automatiquement, il est moins avantagé.
Si elle est peu documentée, la souffrance des paysans est connue. En septembre 2019 sortait le film d'Edouard Bergeon Au nom de la terre. GuiIlaume Canet y incarne Pierre, un agriculteur qui finit par se suicider.
Mais Le nombre exact de suicides n'est pas précis, les derniers chiffres remontent à 2015, la MSA dénombrait alors en France 372 suicides d'exploitants agricoles, plus d'un par jour. Il y en aurait le double aujourd’hui. Mais «le phénomène a longtemps été globalement "mis sous cloche" estime le député Olivier Damaisin qui a remis son rapport le e décembre 2020 au Premier ministre, Jean Castex. Un rapport sur «la prévention des suicides dans le monde agricole » commandé par son prédécesseur, Edouard Philippe.
Longtemps taboue, parfois sous-estimée, la question du suicide chez les agriculteurs ne pouvait rester sans réponse.
— Jean Castex (@JeanCASTEX) December 1, 2020
Les travaux d'Olivier Damaisin nous permettront d'agir aux racines du mal-être paysan, tout en accompagnant davantage le monde agricole avec @J_Denormandie. pic.twitter.com/Ghk4rm4vak
Le premier confinement avait remis le sujet à la une de l’actualité mais selon Olivier Damaisin, le regard porté sur l’agriculture n’a pas vraiment changé :
"Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Peut-être dans certaines régions. Mais il y a des agriculteurs qui se sont encore faits agressés cet été que ce soit des agressions verbales ou physiques avec des tags et des intrusions sur leurs propriétés. Des éleveurs de lapin notamment dont des personnes malveillantes sont venues vider les clapiers la nuit. Des lapins qui sont morts dès le lendemain matin. Ce sont des gens inconscients qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. L’agriculteur souffre beaucoup d'agribashing" analyse-il dans le journal de France 3 Aquitaine reprenant à son compte un terme popularisé par le premier syndicat de la profession FNSEA.
Communiquer positivement sur l'agriculture
C’est justement l’une des recommandations qu’il défend dans son rapport :"La revalorisation de l'agriculture et de son rôle social sont nécessaires", relève le député. De son point de vue, la contestation visant les pesticides ou les systèmes d'élevage intensifs renvoie aux agriculteurs "une image dévalorisante de leur métier" qui peut se cumuler avec le reste de leurs difficultés.
L’élu liste d’autres propositions :
Communiquer à destination des personnes en souffrance
Olivier Damaisin suggère de diffuser plus largement "une information générale et non stigmatisante sur le mal-être pour qu'il ne soit pas un sujet tabou" et de mieux faire connaître les plateformes d'écoute, comme Agri'écoute, financée par la sécurité sociale agricole (MSA) et accessible 24H/24 au 09.69.39.29.19.Même s’il reconnaît une confusion dans la tête de certains agriculteurs qui « n’appelleront jamais. Parce que c’est la MSA et s’ils doivent de l’argent à la MSA, ils ne vont pas l’appeler. Dans la tête des gens, ce n’est pas possible. Il y a une confusion alors que la MSA n’intervient que dans le financement de la plateforme ».
Il plaide aussi pour une publication annuelle du taux de mortalité par suicide et d'une "analyse fine de la typologie des agriculteurs concernés et des causes". Il n'est "pas normal", déplore-t-il, que les chiffres les plus récents du nombre de suicides datent de 2015.
Mobiliser et former des "sentinelles"
Pour repérer les agriculteurs fragilisés et les orienter vers les dispositifs d'accompagnement, Olivier Damaisin suggère de recruter et former de nouvelles "sentinelles" parmi les personnes qui gravitent autour des agriculteurs, comme les salariés de coopératives, conseillers de chambre d'agriculture, techniciens de contrôle laitier, vétérinaires, mais aussi facteurs, élus locaux, médecins et pharmaciens.Actuellement, il existe des associations, il existe des structures pour aider des agriculteurs qui sont en souffrance, en - mais il n’y pas de coordination entre chacun.
Ce que je préconise, c’est une structure départementale qui soit mise en place par un délégué départemental, par un réfèrent. Et cette personne aura en charge de mettre un réseau sentinelle. Il sera composé d’élus, de représentants du milieu bancaire, associatif, des coopératives, des syndicats. Pour que, quand quelqu’un a connaissance d’un mal-être ou même de tendance suicidaire, cette personne puisse intervenir.
Coordonner les acteurs de la prévention
Olivier Damaisin propose la création d'un observatoire national des exploitations en difficulté, sous l'égide du ministère de l'Agriculture. Selon lui, les cellules d'accompagnement des agriculteurs mises en place par l'Etat dans la plupart des départements pourraient contribuer "à la nécessaire coordination des acteurs de la prévention". Le député souhaite "améliorer" leur fonctionnement et réviser leur composition afin que ces cellules - qui réunissent des acteurs institutionnels - incluent par exemple des vétérinaires libéraux, "qui sont parmi les acteurs les mieux placés pour observer l'état des troupeaux sur les exploitations, indicateur d'un possible mal-être des éleveurs". Il estime qu'il conviendrait par ailleurs de mieux encadrer "à quel moment et selon quelles règles" les banques "peuvent intervenir".Accompagner les agriculteurs en difficulté
M. Damaisin conseille notamment de développer des dispositifs de mentorat entre un agriculteur et un entrepreneur dont les activités sont étrangères à l'agriculture, à l'image de ce qui est développé par la chambre d'agriculture de Saône-et-Loire. La question du devenir des terres agricoles étant très sensible, il plaide pour "renforcer et vulgariser" des dispositifs de portage foncier permettant par exemple à un agriculteur de continuer à travailler les terres qu'il a dû se résoudre à vendre, voire de les racheter plus tard.Accompagner les nouveaux agriculteurs
"La prévention du mal-être doit commencer très tôt avec une sensibilisation dès la formation initiale", souligne le député, qui juge aussi "utile de développer un dispositif de tutorat par un agriculteur expérimenté, volontaire et sans intérêt personnel".Financer des vacances
M. Damaisin plaide notamment pour continuer à donner à la MSA les moyens de son "aide au répit", qui finance le remplacement jusqu'à 10 jours des adhérents en situation d'épuisement professionnel, leur permettant de se reposer.Un voeu pieu ?
"Quand vous touchez 500 euros de revenus par mois. Que vous travaillez 70 heures par semaine, comment voulez-vous payez des vacances" reconnaît l'élu :
Le rapport d'Olivier Damaison est entre les mains du gouvernement reste à savoir quelle priorité il lui accordera.C’est un scandale dans un pays comme la France que les paysans puissent travailler nous nourrir, et à côté » de ça ils touchent 500 euros par mois et ils travaillent 70h ! Il y a un système qui est mis en place de remplacement. Mais comment voulez-vous l’appliquer quand vous gagnez si peu.
L'agriculteur Philippe Sallefranque mise sur son élu parlementaire pour le défendre.
Sa préconisation à lui ? : "Il faut aider mais il ne faut pas brutaliser. Beaucoup auront du mal à évoluer parce que çà fait trop longtemps déjà que les gens souffrent, et n'y arrivent pas.Nous comptons beaucoup sur ce qu’il va dire. Il faut que l’agriculture, il la défende haut et fort et quand je dis l’agriculture, c’est toute la ruralité.