Marais Poitevin : la montée du niveau des océans le menace de disparition

C'est l'hypothèse scientifique liée au réchauffement climatique, qui est actuellement à l'étude. Quelles sont les dispositions qui sont prises pour s'en prémunir ? Nous vous proposons une enquête en trois volets, pour faire le tour des réponses disponibles, et des interrogations qui demeurent.

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Yannick Suire ne rate jamais une occasion de sillonner le Marais Poitevin, son marais, celui de son enfance. Il vient s’y ressourcer, se ménageant un chemin au milieu de cette nature luxuriante.

Une cathédrale de verdure, c'est comme ça que certains poètes l'ont décrit avec ses arbres, ses frênes et leur ombre, la fraîcheur et toute cette biodiversité qu'elle abrite.

Yannick Suire, conservateur du patrimoine et historien

Mêlant Tourisme vert et agriculture florissante tout en ayant su préserver sa façade maritime, ce petit paradis est labellisé Grand site de France depuis 2010, pour la gestion durable de ce patrimoine singulier.


Xynthia est un éléctrochoc

La même année qui voit la tempête Xynthia déferler sur les côtes charentaises et vendéennes. Sans être exceptionnelle par sa puissance, elle demeure l’une des plus meurtrières. Survenue lors de la pleine mer un jour de gros coefficient de marée, elle a généré une surcote d’1,5 mètre sur le littoral. Sous la pression de l’océan, certaines digues de protection marines finirent par céder , et l’eau s’engouffra jusqu’à 7 kilomètres à l’intérieur de terres. Elle mettra plusieurs mois à s’évacuer. Les 47 morts et les 150 millions d’euros de dégâts font l’effet d’un électrochoc. Le Marais Poitevin, forteresse qu'on pensait imprenable, a fini par plier.
 

Il y a clairement deux périls distincts. Le 1er c'est un risque de submersion parce que quand les tempêtes coïncident avec des coefficients de marées très élevés, l’eau salée peut pénétrer dans le marais et s'y installer durablement. Et c’est le second risque encouru. Que les crues et les inondations fluviales ne puissent plus continuer de s'évacuer comme elles le font aujourd’hui. On aurait alors une intensité de crue et une durée d'inondation beaucoup plus longue. De quelques jours à plusieurs semaines  

Gilles Chourré, directeur de l’Institut Interdépartemental de la Sèvre Niortaise.

                                                                       

Étudier la menace

Liée au réchauffement climatique, la montée des eaux des océans est désormais mesurée de façon très précise. Sur le site de l’île d’Aix notamment.

Aujourd’hui la mer monte de 2,8 mm par an par rapport à la côte.  C'est 3 à 5 fois plus que ce qui s'est passé durant les deux derniers millénaires. On est donc véritablement face à une augmentation du niveau des mers.

Eric Chaumillon, enseignant chercheur et géologue marin à l’université de La Rochelle

Et le Marais Poitevin se sait en première ligne. Situé sous le niveau de la mer, il était autrefois recouvert par l'océan jusqu’à Niort. Il s’est ainsi naturellement enrichi en sédiments fertiles, jusqu’à ce que l’homme s’y intéresse.
 

À partir du XIIe siècle, les abbayes ont décidé d'aménager cet espace, de le poldériser, pour pouvoir y faire des cultures, y semer du blé et pratiquer l'élevage. Pour ce faire on a édifié des digues, et derrière on a creusé des milliers de kilomètres de canaux pour acheminer toute cette eau vers la baie de l'Aiguillon.

Yannick Suire, conservateur du patrimoine et historien

Ce réseau hydraulique complexe fera émerger deux secteurs distincts. Le marais desséché protégé par des digues et destiné à l’agriculture, et une zone inondée en période de crues, le marais mouillé, qui  recueille le surplus d’eau fluviale.
  

La sédimentation comme rempart naturel

La sédimentation de la baie de l’Aiguillon fait l’objet d’une étude depuis deux ans. Chaque année le Marais Poitevin y grignote trois mètres de territoire. En direction de la mer. Avec 1,6 cm d’épaisseur gagnée à chaque fois, la sédimentation pourrait même servir de rempart naturel à la montée des océans.

C'est une solution parce que ça permet d'avoir de vastes espaces hauts qui feraient la transition entre les mers qui s'élèvent et les territoires bas qui sont à l'intérieur des terres.

Éric Chaumillon, enseignant chercheur et géologue marin à l’université de La Rochelle

Mais depuis Xynthia la priorité est donnée à la reconstruction des digues qui avaient cédé, pour protéger les populations. La perspective de laisser l’océan pénétrer le marais a clairement été écartée. Toujours est-il que les 100 km de digues que compte désormais la façade maritime du Marais Poitevin ne pourront le préserver de l’autre danger qui le menace, de l’intérieur cette fois : les inondations fluviales. De larges surfaces agricoles sont ainsi submergées en période de crues.
 

Rendre des terres à l’océan

Et si ces bouts de territoires régulièrement sacrifiés à regret, ne constituaient pas au contraire une solution ? Rendre des terres à l’océan. C’est l’objet de l’étude menée par le Parc Naturel Régional : la poldérisation.

C'est savoir se reculer pour mieux se défendre en fait. C'est accepter de perdre un peu de territoire, pour avoir une meilleure protection un peu plus loin dans les terres.

Loïc Chaigneau, chargé de mission au Parc Naturel Régional du Marais Poitevin

Mais là encore, la perspective de renoncer à ces terres fertiles est loin de faire l’unanimité. Les exploitants agricoles y sont farouchement opposés, forcément. 

La réponse politique se fait attendre

À l’image du Marais Poitevin pris en tenaille entre le risque de submersion venant de la mer et les inévitables épanchements de ses eaux fluviales, la réponse politique tarde à se dessiner.
A la Grève-sur-Mignon, les 600 habitants que compte le village sont rompus aux inondations. Pourtant Roland Gaillian, le maire, s’interroge.

On maitrise le feu, on maitrise moins facilement l'eau… c'est que disent les anciens. Malgré ça, il n’y a toujours pas vraiment de débat sur le sujet. Il va pourtant bien falloir qu’on se retrouve tous  autour d’une table. Agriculteurs, écologistes, tout le monde. Et il va falloir qu’on trouve ensemble des solutions pour continuer à vivre ici et continuer à faire vire ce marais.

Roland Gallian, maire de la Grève-sur-Mignon en Charente Maritime


Les raisons sont multiples

Car le découpage administratif du Marais Poitevin, partagé entre deux régions et trois départements, ne facilite pas non plus l’émergence d’un consensus.
Jusqu’à la  physionomie même du marais qui, partagé entre marais desséché et marais mouillé, génère des intérêts contraires. 

L’agriculteur qui est du côté marais mouillé va avoir des pratiques différentes de son collègue du marais desséché. Et à l’heure de choisir une stratégie pour se prémunir des inondations, ces intérêts divergents bien entendu s’opposent. 

Pierre-Guy Perrier, vice-président de la région Pays de la Loire

 

Les berges doivent être entretenues

En attendant qu’une solution émerge pour l’avenir, les 8 000 km de canaux, essentiels pour drainer et évacuer l’eau vers l’océan, se doivent d’être entretenus pour pouvoir remplir leur office. Bernard Riffault, en charge de 500 km d’entre eux, est perplexe.

"C’est énorme. Avec le budget relativement modeste qui nous est alloué, entretenir tt ça c'est très lourd pour nous. Et des canaux obstrués, il y en a des kilomètres aujourd’hui. Ça diminue la surface de l’hydraulique, et fatalement l’évacuation se fera plus difficilement en cas de grands besoins. Ça peut provoquer des dégâts dont on ne connaît pas aujourd’hui la teneur.

Bernard Riffault, président du Syndicat des Marais Mouillés des Deux-Sèvres



Le GIEC, le groupement international sur le climat, prédit une situation critique à l'horizon 2100. L’élévation du niveau des océans devrait alors dépasser 1 mètre, et le Marais Poitevin reprendrait l'allure d'un golf marin. Cela sonnerait la fin d'un territoire exceptionnel, agricole et touristique, fort de 200.000 habitants.
 
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